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 Edouard Estaunié

1862 – 1942

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Bibliographie  Œuvres   UNE GENERATION     

 

 

BIOGRAPHIE :

Né le 4 février 1862 à Dijon. Ancêtres bourguignons et languedociens marqués de jansénisme et austères, orphelin d’un père mort à trente ans après huit ans de mariage et qu’il ne connaîtra pas, Edouard Estaunié est élevé par sa mère et son grand-père, Monthieu, personnage aussi sévère pour lui-même que pour les autres. John Charpentier nous raconte qu’âgé de sept ans il avait écrit dans un cahier d’écolier un récit intitulé : « l’orage » et annonçait sur la couverture les titres des œuvres à venir. La mère garda le secret et devint complice d’un fils qui lui vouera toujours une véritable dévotion (préface des Choses voient, œuvre qu’il écrivait quand sa mère mourut.) Il fréquente l'école des Jésuites de Dijon, puis entre à Polytechnique avant de devenir ingénieur. En 1891, il entre discrètement dans la vie littéraire en publiant Un Simple rapidement suivi de Bonne Dame (1892). Deux romans vont attirer sur lui l’attention de la droite catholique et de la gauche laïque : l’Empreinte dans lequel il dénonce les méthodes d’éducation des jésuites et le Ferment dans lequel il attire l’attention sur les dangers moraux de l’éducation scientifique. Cité pour les deux à la tribune de l’Assemblée nationale par Albert de Mun, sa franchise lui aliénera pour des raisons à la fois contraires et similaires les deux partis. C’est La Vie secrète qui lui vaut en 1908 le prix de la Vie heureuse qui lui permet de connaître une certaine notoriété. Il poursuit néanmoins une carrière administrative et industrielle. Directeur de l’Ecole d’applications des Postes et télégraphes, puis directeur du Matériel et de la Construction et enfin Inspecteur Général des Télégraphes, Edouard Estaunié au contraire de la plupart de ses collègues écrivains est dans la vie réelle. C'est lui qui utilisera le premier le mot "télécommunication", promis à un bel avenir. Comme René Boylesve il aimera en secret une jeune fille qui en épousera un autre sans avoir eu connaissance de ses sentiments. La mort de sa mère en 1912, il a cinquante ans, le désespère. Lors du conflit de 1914 – 1918, malgré son âge, il se met à la disposition des armées et assure jusqu’en 1917 la liaison télégraphique du quartier général anglais. Il a la chance de retrouver, libre, la femme qu’il a aimée en silence jeune et il l’épouse. En 1923, il est élu à l’Académie française à sa deuxième candidature et au troisième tour au fauteuil d’Alfred Capus. Il sera reçu en 1925 par Robert de Flers. En 1919, il prend sa retraite de l’administration. En 1926 il accepte la présidence de la Société des gens de lettres, qu’il ne parviendra pas à réformer selon ses souhaits. Edouard Estaunié a été au cœur de la vie intellectuelle de son époque, pas la bruyante qui s'étale dans les revues et les journaux, la souterraine, celle des gens qui cherchent dans tous les domaines et qui pensent. Fréquentant des scientifiques, les plus grands, des écrivains, il mènera une vie austère. Au moins, en ce qui concerne cette œuvre d'une haute inspiration spirituelle, il n'est pas nécessaire de se demander pour quelles raisons un public aussi médiocre et superficiel que celui d'aujourd'hui l'ignore. Le fait même qu'elle passe largement au-dessus des cervelles ramollies de nos concitoyens est en lui-même un accablant diagnostic de notre misérable époque qui n'aura jamais été capable de dominer les extraordinaires outils qu'elle a reçu et dont elle s'est dotée.

Romancier de la douleur selon Robert de Flers, de l’invisible et de l’essentiel qui échappe au regard des autres, d’une inspiration élevée et inquiète, analyste attentif, Edouard Estaunié mène un long questionnement sur le destin et la situation de l’homme et est un des écrivains les plus originaux de son époque et de notre littérature n’occupant pas aujourd’hui la place qui lui revient. Par l'exposé inlassable et souvent didactique de ses thèmes au-travers de ses romans, Estaunié m'apparaît parfois comme un auteur engagé, au moins un auteur à thèses. Une grande sensibilité, des analyses souvent subtiles, l'éloignent cependant de ce genre.

Edouard Estaunié est mort le 2 avril 1942 à Paris. Il se partageait entre sa ville natale, Dijon et sa villa d’Auteuil.

La mort d'Edouard Estaunié en pleine guerre mondiale passa inaperçue. Ci-dessous l'entrefilet approximatif du Figaro du 4 avril 1942.  

*1) Certains éléments biographiques ont été tirés de l'étude de John Charpentier ( Voir bibliographie : Sur Edouard Estaunié )  Retour Haut de Page

 Bibliographie :

-          1891      Un simple

-          1892      Bonne-Dame

-          1893      Impressions de Hollande (Petits maîtres)

-          1895      Les sources d’énergie électrique (technique)

-          1895      L’Empreinte

-          1899      Le Ferment

-          1902      L’Epave

-          1904      Traité pratique de télécommunication électrique (technique)-

-          1908      La vie secrète

-          1912      Les choses voient

-          1917      Solitudes

-          1921      L’Ascension de M. Balèsvre

-          1923      L’Appel de la Route

-          1923      L’Infirme aux mains de lumière

-          1924      Buffon, essai

-          1924      Le Labyrinthe

-          1926      Le Silence dans la campagne

-          1927      Tels qu’ils furent

-     1932      Madame Clapain

-          1937      Une sainte parmi nous (Sainte Thérèse de Lisieux, participation)

-     1973      Souvenirs précédés d'une importante préface de Georges Cesbron qui en a établi le texte.

        Madame Clapain fut porté à l'écran, un an après la mort d'Edouard Estaunié, en 1943, par André Berthomieu sous le titre Le secret de madame Clapain.

    Actuellement disponible en livres neufs : L'ascension de Monsieur Baslèvre (2000) et Madame Clapain (2002) Mémoire du Livre.

Préfaces et discours :

-          1924    Préface de l'Anthologie des poètes bourguignons contemporains

-          1924    Préface du Monde des trolls de Selma Lagerloff

-          1924    Discours sur la responsabilité de l’écrivain

-          1925    Discours de réception à l’Académie française

-          1925    Préface de La mort de mon ami de Victor Gauvain

-          1926    Discours pour le cinquantième anniversaire de la mort de Georges Sand

-          1926    Préface de Parmi les fleurs et la lumière, poèmes de Francis Ambrière

-          1926    Préface de L’homme obscur de Clément-Janin

-          1926    Préface de Théâtre radiophonique, nouveau mode d’expression artistique de Pierre Cusy et Gabriel Germinet

-          1927    Discours aux funérailles de Jean Richepin

-          1928    Discours de réception d’Emile Male à l’Académie Française

-     1932    Préface à L'Ecole polytechnique de l'Association des amis de l'Ecole

-     1934    Préface à la Porte d'ivoire de Georges Belloni

    Sur Edouard Estaunié :

    - 1931 : Daniel Rops : Fauteuil XXIV Edouard Estaunié

    - 1932 : John Carpentier : Estaunié

    - 1933 : Zapf Hasso : Syntaktische Eigentümlichkeiten, in den Werken Edouard Estaunié's Diss

    - 1935 : Camille Cé : Regards sur l'oeuvre d'Edouard Estaunié

    - 1949 : Hok Ruth : Edouard Estaunié, The perplexed positivist

    - 1973 : Renato T. De Roso : Temi e ricerche sul romanzo de Edouard Estaunié Aspetti della narrativa verso il nuovo romanzo

    - 1977 : Georges Cesbron : Edouard Estaunié, Romancier de l'être             Retour Haut de Page

 

       Un Simple (1891)

        Premier roman d'Edouard Estaunié, Un Simple est un récit linéaire qui nous fait suivre la difficile révélation de la vie pour un jeune homme un peu simple, soumit à l'influence exclusive ou presque de sa mère, dont la vie secrète va le désillusionner de façon dramatique. Lorsque paru Pierre et Jean de son maître, Guy de Maupassant, Estaunié avait déjà écrit ce roman. John Charpentier nous raconte que, frappé de certaines similitudes de thèmes entre les deux oeuvres, Estaunié écrivit à Maupassant qui lui répondit par une lettre-préface de quatre pages. Edouard Estaunié se refusa à en profiter et se contenta de publier en dédiant son oeuvre à son maître, comme il le fera plus tard du Ferment. Un Simple est une oeuvre qui ne porte pas encore ouvertement les thèmes qui seront chers à l'auteur. On pourrait qualifier ce roman d'analyse de naturaliste et le ton et le style témoignent de l'admiration de l'auteur pour Maupassant. Trompé, comme le héros, par la présence d'un vieux professeur, puis de la mère et enfin d'une cousine, femme de l'amant de sa mère, qui, en fait, demeurent des étrangers, on ne sera pas vraiment marqués par la solitude du Simple qui est pourtant totale et amènera au dénouement. C'est très habilement et avec une certaine subtilité qu'Estaunié évoque les milieux dans lequel le drame se déroule. Un premier roman qui ne présente pas de faiblesse de construction ou de naïveté comme cela arrive souvent et qui traite d'un thème, certainement cher à l'auteur vivant lui-même dans l'ombre d'une mère vénérée.     Retour Haut de Page

 

 Le Ferment (1899)

Paru en 1898, Le Ferment est le quatrième roman d’Edouard Estaunié, il y montre une vraie maitrise de son art de romancier. Si l’on peut présenter ce roman comme celui de la critique d’une éducation scientifique desséchée qui livre ceux qui la subissent à toutes les tentations dissolvantes, il est également vrai que ce roman présente une réelle critique, violente, d’une société basée sur l’argent et les inégalités. Bien des passages, tant dans la bouche des personnages que sous la plume de l’auteur en tant que narrateur, sont encore aujourd’hui d’une triste actualité, preuve que rien n’a changé depuis plus d’un siècle et que le progrès n’a fait que présider à une régression (*1, l’homme, faute du supplément d’âme nécessaire, ne sait toujours pas maîtriser son environnement social et l’économie est toujours livrée à l’anarchie de la cupidité et de la corruption, les « porteurs de rolex » tiennent le haut d’un pavé réservé aux parasites et aux nuisibles.  Le cheminement qui mène le jeune ingénieur centralien, des illusions qu’une société de progrès laisse fleurir, à l’amère constat de jungle d’escrocs et de voleurs qui tiennent les commandes tout en faisant progressivement sauter ses réticences morales, est admirablement posé. Démonstratif sans être sectaire comme un Paul Bourget, Estaunié parvient à illustrer son propos de façon réaliste. Le jeune homme qui se refuserait à bénéficier de l’intervention d’une maîtresse devient en deux ans une franche canaille prompte à se justifier et ayant perdue tout scrupules, une franche canaille qui par la trahison prend la place d’une autre en même temps qu’elle fête son premier million. Ce n’est pas par hasard que l’auteur nous entraîne en Belgique lors de l’expérience industrielle de son personnage principal, c’est pour pouvoir nous y montrer un casino qui trône au-dessus des usines, source de corruption, symbole de la malfaisance de l’argent fou. Ce roman décrit une société dure, dans son ton mesuré il est bien plus dur qu’un roman d’Emile Zola qui se laisse toujours emporté par un mouvement lyrique fusse le lyrisme de la misère, du crime ou du désespoir (*2. Toutes les séquelles du mauvais goût romantique, l’enflure en particulier, sont loin ici. Estaunié est un moraliste à la recherche d’une spiritualité, dans ce roman le moraliste l’emporte. Ce qui aurait pu être, œuvre de parti, un lourd pensum romancé est, parce que l’auteur est simplement un homme qui constate et cherche, une œuvre attachante, forte et riche, une de ces œuvres dans lesquelles les écrivains montrent le squelette de leur époque et, parfois, ce faisant, atteignent, comme c’est le cas ici, hélas, à l’universel.

Pour le jeune paysan l’éducation apparaît d’abord comme un raffinement de privilégiés : « Le bien lui paraissait un privilège d’éducation et l’origine de plaisirs orgueilleux. » p 18 Il y a entre les tenants de la justice pour tous et ceux de l’égoïsme des débats tendus : « - Le microbe ignore le but de son travail et nous trouvons cela très simple. En vertu de quels droits serions-nous mieux renseignés ? Nous cherchons le bonheur ; le bonheur n’existe pas ! En allant vers lui nous réalisons inconsciemment l’œuvre voulue par la nature et que nous ignorerons à jamais ; cela suffit.    – Je ne vois là aucune place pour la justice. Telle que les hommes l’entendent.   » p 67 A la fin du chapitre V (pp 65-69) Chenu et Gradoine semblent directement sortis des Démons de Dostoïevski. La réponde Julien, l’égoïste, « En attendant que cet éden fleurisse vous ferez bien de soigner le présent. Pourrie ou non. La société demeure. Il faut en être. » p 68 C’est le narrateur qui porte sur la société ce jugement sans appel qui est d’actualité encore aujourd’hui : « Ici le patron est un groupe anonyme d’actionnaires et ne connaît de l’entreprise que la valeur des coupons ou la cote en Bourse des titres émis. Le Directeur reste invisible. Des hommes qu’il utilise, il ne sait que le rendement commercial dont ils sont susceptibles, et encore qu’ils sont des pièces interchangeables, de conduite malaisée, mais faciles à remplacer. Pour créer un lien moral entre des âmes, il faut un intérêt commun. Il n’y a ici que des numéros jetés dans un certain nombre de cases. Une main les agite avec méthode ; le jeu auquel ils servent et le gain qu’ils procurent ne leur seront jamais de rien. » pp 97-98 Julien continue ses réflexions : « Où donc cette humanité fraternelle qui hante le cerveau des économistes ? L’humanité qu’il voit est séparée en castes. Partout la tyrannie de l’argent ou du nombre, les foules épuisées créant le bien-être de minorités qui les méprisent.  Julien éprouve une colère brusque ; jamais plus qu’aujourd’hui il n’a senti l’insulte de ces pitiés didactiques, compris mieux que ce mot : « la solidarité » est une parade l’excuse pharisaïque d’une société que nul Christ ne pourrait sauver ! » p 98 Dans sa description des solitudes comme celle de Lucien après la disparition de Thérèse, Estaunié semble annoncer Green.  Effrayante comparaison du rural et du citadin issu du premier : « A l’un, on avait ouvert l’esprit, affiné les sens ; patiemment la plante saine arrachée du sol avait été mise en serre, greffée de branches maladives mais d’espèce rare. Ce travail de vingt ans aboutissait là : une façon de contremaitre ayant le seul droit dérisoire de garder ses mains blanches !                                 Le second avait ignoré les délicatesses de l’âme : il ne s’était soucié ni des élégances intellectuelles, ni des problèmes de la morale. Lui aussi, pourtant, avait été payé d’étrange sorte ; sa vie sordide, partagée entre l’effroi de la grêle et les ivresses de cabaret, aboutissait à la ruine. En fin de compte comme la première. » pp 150-151 Rien n’échappe à la critique de Julien, déçu ; « - L’instruction ! panacée destinée à remplacer les religions tombées au rebut ; superstition qui vaut les autres. Plus tard, quand la société prendra conscience de son intérêt, elle rougira d’y avoir cru ! » p 197 Julien a vraiment renoncé à tout sens moral quand il constate désabusé après avoir ruiné son ancienne maîtresse, pauvre « Cette ruine du « petit monde » était une de ces conséquences lointaines et fatales sans lesquelles aucun acte humain ne serait possible. Quand un grand navire passe, il laisse derrière lui des vagues qui cheminent et renversent les barques trop légères ; faut-il, pour cela, lui interdire de marcher ? » p204

 

*1) Lyrisme qui a une force certaine mais qui en matière d’idées, de démonstration, d’observation, est rarement efficace sauf, par exemple, quand il est appliqué aux visions commerciales d’un Mouret (Pot Bouille et Le Bonheur des dames.)    

 *2) On peut aujourd’hui parler de régression puisque tout le fonctionnement de notre économie et de notre finance tend à réintroduire la condition sociale de 1870. Seul a changé l’environnement puisque les imbéciles qui ont présidé à cette mutation régressive ont cru bon de choisir la liquidation à terme, de nos sociétés au profit d’une société esclavagiste chinoise. Quoiqu’il arrive         Retour Haut de Page

 

 L’Epave (1902)

Si onze ans séparent ce livre du premier publié par Edouard Estaunié : un Simple, il n’est que le cinquième roman de cet auteur pas très prolifique qui n’en publiera que trois dont un de nouvelles dans les quinze années qui suivront. Il est vrai que sa carrière littéraire se construisait en marge de sa carrière administrative et industrielle. Dans l’Epave, Edouard Estaunié met en scène, autour de Thérèse Wimereux, quelques personnages que nous retrouverons dans la Vie secrète. Ce roman, quête d’une fille après la mort de son père, philosophe athée, qui fut très proche d’elle, porte de nombreuses interrogations métaphysiques. Le roman est ambigu et peut paraître simpliste à certains égards alors même qu’il porte un débat philosophique bien au-dessus de l’ordinaire du genre. En fin de l’œuvre le testament du savant-philosophe à sa fille résume une conception de la vie, sans dieu, mais faisant à la nature la place belle. « La nature est derrière qui conduit et qui sait » p 223 C’est là personnifier et accorder une intention à la nature, presque la déifier. Comment ne pas l’approuver quand il écrit que le hasard n’existe pas puisque la nécessité choisit inexorablement au milieu d’un très grand nombre de possibilités, faisant des probabilités l’arbitre inexorable. Puis il définit les deux grandes règles qui doivent sous-tendre la morale : la solidarité et l’ordre. « L’inconnaissable est inutile. Le nécessaire est sous nos yeux, mais rien que le nécessaire. » p 222 Voilà qui choque un peu sous la plume d’Edouard Estaunié. Qu’advient-il alors de la recherche du mystère ? « Tout à l’heure nous admirions la vie, c’est la matière vivante qu’il fallait dire.      La matière !... grand mot qui effraye. Gardons-nous de le limiter au sens étroit de certains. La matière est l’éther subtile du physicien, le support du mouvement, cet inconnu dont l’existence est certaine parce qu’elle est nécessaire. C’est ici qu’on doit s’incliner, adorer presque le lien unifiant les manifestations de l’être. … Tout est solidaire … Tout est ordonné … » pp 222-226

On voit dans ce livre une âme livrée aux hésitations. « Pensive, elle se dirigea vers le jardin. Elle songeait aux êtres innombrables la religion console. Pourquoi son père avait-il voulu qu’elle n’en fût pas ? N’aurait-il pas mieux valu, pareille aux pauvres gens, garder la chimère puisque cette chimère suffit à nous guérir ? » p 107 Edouard Estaunié illustre après cette désolation de l’athée face à la mort subie, la mettant en face de la dérision du remède. « Dire que tant de prières demeurent inutiles. Comme ce serait bon pourtant si c’était vrai !... » et la suite p 109

Thérèse se retire, après la mort de son père, dans la maison où il passa son enfance, celle de ses parents. Il y a dans la personnalisation de la maison comme un avant goût des Choses voient. « Ah ! folle qui accusait d’oubli la Maison, quand dès le premier matin, ces lettres lui étaient rendues,… » p 120 « … lui que la Maison avait aimé et retenu !... » p 121 C’est avec peu de moyens et un art simple et sûr qu’il nous montre l’effondrement d’un élan spirituel vers la religion sous le choc de la mesquinerie malfaisante du curé et de ses ouailles. (p 140 – 153) Elle s’adonne un moment au désespoir : « Aujourd’hui, je sens, je vois : qu’on aille ici ou là, le résultat est le même. Il n’y a pas de morale, pas de règle, pas de loi… et c’est horrible ! je doute… » pp 204 – 205

A la fin du testament, le vieux philosophe affirme la force de l’homme qui veut par l’image de l’épave ballotée sur les flots, qui s’accroche, cède, flotte, s’accroche encore, est rejointe par d’autres, avec elles, fait barrage et déroute le cours du fleuve. On évoque au sujet de ce livre Comte et Spencer. Estaunié rejette le cynisme qui semble logique à beaucoup de ceux qui ont renversé les idoles au nom du rationalisme scientifique. Il explore, il sent et veut combler un manque spirituel. Est-ce être encore religieux ? Il n’a pas le sectarisme d’un Bourget, le cynisme d’un Maurras qui ne voit dans la religion qu’un outil, mais il est comme ils le sont ou le seront au cœur des préoccupations de son époque, une des époques les plus profondément révolutionnaires*1, qui voit les grands bouleversements philosophiques, scientifiques, techniques, politiques, sociaux et dans les mœurs, et qui accomplit et bien au-delà 1789.

Pour quelles raisons n’accepta-t-il jamais de laisser rééditer cette œuvre ? Craignait-il qu’on assimile trop vite sa pensée à celle du testament, pensée en évolution, qui ne pouvait être ainsi fixée ? *2 A-t-il eu des doutes sur la qualité profonde de l’œuvre ? Toujours est-il qu’elle est devenue aujourd’hui presqu’introuvable et que bien qu’importante elle serait susceptible de desservir un auteur déjà injustement oublié.

 

*1) Au sens de l’ampleur et de la profondeur des changements. *2) Hypothèse peut-être confirmée par Edouard Estaunié qui, dans ses souvenirs, dit que le testament représentait la seconde étape d'une évolution, la sienne, qui en comporterait trois. ( p 146)            Retour Haut de Page

 

  La Vie secrète (1908)

Certains avouent que ce roman est loin d’être le meilleur d’Edouard Estaunié. Il reprend les thèmes chers à l’auteur : la vie secrète qui tend chaque vie à l’insu des tiers, l’amour qui transfigure et donne un sens même quand il n’est pas partagé, pourvu qu’il soit don. Dans ce roman, Estaunié suit plus de personnages que dans ses autres œuvres et chacun d’entre eux incarne une solitude particulière et appelle un idéal particulier. Que ce soit le vieil égoïste de Lethois et ses fourmis, le curé Taffin et sa sainte Letgarde, Jude Servin et ses rêves de patron socialiste, Mlle Wimereux qui porte l’héritage spirituel de son père ou le vagabond le Pêcheur, amoureux, ou encore Marc, le neveu, sa tante, Mlle Peyrolles et sa « femme » tuberculeuse, le docteur Pontillac, le cynique tous illustrent la vision du monde de l’auteur peut-être avec un peu trop de conviction, de démonstration, si bien que l’on a parfois l’impression de lire une œuvre de combat de Paul Bourget ou une réponse à une de ces œuvres. C’en est d’ailleurs peut-être une et on en a vraiment le sentiment quand on voit la foi de mademoiselle Peyrolles s’effondrer sous le poids de l’injustice et du forfait – du crime - qu’elle lui commande. Cependant, si mademoiselle Peyrolles passe par cette crise et bascule ses croyances de bigote c’est plus par volonté d’être heureuse que par conviction spirituelle.

Il faudrait se pencher sur ses romans supposés ratés de bons auteurs, ils contiennent presque tous l’œuvre en germe ou en révolution et sont pour ceux qui s’attachent aux œuvres les pièces les plus importantes, parfois les plus belles malgré les imperfections dont on les accable. C’est que le roman n’est pas une œuvre d’art comme les autres et que la vie y est plus importante que tout le reste, forme, idées en particulier.  Dans la Vie secrète, Edouard Estaunié élargit son champ, il réussit fort bien à faire passer cette accumulation de faits, petits comme la réception d’une lettre pour l’abbé, plus conséquents comme la maladie mortelle de Lethois ou le retour du neveu pour mademoiselle Peyrolles, importants comme la grève et la destruction de l’usine pour Jude Servin, ce qui arrête le lecteur est plutôt la répétition trop marquée des thèmes principaux qui s’ensuit.

La même chose en plus subtile peut-être, est arrivé à René Boylesve avec le Médecin des dames de Néans et Madeleine jeune femme, au moins dans la première version en volume, la plus connue. On a de la même façon beaucoup reproché Gilles à Drieu. Tous ces romans ont cela en plus de beaucoup d’autres, de se soucier prioritairement de la vie aux dépens peut-être de l’art et de la construction. En matière de roman, l’art seul ne fait pas le chef d’œuvre et je sais des œuvres oubliées à juste titre qui peuvent prétendre à une certaine perfection – dirais-je inutile ? – en ce domaine.

Le roman s’ouvre sur une scène qui fixe impitoyablement le vide et l’inutilité de trois existences au travers de leur partie hebdomadaire de whist, partie durant laquelle apparaissent les préjugés et les égoïsmes de ces morts-vivants en sursis. « Tous trois, réfugiés sur la berge, regardaient passer le grand fleuve de tendresse qui fertilise les cœurs, sans qu’un désir leur fût jamais venu d’y tremper les lèvres. Semblablement, on aurait pu trouver parmi eux ces dégradations religieuses qui, superposées comme les couleurs du prisme, se fondent en une pensée moyenne… » p 15 La société amène ce masque qui fait que l’essentiel de chacun échappe aux autres et c’est un médecin qui pose le diagnostic : « Si vous étiez raisonnable, vous sauriez qu’il n’y a pas de menus faits ni de petites choses. Le mensonge étant la base de tout état social, chacun de nous a pour règle de dissimuler ce qui lui tient le plus à cœur. On habille son être moral pour les raisons qui obligent à vêtir le corps ; et, de même qu’il faut regarder aux ongles pour deviner si celui-ci est propre, on doit creuser le détail pour découvrir si l’âme est nette. » p 72 La justice n’est pas de ce monde, c’est une conviction de l’auteur : « La vie montre rarement de la justice. Et qui est assez sûr de soi pour affirmer un droit ? » p 115 C’est Marc que la sottise du vieux Peyrolles a fait bâtard qui fustige la bigoterie et la sécheresse de sa cousine et de ses semblables : « - J’aime ! … Mon Dieu ! pourrais-je expliquer cela devant vous que la vie a condamnée à rester seule ?… Aimer, c’est donner ce qu’on possède et même ce salut dont vous êtes avare ! C’est accepter sans scrupules et dans la joie l’ivresse de l’étreinte l C’est … Mais ! non ! vous vous êtes refusé jusqu’ au désir ! Dans le spectacle de deux cœurs fondus au même brasier, vous n’imaginez que débauche ! Au … geste d’union souveraine, vous répondez par celui qui sépare. L’enfant lui-même, ce miracle ! vous est odieux … » p 169 Il faut faire un effort, imaginer ce qu’étaient la société et les préjugés, portés et entretenus par l’Eglise et répercutés par une société bourgeoise qui se nourrissait d’hypocrisie à défaut de principes, pour comprendre et la révolte qu’exprime le personnage et les attaques que porte l’auteur contre une morale dépourvue de spiritualité et tout simplement d’humanité. « Un découragement sans bornes l’accablait. Non, personne ne pouvait plus venir à son secours. Ses croyances, l’Evangile, le prêtre, soutiens dérisoires ! Il n’y a d’efficace que ce qui empêche de souffrir. Comme elle souffrait l Plutôt que de souffrir ainsi, mieux aurait valu, comme la Blanchotte, donner tout de suite sa part de paradis… » p 229 L’apogée du pêcheur naît de son sacrifice et Estaunié atteint au lyrisme pour dire la joie du plus mince de ses personnages : « Un cri d’appel, - peut-être un merci. – traversa l’air. Mais le Pêcheur ne l’entendit pas. Assuré désormais qu’elle rebâtirait. Il avait disparu                      Il rôda tout le jour. Enivrement de vivre.               Il rôda jusqu’au soir.               Il n’allait nulle part. Parce qu’il savait devoir coucher très loin, il s’attardait à se griser du pays où il avait poussé, telle une herbe vivace.                     Buissons, garennes, et vous, chaumes dont l’or terni recouvre les vastes champs, maïs dont les houpettes claquent, sentiers cabossés, flaques où dorment les grenouilles, l’auriez-vous reconnu ? Jusqu’à cette heure, pareil aux bêtes qu’il traquait, il n’avait éprouvé ni désir ni chagrin : pour seule raison d’agir, le souci de garer sa peau contre la gerçure du froid ou la cuisson du soleil ; pour seul plaisir, celui de licher du vin sur un coin de table poisseux, tandis qu’alentour les mouches rôdent et J’air pue.                - Chouette. La vie !                                                                    Depuis le sacrifice, il vivait splendidement, hors du monde, très au-dessus. Et sans doute, à le voir passer, on l’aurait cru pareil. Il portait toujours des haillons. Il avait encore la barbe défaite, les cheveux en broussaille, l’air galvaudeux et bancroche. Pourtant, à chaque foulée, des ailes battaient sur son dos. Un vêtement de soleil vêtissait son âme. N’ayant rien à donner, il s’était donné lui-même. Il vivait ! » p 254

La Vie secrète, publié en 1908, suit de six ans l’Epave, dont il est la suite qui peut se lire indépendamment de ce dernier qu’Edouard Estaunié s’est toujours refusé à laisser rééditer et qui est aujourd’hui quasiment introuvable.        Retour Haut de Page

 

 Les choses voient (1913)

Sous couvert de donner la parole aux choses, Edouard Estaunié met en scène un personnage, Noémie Pégu, dont la solitude effrayante annonce les héros de Julien Green au milieu de pauvres et fortes haines provinciales qui pourraient séduire un François Mauriac. L’artifice des objets, une horloge symbole du temps qui passe, un miroir qui reflète l’image des hommes qu’ils ne voient pas, un secrétaire qui enferme leurs secrets, parfaitement réussi, impose à l’auteur le retour à l’unité de lieu : une maison, théâtre et enjeu, amplifie la sensation d’enfermement dans laquelle se débattent des personnages qui ne dominent jamais un destin après lequel ils courent et qui les abat.

C’est au-delà des apparences trompeuses et rassurantes, dans l’intimité des êtres, que se jouent les drames. Le destin et la vie de l’héroïne qui n’apparaît pas immédiatement comme telle, est proprement effrayant et il faut la subtilité de l’auteur pour en rendre acceptable un quotidien insignifiant derrière lequel se profilent haines, amours, ambitions, le second drame n’étant que la répétition et la conséquence du premier.

Analyste subtil, l’auteur s’attache aux interrogations existentielles qui tissent autour des marionnettes du destin des fatalités qui les dépassent et se nourrissent de leurs désirs et de leurs sentiments.

Si la province convient parfaitement comme cadre de ces récits, ils atteignent à une sorte de situation désincarnée qui les fait dépasser époque et lieu. On n’est pas loin ici des huis-clos sartriens.

Le roman, fort et original, se termine par la sortie des deux personnages importants encore vivants qui vont vivre, ailleurs, une vie dont la maison et les lecteurs ne sauront rien.

Le polytechnicien et le scientifique participent à la construction et au style rigoureux du roman. Le récit est tendu par l’angoisse des choses qui reflète et anticipe celle des humains et donne du poids à des existences insignifiantes marquées par leur implacable destin, deux critiques au moins ont parlé à leur sujet de "chœur antique". Ce roman est incontestablement un grand roman dont on comprend mal qu’il puisse être aujourd’hui, comme l’auteur, oublié.  On peut se demander si Proust et Gide n’ont pas contribué par leur notoriété à écraser injustement les plus beaux fruits d’une époque dont ils ne sont que les deux affiches les plus visibles, quelque peu en dehors et loin, l’un comme l’autre, de la résumer.

" Il en est de l'homme tout autrement que des choses. Nous au moins savons ce que. nous sommes, d'où nous venons, pourquoi nous sommes faites. L'homme, lui, s'ignore absolument. Non seulement il ne soupçonne pas son origine et doute de sa destinée, mais le présent lui échappe. Viennent les heures troubles. Il s'épuise à se diriger à travers un torrent de pensées contradictoires. Il cherche encore son chemin qu'il roule, emporté par le courant des faits, entraînant avec lui tout ce qui l'approche. à la fois inconscient du sort qui l'attend et lourd de la destinée d'autrui. " p 53 "- L'amour est un mot dont les hommes se servent pour excuser leurs méfaits. " p 213 " Ce que valent les hommes ? Question plaisante : cela dépend de l'heure où on les voit. " p 216    Retour Haut de Page     

 

 L'Ascension de Monsieur Baslèvre (1921)

Monsieur Baslèvre est mort, jeune, le jour de la disparition de sa mère. Ce jour, un autre a pris sa place qui est monté à Paris, a gravi les échelons d’une austère vie de fonctionnaire, est devenu Directeur au Ministère du Commerce, situation importante où les sénateurs font antichambre dans son cabinet. Il est décoré de la rosette, vit dans un misérable recoin parce que la fenêtre donne sur la place des Vosges qui, dans sa décrépitude de l’époque demeure un spectacle intéressant pour un provincial. Il suffit d’un enchainement de petits incidents pour qu’un jour, un visage entrevu presque par erreur dans son cabinet directorial, le fasse renaître et lui rende insupportable sa vie confinée, gâchée, de vieux haut fonctionnaire célibataire. Edouard Estaunié nous mène pas à pas dans cette vie dont il ne nous laisse rien perdre tant dans sa petitesse que dans sa résurrection. Là où Boylesve, s’attachant à de petites gens, ne visait qu’à nous faire sentir la vie telle que chacun la perçoit, Estaunié va chercher au-delà, dans le mystère des destinées, ce qui fait et défait les caractères, les destins. Il nous montre d’une façon parfaite, au quotidien, les deux faces de l’homme et ce que cache de défaite, de vie gâchée, le succès d’une carrière que tous pourraient envier. Chacun de ses personnages vit de cette double vie et la pauvre et menue Mademoiselle Fouille, au moment où Baslèvre va peut-être, cherchant la consolation dans la moindre humanité, se rapprocher de sa voisine insignifiante s’envole peut-être vers un bonheur inespéré dans l’attente duquel elle a su vivre des années.

La dernière phrase du roman est : « On aurait cru aussi que, tout bas, la morte répondait : - J’ai fait de toi une âme ! » L’ascèse par l’amour, la spiritualité retrouvée par l’amour désintéressé, celui qui donne, voilà qui pourrait faire croire que Estaunié se dirigeait ver le catholicisme, pourtant rien de plus athée que ce roman où le néant montre souvent le bout de son nez et où l’on a malgré tout le sentiment que la vie après la mort n’est que celle qui vit de la vie des survivants, du souvenir. L’ascension réelle est bien celle qui mène à la vie spirituelle, ici par la voie de l’amour et non celle du « mort » de la première période de Baslèvre, celle qui voit sa réussite dans la carrière. Intéressant chez un écrivain qui fut en même temps un grand commis de l’état.

Rarement certainement avec une telle économie de moyens un auteur a su rendre le déchirement des destinées dans leur secret si secret que même les intéressés n’y ont pas ou rarement accès. Moins flamboyant que Les choses voient, l’Ascension lui est certainement supérieur par ce dépouillement du récit qui annonce si bien certains écrivains « modernes » que l’on considérera comme des classiques, un Camus par exemple.             Retour Haut de Page

 

 L’Infirme aux mains de lumière (1923)

Ici point de passion ni de haine. Dans ce court roman, - j’ai pensé en le lisant à une de ces soties de Gide, les plus simples, Isabelle ou la Symphonie pastorale, - l’auteur nous montre la vie d’un petit personnage, vie obscure, solitude totale, impossibilité d’aimer, sacrifice ambigu. Opposition entre le monde des villes et celui de la campagne qui rend plus sensible, ne permettant pas l’oubli, cette solitude dans le silence effrayant de la nature. Mais ne sent-on pas qu’il n’y a dans la ville qu’illusions ? L’auteur au passage dit en quelques phrases l’horreur des petites haines de la bureaucratie, des univers confinés des administrations provinciales où les interlocuteurs ont une vie pour se haïr.

" Je suis toujours surpris de la facilité avec laquelle nous découvrons les mobiles quand il s'agit d'indifférents. Dommage que pareille clairvoyance s'envole, dès que nous sommes en cause. " p 24 "- Avez-vous vécu dans un village vous ? Non? Dans ce cas, comment sauriez-vous ce qu'est le repos dont vous parlez ? Pas d'autre bruit que celui des vers dans une poutre ou du vent a travers les tuiles du grenier ; la sensation de l'abandon au creux d'une immensité d'ombre, le naufrage au sein d'un océan de terre où tout vibre sans que rien ne bouge ... On ne peut même pas appeler au secours, tant on a peur qu'un simple cri fasse couler le navire! Et partout l'obsession de la mort, d'une mort que l'on devine se promenant sous la fenêtre, et qui a hâte de vous prendre, parce qu'elle aussi s'ennuie ... " pp 72-73 " - Quand on n'a plus de rêve à soi, quand on a pour passé une existence gâchée, pour avenir la seule perspective d'une fin solitaire, trouver ailleurs un rêve intact paraît miraculeux. On en approche comme d'une merveille infiniment fragile. On se mire à sa lumière. On tremble de la ·briser. Il n'est pas à vous, c'est possible... mais il est tout de même de la beauté, c'est-à-dire quelque chose à sauver pour la beauté du monde. " pp 145 - 146 " Le fait est que je n'ai même pas eu  à choisir le chemin où je m'engageais : un instinct mystérieux, incompréhensible, me poussait. Je lui obéirais encore ... Il y en a qui qualifient cela : faire son devoir. D'autres disent : suivre sa destinée. Qui a raison? Je ne cherche pas à le savoir. Il est curieux de voir combien du passé - parce qu'il est précisément du passé - compte peu. En revanche, une question me tourmente, insoluble d'ailleurs et qui vous fera sourire : où cela conduit-il ? Après le jeu qui va finir, un autre reprendra-t-il ? Que dois-je trouver, une fois mort : de nouveaux devoirs ? une récompense ? ou le néant ?" pp 174 - 175 " Mon pauvre ami, qui découvrira jamais le sens de la vie ?"  p 176 " Tant d'injustices exigent un Dieu : soit : mais suffit-il d'avoir besoin de justice pour l'obtenir ?" p 179             Retour Haut de Page

 

 L'appel de la route (1923)

Renonçant au romancier omniprésent qui sait tout de ses personnages sans révéler de quelle façon, dans ce roman, Edouard Estaunié choisit de donner la parole à trois personnes qui, chacune connaissant un pan de l’aventure, vont nous présenter, pour les deux premiers, chacun un récit des mêmes évènements vus au travers de protagonistes différents et, pour le troisième, la conclusion au travers de quelques survivants meurtris de l’aventure. Il se justifie de ce hasard : « J’ai toujours pensé que si une intelligence humaine était en mesure de percevoir les millions d’aventures individuelles qui s’entrecroisent à une heure donnée, la notion de hasard s’effacerait pour elle ... » p 53 Le sujet de cette œuvre est la souffrance. Dès les premières pages, les conteurs en débattent, l’un d’eux affirmant que la fin des hostilités – la guerre de 14-18 – marque le retour à un état de guerre individuelle. Souffrance inévitable puisque : « … mais est-ce que les hommes ont besoin de vouloir pour faire souffrir : il leur suffit d’exister ! » p 185 La recherche de la vérité est menée comme une enquête policière, l’intérêt pour « l’affaire » passant d’un conteur à un autre et d’un personnage à quelques autres. Qu’importe la vérité, ce qui compte c’est cette sorte de fatalité du malheur, de la souffrance, qui va dérouler son intrigue. La conclusion sera tirée dans le dernier chapitre, récit du dernier conteur, par l’abbé, frère du personnage principal et la victime. La souffrance détache l’homme des réalités ordinaires et le porte vers l’infini. C’est elle qui fait naître en lui. Comment ne pas voir dans ce roman une étape du questionnement de l’auteur qui, dans sa quête d’une spiritualité « laïque » va le mener à la conversion ? L’existence de la souffrance, de la douleur, n’est-elle pas pour certains l’obstacle pour l’acceptation d’un Dieu alors même qu’ici, l’abbé en fait au contraire la marche d’accès au sentiment d’immortalité, par le désir « d’une autre justice, dans la lumière. » Ce n’est que bien après la parution de ce roman qu’Edouard Estaunié se convertira.

Dans ce roman, on retrouve le rôle prépondérant de la mère, la maternité envahissante, l’œuvre d’Estaunié en témoigne comme sa vie. « C’est un fait que, si convaincu soit-on de la faiblesse humaine, une mère demeure à part et pour ainsi dire au-dessus des réalités de la chair. Inviolée, inaccessible, elle plane dans un ciel qu’aucune tempête n’a troublé ou obscurci. Il n’est pas de pire détresse que de renoncer à ce sentiment auguste qui, au cours de l’existence et quelle que soit celle-ci, permet toujours à l’homme de se retrouver enfant. » p 171 Quel bonheur que cette tirade pour un psy ! Dans Un simple le héros se suicide pour échapper à l’effondrement de l’image de la mère, ici, il fuit en Afrique, dans la légion, quand il a la révélation de la faute de cette dernière, même si un protagoniste dit que « tout cela est bien peu de choses », tout le roman dit le contraire. L’amour est à la hauteur des sentiments filiaux, ce qui ne manque pas de logique : « L’amour est un sentiment très pur, doux comme le miel, profond comme la mer, ivresse de l’âme devant laquelle l’autre, fusion que le temps n’atteint pas, car, dès le premier instant, elle s’est promis l’éternité. » p 111 Pour Edouard Estaunié, l’amour est une des voies de l’éternité et du bonheur. Boylesve ne nourrissait-il pas la nostalgie de cette illusion ? Pas plus que Boylesve, mais certainement moins directement, Estaunié n’ignore pas que l’amour n’est pas toujours, il s’en faut, cette source de félicité. D’ailleurs c’est parfois par des voies bien détournées que le bonheur arrive ainsi pour Monsieur Baslèvre. Ne pensons pas trop hâtivement que nous sommes en face de gens trop naïfs. Qui n’a pas connu ces amours qui ne font qu’effleurer le réel et qui « enchantent » la vie, même des pires libertins ?    Retour Haut de Page

 

 Le Labyrinthe (1924)

 Le narrateur et personnage central de ce roman a commis un acte qui le place en situation difficile avec sa conscience alors même qu’il tient le serment fait à son père de rembourser toutes les dettes de la faillite de la banque familiale vieille de dix ans. Son mariage d’amour est lié à cet acte qui entraîne un mensonge difficile à assumer surtout quand il doute si sa femme en a eu connaissance. Rapidement, il sera empoisonné par ces doutes qui vont le ronger dans un face à face avec celle qu’il aime. Devant ce récit d’un homme tourmenté par sa conscience et la peur de perdre une femme aimée, on pense à plusieurs reprises au Dostoïevski de Crime et Châtiment, un Dostoïevski francisé, chez qui on ne débouche jamais sur des excès mais où l’on affronte un destin auquel on ne peut échapper selon un cheminement patiemment analysé.  Il est vrai, également, que le drame n’est pas le même et on n’a pas affaire à un étudiant meurtrier risquant sa vie, mais à un homme à scrupules tentant de se défendre contre ses propres démons. « On ne rencontre pas pour les autres, un passé qu’ils ignorent. Le passé est en nous. Il est la frontière qui nous isole, même de la tendresse. » p 208 « En effet, les paroles comptent peu : on est libre d’y mettre n’importe quoi, et en particulier ce que l’on veut qui soit. Les pensées, au contraire, se respirent : aucune volonté ne parvient à les farder. » p 230    Retour Haut de Page

 

 Tels qu’ils furent (1927)

 Ce roman se présente comme une biographie, celle d’un enfant, orphelin, élevé par sa tante sous la protection patriarcale d’un oncle, frère de cette dernière. Le récit commence par la figure tutélaire de l’aïeul et de son aventure lors de la révolution française, à l’origine peut-être de la fortune familiale. Au travers de cette œuvre, nous avons plus un tableau des mœurs de l’époque, d’une classe, la bourgeoisie provinciale, que l’analyse de l’éducation de l’enfant dont les grands principes font cependant partie du tableau. L’auteur ne juge pas, même si à l’occasion il place dans la bouche de l’enfant narrateur des mots ironiques. « Tels qu’ils furent », tel il faut les accepter, après tout, ils n’étaient pas si mauvais que cela, il nous le dit dans une courte préface, élément plutôt rare dans son œuvre. La mémoire de l’enfant nous emmène d’évènement à évènement, cela aère un texte solide, bien charpenté, qui laisse l’impression d’une œuvre forte, ce qu’il est et dont le ton est assez atypique dans l’œuvre d’Edouard Estaunié. Les personnages sont vus de l’extérieur, pas jugés : « De ceux dont je souhaite ressusciter les mœurs, les goûts et les plaisirs, rien ne subsistent plus. Ma génération partie, qui saura qu’ils existèrent ? » Leur époque était celle de l’empire, le second, comme l’épisode des allemands à Dijon le montre. Les mœurs évoluaient où étaient mises en cause parfois et, dans les familles, ceux qui passaient outre la règle disparaissaient, n’avaient jamais existé, ainsi de la tante Marie, de la cousine Aurélie, Louis, l’oncle si sévère, lui, se préservait en n’épousant pas la servante qui avait pris la place de sa femme. La fin du roman est particulièrement forte, la tante Adèle meurt, pour des principes ? des principes qui craquent parfois, par amour de sa fille ? l’enfant devient adulte ou presque, au fil des évènements qui se sont précipités, il a pris une place qui ne lui serait jamais revenue ainsi dans d’autres circonstances. La partie de cartes chez tante Adèle, avec l’oncle Louis, le chanoine Morillot et le juge Tacotin rappelle celle de la Vie secrète.

« Le front encadré d’anglaises exprimait la sécurité apaisée de ceux qui se sentent aussi certains de leur propre salut qu’inquiets de celui des autres. » p 28 (Tante Adèle) Claudine, la servante, retraitée des parents du narrateur, sollicite un emploi chez tante Adèle pour veiller sur lui : « La sachant sûre, économe et discrète, tante Adèle à son tour, avait daigné agréer la demande, mais rogné sur le gage : il n’est pas mauvais, quand on est bienfaisant, d’alléger son train de vie si l’occasion s’en présente. » p 34-35 « De sa vie, tante Adèle n’a manqué la première, – (messe) -  qui se disait à six ou sept heures, suivant l’époque, et toujours elle m’y emmenait, faute sans doute de pouvoir y conduire Mouchette. - (la chatte) » p 39 « Nous allons à la révolution », entend l’enfant, il consulte un dictionnaire : révolution : « Mouvement circulaire des corps célestes dans l’espace. » « Faute d’expérience, on arrive à trouver aux murs d’une prison l’immensité d’un horizon. » p 41 « Dans une famille qui se respecte, le nombre des unités vivant sous un toit, ne se mesure pas au remue-ménage du logis. » p 55 « Le réverbère qui est fixé à la façade Loubette venait de s’allumer. La silhouette d’Aurélie dessinée en ombre chinoise m’apparut légèrement tassée, comme courbée sous le poids des appréhensions qui l’agitaient : on eût dit que déjà devenue vieille femme, elle revenait d’un long voyage à travers des chagrins. Il y a des instants où, d’avance, on réalise l’image de ce qu’on sera. » p 158 « Tante Adèle continuait bien de parler devant lui – (l’oncle Louis) – famille, intérêts, devoirs à remplir : seulement, ce qui était jadis conseil des ministres, ressemblait plutôt à un bavardage de chefs de bureau où la broutille aide à cacher l’essentiel. » p 191    Retour Haut de Page

 

   Madame Clapain (1932)

Qui pouvait mieux qu’Edouard Estaunié aborder ce genre particulier du roman policier ? Il semble que tout contribuait dans sa façon d’écrire à l’amener un jour à cette tentative. Un style presque sec, précis, méthodique et une recherche permanente du mystère qui est le cœur du roman policier. Personne n’est plus insignifiant que les deux sœurs Cadifon qui survivent frileusement à Langres *1 après que leurs économies aient fondues au gré de l’inflation de l’après première guerre mondiale qui ruina des centaines de milliers de petits rentiers français et qui témoignerait encore aujourd’hui de la connerie de la retraite par accumulation si chère aux escrocs et aux vampires du palais Brognard et à leurs complices de la droite libérale *2. Personne sauf peut-être Madame Clapain que leur sœur Angélique Mirot leur envoie comme pensionnaire et par qui arrive la discorde entre les sœurs, mais s’entendaient-elles ? et le drame s’installe sans faire de bruit, sous fond d’inquiétudes mesquines. Edouard Estaunié excelle à décrire les tourments des deux vieilles filles, leur entourage frileux qui disparaît à la moindre alerte, les petits vampires de province, commissaire beau gosse, voisine sordide dont les agissements « immobiliers » ne sont pas sans rappeler Boylesve par la querelle autour d’une maison, puis, dans le pays où les entraîne Madame Clapain morte, Blaizot, un milieu campagnard où couvent les intrigues sous les secrets mal gardés. Madame Clapain encore plus mystérieuse morte que vivante assurera sa prise sur une des deux sœurs Cadifon, Ida, et c’est cette dernière qui pérennisera son œuvre criminelle. Edouard Estaunié, se renouvelant dans la forme en abordant le genre policier, le fait de façon originale et y transplante ses thèmes favoris. L’amour transfigure, par le seul choc que son approche en donne, la vie de ceux que son aile effleure fusse à la façon de Ida, qui ne l'aurait pas connu et n'a fait que le croiser sans s’y être abandonnée, proie d’un jour d’un bellâtre. Incontestable réussite ce roman marque la possibilité pour un auteur de se renouveler sans se trahir et nie par sa réussite l’ostracisme à l’égard d’un genre qui ne manque pas de lettres de noblesse. On a parlé de Dostoïevski au sujet de ce roman, par la profondeur que l’auteur sait donner à ses personnages. Alors ce serait un Dostoïevski bien français, analyste fin, observateur attentif, prompt à détecter comme dans le reste de son œuvre la réalité sous l’apparence, Estaunié appartient par ce roman à la classe de ces auteurs qui savent créer une ambiance parfois lourde – comme le séjour à Blaizot de Ida ou la campagne de presse de Langres – à partir de quelques éléments ou, seulement parfois, d’une ambiance subtilement suggérée.

« Mais les êtres humains sont ainsi faits : les mots qui les atteignent se colorent de leurs propres sentiments, et nous n’entendons jamais que nous-mêmes, quand un autre nous parle. » p 252 Abordant la rencontre, l’affrontement, du docteur Joudelot – conseiller général, intrigant louche – et du commissaire Dancy, l’auteur écrit : « Deux générations séparées par la, guerre s’affrontaient là : l’une embourbée dans le trafic des petits intérêts, des gains au compte-goutte et des ruses à la minute, l’autre pratiquant à visage ouvert le dédain de l’obstacle qui gêne et décidée à jouer hardiment le jeu de la vie ; la première, âprement accrochée à une importance sociale conquise à force de labeur méthodique et sournois, la seconde, plus soucieuse des réalités immédiates que  des espoirs à longue portée et dépourvue de respect pour les situations acquises. »    pp259-260 Intéressante observation d’un homme qui appartient, par son âge, à la première génération et qui, par son service aux armées durant la guerre doit se sentir solidaire de la seconde.

 

 *1) Ce sont les évêques de Langres qui fondèrent Dijon d’où est originaire Edouard Estaunié, la ville, plantée sur un piton rocheux qui garde le passage vers l’est, est une ancienne ville fortifiée très bien conservée et, au plan climatique, une des plus froides de France.

*2) La droite libérale et la bourse n’ont jamais fait que rêver de disposer d’une énorme masse de fric à détourner dans les magouilles boursières pour faire jeu égal avec les escrocs de Wall-Street qui jonglent avec le fric des fonds de pension quasiment hors de tout contrôle – on sait qu’à Wall-Street on peut se faire contrôler par un vague cousin ou un beau frère sorti de je ne sais où pour détourner tranquillement des dizaines de milliards. Rien de moins sérieux que les organismes mafieux de contrôle américains. Le vrai fondateur du libéralisme est Al Capone fondateur de la société en commandite simple « Al Capone-Bush-Obama et Fripouilles associées ».          Retour Haut de Page

 

 Souvenirs (1973)

Je déteste les mémoires, si Estaunié donne aux siennes le titre de souvenirs c’est qu’elles ne sont, heureusement, que cela.  L’auteur ne se soucie pas de nous montrer dans un récit linéaire qu’elle fût l’importance et la beauté de sa vie et de ses carrières, il se souvient et quels souvenirs ! Pour ceux qui penseraient que l’auteur était un doux naïf, un polytechnicien farfelu – presqu’un pléonasme – qui à coté de la folie mateuse égrenait des naïvetés spirituelles en se désolant des insuffisances de la raison et du rationalisme, ses rencontres, ses fréquentations, ses amitiés marquées par sa pensée, ses recherches, devraient donner à réfléchir. Nous sommes loin des célébrités artificielles de notre pauvre et triste époque qui prend des Bernard Henri Lévy ou des Houellebecq, saltimbanques de seconde zone, pour des penseurs. Les noms que l’on retrouve dans ces souvenirs égrenés avec simplicité, sont ceux de Pierre Curie *1, Henri Poincaré *2, Le Dantec *3, Lucien Herr *4, et combien d’autres presque tous aussi prestigieux qu’une époque livrée à la médiocrité comme la notre, n’aurait même pas su discerner. Les préoccupations d’Estaunié et d’un certain nombre de ses correspondants ou amis sont des plus sérieuses et toute société n’étant pas livrée à la débauche des mots et surtout des images et à l’insignifiance, les nourrirait encore. Mais chez nous, la nécessité de paraître à définitivement chasser non seulement toute quête spirituelle, mais aussi toute logique et tout raisonnement. Si le monde d’Estaunié est étranger à notre époque c’est que nous sommes déjà morts. Qu’importe que l’auteur se soit converti ou non, ce mot ne signifie rien quand on sait sa démarche, sa quête, c’est en elle qu’il est intéressant et quiconque s’y attache demeure libre de ses choix. Estaunié n’est pas l’homme triste que certains ont décrit, Maurice Martin du Gard, Julien Green par exemple qui ne l’ont connu que de l’extérieur. Sérieux conviendrait mieux si à ce mot n’était attaché trop souvent un caractère péjoratif, d’ailleurs si des écrivains étaient de ses amis, Rod, De Curel, Hervieu, les philosophes partageaient avec lui beaucoup de préoccupations comme ce fut le cas de Félix Le Dantec.

En dehors des données intellectuelles et spirituelles, Estaunié crée une certaine surprise en rapportant sa position dès l’origine de l’Affaire Dreyfus. Il semble qu’assez rapidement il ait compris qu’il n’y avait là qu’une machination de bureau qui pouvait mettre le feu à la maison si on s’y accrochait. Le fait de connaître un proche du Colonel Henry ne l’a en rien fait changer d’avis au contraire, il a été un des premiers dreyfusard. La rencontre, plus tard, avec Dreyfus amène de sa part le commentaire suivant : « … je songeai avec mélancolie à la distance incroyable qui peut exister entre un bouleversement mondial et l’être lui servant de prétexte. » p120 qui corrobore assez bien ce que tous ceux qui ont approché la Victime ont constaté : Dreyfus aurait pu être antidreyfusard (au plan de la défense de l’Etat-major).

Les deux évocations les plus intéressantes sont peut-celles de Le Dantec et de Mlle Korn *5. Le Dantec parce qu’avec cet athée Estaunié semble avoir eu une sorte d’échange intime, un échange dans lequel les deux hommes qui suivaient des voies différentes, miraient en l’autre une figure d’eux-mêmes qui les entretenait dans l’insatisfaction et la précarité de tout choix fut-il « définitif ». « Il est superflu d’expliquer que je n’ai jamais été philosophe, surtout si l’on entend par là que l’on se complaît dans l’usage d’un jargon hermétique, destiné le plus souvent à recouvrir la pauvreté du contenu. » p 146. Mlle Korn pour qui Estaunié semble avoir eu de l’admiration représente assez bien une belle figure d’héroïne estaunienne en ce qu’elle renferme une part secrète de solitude : « … oserai-je affirmer que la solitude dans le bien est peut-être l’une des plus cruelles, l’une aussi les moins avouées ? » p 192 Enfin on ne saurait oublier l’histoire de Musotte qui met un peu de fantaisie dans ces souvenirs.

Le travail éditorial de Georges Cesbron, Maître de Conférences puis professeur à l’Université d’Angers, auteur de nombreuses études, est tout à fait remarquable.

 

*1) Pierre Curie, (1859-1906) physicien, prix Nobel 1903 avec sa femme Marie et Pierre Becquerel. Travaux sur les radiations qu’évoque Edouard Estaunié.

*2) Henri Poincaré, (1854–1912) Mathématicien, cousin du tristement célèbre Raymond, ses travaux contribuèrent à poser une nouvelle vision de l’univers au-delà des certitudes matérialistes du 19ème siècle.

*3) Félix Le Dantec, (1869-1917) Biologiste et philosophe athée.

*4) Lucien Herr, (1864-1926) Bibliothécaire de l’Ecole Normale supérieure, socialiste, co-fondateur de la Ligue des Droits de l’homme et du journal l’Humanité, Lucien Herr exercera une très grande influence sur son époque.

*5) Mademoiselle Korn (1864-1938) note de Georges Cesbron : « Employée à l’administration des postes puis à la Caisse d’Epargne postale dont elle devint directrice en 1911 eut une activité sociale intense … » p 177

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