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JEAN-PAUL SARTRE

1905 - 1980

 

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Erreur ??? ...

On célèbre le centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre. Mort il y a presque vingt-cinq ans, Sartre s'est éloigné de nous si rapidement que l'on a l'impression qu'il appartenait à un autre monde. C'est que pour de nombreux lecteurs qui l'ont aimé jeunes, il était déjà un étranger bien avant sa mort. A vingt ans je lisais avec passion les volumes des Situations, il y en avait trois alors, j'allais durant quelques années suivre la publication des autres avec un intérêt décroissant. Le communisme était rapidement devenu à mes yeux une monstruosité de même que son avatar, le trotskisme qui m'avait un instant séduit. Sartre était passé du statut de l'homme qui contestait cette saloperie de guerre en Algérie à la position inconfortable de celui qui accompagnait ou avait trop accompagné l'inacceptable. Plus tard, ses fréquentations gauchistes devaient m'apparaître comme une manifestation de sénilité. Combien je préférais le mépris affiché par Montherlant pour la jeunesse qui est vraiment l'âge de toutes les conneries. D'autres devaient suivre le même chemin, je me souviens de François Châtelet admiratif devant ceux qu'on appelait les nouveaux philosophes, qui n'avaient rien de nouveau sinon une immense et imbécile suffisance, il avait l'air d'un vieux c... et faisait pitié. Pire que les imbéciles rodomontades d'une jeunesse ambitieuse et vaine, l'admiration que lui portent les vieillards est en effet répugnante.

Oui, vingt-cinq ans après sa mort, alors que les brumes de Saint Germain ont laissé bien peu de choses, on peut se demander ce qui restera de l'énorme production graphique de Sartre. Non que tout soit à jeter. Il y a certainement des choses à relire dans les pages de vulgarisation de sa pensée, celles des Situations, mais ... ce monde qui a disparu est tellement loin ! La Nouvelle Revue Française de Gide, celle de la première partie du vingtième siècle, me semble proche, le Stendhal de Lucien Leuwen est un frère, Sartre est au moins aussi loin de moi que Paul Bourget auquel l'avait malicieusement rattaché non sans quelques raisons, Jacques Laurent. En littérature l'engagement partisan ne paie pas et c'est justice, peut-être d'ailleurs, au plan de l'art, y-a-t-il là une faiblesse du public, incapable d'entrer le temps de la lecture, en empathie avec des pensées qui lui sont étrangères, ce qui n'est pas une preuve de grande culture. Barrès avait connu et mérité la même désaffection de son vivant pour des engagements semblables, contraires mais tout aussi douteux. Chez Sartre l'engagement philosophique est également en cause, une œuvre littéraire ne peut pas être la simple illustration d'une philosophie, cela est trop court, on le voit également chez Camus qui résiste cependant mieux au temps et qui est également en général moins apprécié des philosophes.

L'œuvre philosophique est hors de ma portée, je me garderais donc bien de la juger. L'œuvre romanesque soit me touche peu, La nausée, Le Mur, soit me semble si mauvaise, Les chemins de la liberté, que je ne vois pas pourquoi j'irais m'y plonger de nouveau. Sartre dans cette œuvre était-il au moins original ? Le Mur, La nausée ne se situent-ils pas dans l'héritage du Voyage ? - Pas étonnant que je n'apprécie pas -. C'est ce que prétendait non sans quelques raisons Céline qui épinglait sévèrement Sartre dans l'Agité du bocal. Reste le théâtre, celui là même que Gallimard ressort ces jours ci dans la Pléiade et c'est une bonne idée. J'ai toujours pensé que c'est par son théâtre que Sartre survivrait pour autant qu'il reste un public pour un théâtre où l'on manie plus de deux idées. Il reste encore quelques textes comme Les mots qu'on peut relire avec plaisir. Tout cela bien maigre pour un homme qui a tenu tant de place.

Peut-être faut-il compter pour quelque chose la vaine agitation, Sartre aura été dans ce domaine sinon un pionnier, un maître. C'est peut-être pour cette raison que Bernard Henri Lévy, autre grand champion de l'agitation se réfère à lui, lien secret, mais quelle déchéance encore qu'une telle postérité ! Et puis, faut-il le dire, personne ne se serait permis d'entartrer Sartre, l'homme, inspirait le respect peut-être à tort d'ailleurs si l'on en juge par ses impostures !

Aujourd'hui, sachant que Sartre fut le dernier " grant'écrivain " français, je me demande s'il n'a pas contribué à dévaluer un rôle qui de toute façon était condamné. Personne ne souhaitait de successeur à Sartre bien avant qu'il meure, personne ne s'est d'ailleurs présenté pour lui succéder. L'image de l'homme qui se trompe toujours, image bien évidemment fausse, mais ... tellement proche de la réalité, était assez forte, elle avait quelques raisons d'être. Je crois que c'est par lui, à cause de lui, que j'ai douté des intellectuels. Il m'a, au travers de ses positions les moins justifiables, appris que les intellectuels n'en savent pas plus que les autres et que, parfois, leur prétention à lire les choses au travers de la complexité, les rend plus vulnérables. Après Sartre et le petit monde qui l'entourait, plus personne ne pouvait justement prétendre détenir une quelconque vérité au nom du savoir. Pire, l'authenticité de ce cercle n'étant pas évidente, la défiance vis à vis de l'intellectuel, trop prétentieux, devient justifiée. Qu'on se rassure, ce débat n'est plus d'époque, la littérature ne compte plus dans un monde livré à la médiocrité télévisuelle qui fait de n'importe quel guignol un penseur à qui on ouvre tous les micros, mais comptait-elle beaucoup pour Sartre ? Certainement pas, sinon, il ne l'aurait pas compromise comme il l'a fait ! Le dernier maître reste bien Gide.

Sartre aujourd'hui m'apparaît comme un phénomène de mode, lié à un contexte passé, bien passé et de ces passés qu'on aime pouvoir oublier rapidement puisqu'ils appartiennent par tous les bouts à la mort.

( 15 mars 2005 )

Voilà pour Sartre vu " de loin " par quelqu'un, beaucoup plus jeune, - Sartre est né en 1905 ! dans les années 60 nous ne le " savions pas " tant nous le trouvions proche - qui a finalement partagé un temps une partie de ses illusions mais sans penser que le dialogue avec les communistes était possible. Maintenant passons derrière la figure. Sartre aimait la littérature, la plaçait au-dessus de tout, c'est Simone de Beauvoir qui nous le dit et il n'y a pas de raison de ne pas la croire. Il se rêvait poète maudit, c'est le succès qui vint, une notoriété encombrante qu'il perçut immédiatement comme le signe de l'échec. Il avait quelques raisons pour cela : le public qui assurait sa gloire, qui le hissait bien au-dessus du rôle qu'un Gide par exemple a tenu dans sa papauté littéraire, ne le comprenait pas. Simone de Beauvoir nous dit que Sartre répondait en restant lui, en refusant de tenir ce rôle qu'on lui assignait, refus ambigu cependant puisqu'il utilisera sa célébrité dans l'engagement auquel il ne se résignera que parce que l'époque lui fit fête. Au final, Simone de Beauvoir rapporte qu'il dit que la célébrité pour lui fut la haine et cela est vrai. Haï par les penseurs et écrivains bourgeois, ennemis en idées mais aussi jaloux du succès, haï et combattu avec la malhonnêteté qu'on peut attendre d'eux par des communistes de plus en plus médiocres. Sartre dès lors n'a-t-il pas été par delà succès et notoriété une victime de l'impossible troisième voie ? Pas la voie centriste que d'autres essayèrent d'ouvrir en politique plus tard, mais d'une voie de gauche qui règle leur compte aux communistes ? Le succès plus durable de Camus disparu trop tôt ne tient-il pas aussi à ce qu'il n'a pas nourri d'illusions de ce coté ? Gide était demeuré sur le piédestal littéraire, l'art pour l'art parce que le réel refuse l'art et rejette l'artiste qui va à lui. Un réel qui lui aussi d'ailleurs ignore le vrai réel. Car peut-on considérer comme réel ces forces de droite et de gauche qui s'affrontent depuis maintenant si longtemps, souvent en de faux combats ? Le vrai réel ne serait-il pas alors chez les artistes ? Gide revient à son domaine quand il se rend compte de la " mauvaiseté " de l'autre réalité ( ou irréalité ), Sartre plonge dans l'actuel, se coltine avec lui et s'y perd en grande partie. Sartre double victime ou multiple victime mais aussi au milieu des malentendus, Sartre de ses choix. Pour Sartre, l'enfer, fut la gloire recherchée, source de compromissions et d'impostures.

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Ne suis-je pas victime d'une illusion d'optique ? Bien entendu, aujourd'hui, quand je dis que Sartre est loin, qu'il appartient à un autre monde, je dis vrai. Mais notre monde n'est-il pas tout aussi fou, dément que celui auquel nous appartenions jadis ? Nous avions alors tous les choix. Aujourd'hui, il n'y en a plus. Nous avions alors tous les espoirs même, surtout peut-être, ceux de derrière le rideau de fer, aujourd'hui, il n'y en a plus. Je n'aime pas ce que sont les jeunes, mais ils sont nos jeunes. Le produit d'un monde que je vomis. Jamais je ne dois perdre de vue le fait que le monde d'aujourd'hui est le monde de mon échec. Un monde qui est plus laid, plus fade, plus irrémédiablement médiocre que celui d'hier. A quoi servirait de se leurrer ? Ceux qui se glorifient de la démocratie, qui se gargarisent de ce mot, ne voient-ils pas qu'il ne recouvre plus rien depuis longtemps ? Ceux qui portent au nues un abbé Pierre parce qu'il a lutté contre le mal suprême de notre époque, son scandale : la pauvreté, ne voient-ils pas derrière ce masque l'autre abbé, le vieux con antisémite qui n'apprendra jamais rien. Image de notre échec, de l'idéal impossible, personnage non de hasard mais d'impossible paradis. Le paradis était sur terre, à construire, l'homme, l'homme seul a inventé l'enfer et l'enfer est notre monde. Et l'on ne peut pas ignorer qu'à chaque fois qu'il a tenté de construire ce paradis rêvé, l'homme a créé de nouveaux cercles de l'enfer.

Sartre décidément ne me rend pas gai !

( 25 mars 2005 )

Ce que j'ai écrit concernant Sartre, ce que j'écris de monde actuel, la façon dont je considère qu'Anatole France reste d'actualité,  je ne peux pas manquer de me demander ce qu'il y a d'excessif dans ces jugements, la part personnelle y compris d'échecs cachés. Ce qui également, peut faire d'une époque quelque chose de particulier qui rompt le contact avec l'avenir. Il me faut beaucoup d'attention pour ne pas fermer les livres des époques royales dès les dédicaces et me convaincre qu'elles étaient inévitables et qu'elles ne sont pas consubstantielles aux auteurs, de même les traces de religiosité, de bondieuseries qui traînent dans certaines œuvres manifestement d'un autre ton sont difficiles à oublier, contraintes sécuritaires, elles sont souvent des sacrifices aux préjugés mortels des époques concernées. Assez paradoxalement, ce n'est pas quand s'affrontaient deux idéologies totalitaires, la fasciste et la communiste que la chape de plomb est tombée. Il y avait alors très grande diversité, un Drieu la Rochelle pouvait balancer de l'une à l'autre avant que de s'ancrer, un Malraux restait proche de lui même à la fin d'un conflit qui l'avait vu choisir le camp le moins défendable. C'est après ce conflit que l'atmosphère est devenue irrespirable, quand le mal a été désigné et que les autres partis ont pu s'en dédouaner. L'existence d'un mal absolu a été à l'origine des intolérances et de la justification de n'importe quoi. C'est peut-être pour cela que l'Amérique d'aujourd'hui, indéfendable, s'efforce de susciter dans le monde un épouvantail même si cet épouvantail, le terrorisme, est largement son œuvre. Il s'agit d'avoir sous la main le mal absolu pour gommer tout le mal qu'on incarne. Hélas pour elle, ce mal absolu est tellement ridicule, tellement inférieur à celui qu'on voudrait cacher, que l'illusion ne peut pas durer et il faut tout l'appareil de décervelage, de propagande, pour asseoir ce cirque !

 

Jamais à court de formules choc même si elles n'ont pas l'ombre d'une justification, Bernard Henri Lévy a osé dire du vingtième siècle qu'il a été le " siècle de Sartre ". Il faut croire alors, que ce siècle aura été le plus court de tous les siècles puisqu'il commence en 1945, dans les caves de Saint-Germain après que l'ombre du dernier allemand se soit effacée, et il se termine en 1968 quand le philosophe commence à courir derrière les jeunes gauchistes en qui il voit l'avenir, on le sait, il était myope.

 

Un numéro Notre Sartre de la ( sa ) revue, Les Temps Modernes ( € 32, juillet-octobre 2005 ). On lira avec intérêt le remarquable témoignage de Jean Cau, qui nous permet peut-être de mieux comprendre qui était Sartre ; celui de l'éditeur, Robert Gallimard et on pourra méditer le commentaire de Lanzmann qui " rouvre " un débat sans réponse, pour le reste on gagnera beaucoup à se passer des autres témoignages de la section 1. La revue nous donne également un inédit de Sartre, Morale et Histoire.

M à J le 22-10-2005

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