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LES ŒUVRES : Leurs oeuvres

 

 

ROMAIN GARY

ou l'Espoir à en mourir

1914 - 1980

 

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Bibliographie

Messagerie : ( Bourgeois.andre@9online.fr ) ( Français seulement, les pièces jointes ne sont jamais ouvertes. )

Petite biographie                        Citations           

 

Romain GARY et Pierre DRIEU la ROCHELLE

 

Toute la vie de Romain Gary est une lutte pour l'espoir, une lutte qui devient une lutte contre le désespoir. L'image de la mère chez Gary, c'est celle de la lutte. J'ignore pour quelle raison il s'est suicidé. Ses derniers livres étaient encore plus grinçants que les autres. Certains préfèrent trouver l'explication dans Au-delà de cette limite... cela me semble un peu court. Je me propose de compléter ces citations au fur et à mesure de ma relecture de cette œuvre que je considère comme une œuvre importante d'un écrivain pour qui l'écriture était une façon de survivre et que ni la gauche, ni la droite, bien embarrassée d'un tel "énergumène", ne revendiquent.

Encore et seulement un petit mot sur la soi-disant mondialisation culturelle. Il ne faut pas tout confondre comme certains le font. Il y a, et c'est très regrettable, uniformisation des cultures au niveau des cadres de vie. Le Coca-cola coule à flot sur les hamburgers de MacDonald arrosés de sauce ketchup sur toute la planète et des décervelés sortant des grandes écoles jouent et perdent des millions qui ne leur appartiennent pas sur les Bourses mondialisées en reniflant de la poudre blanche pendant que les imbéciles dont l'argent se dissout se précipitent dans les embouteillages pour respirer le gaz carbonique qui tue lentement la planète. Cet appauvrissement par mondialisation est assez triste. Mais le brassage culturel donne tout autre chose. Romain Gary, d'origine juive et slave, français par choix, presque à moitié américain, européen, est un exemple heureux de ce brassage qui ne débouche pas sur l'uniformité mais sur l'enrichissement. Quoi de plus français que cette œuvre où d'aucuns pourraient relever un désespoir espoir messianique russe, un humour noir juif, et une verve et bien d'autres qualités françaises ou d'ailleurs... D'ailleurs, rien ne sert de se livrer à ces exercices, je ne le fais que pour répondre aux imbéciles qui pistent partout les "origines", personnellement il me suffit de découvrir une voix pathétique, qui résonne d'un son unique qui est de ma famille, la grande famille littéraire et dont je n'ai pas à rougir!

 

 Myriam Anissimov nous donne une importante biographie de Romain Gary. Romain Gary est un auteur et un personnage sortant de l'ordinaire. C'est un livre riche, précis, très documenté, qui sera certainement une base pour tous ceux qu'intéresse l'homme derrière l'auteur. Entre autres, cet ouvrage permet de faire table rase de cette idée stupide que j'ai si souvent entendue : Romain Gary se serait suicidé parce que, selon son ouvrage, Au-delà de cette limite ..., il avait des difficultés dans sa vie amoureuse. Idée facile mais insuffisante à laquelle ne se sont certainement jamais arrêtés ses lecteurs sérieux.

Myriam Anissimov - Romain Gary, le caméléon, Denoel, € 31,50.

 

VOIR ROMAIN GARY

L'I.N.A. nous propose entre autres, pour 5 €, Apostrophe, l'émission de Bernard Pivot du 13 juin 1975, "La sexualité des hommes ", à laquelle Romain participa pour présenter son livre " Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable " et à laquelle participaient également Claude Laurent (Cécile-Saint-Laurent), Jean Freustié, et deux sexologues.

 PETITE BIOGRAPHIE

Romain Kacew (Gary), est né en 1914à Vilnius alors russe. Il vit à Moscou jusqu'en 1921, puis en Pologne à Wilno puis Varsovie. Il arrive, avec sa mère, en France, à Nice, en 1927. Il raconte cette partie de sa vie dans La Promesse de l'aube.

Licence en droit, en 1938 il fait son service militaire dans l'aviation. Il rejoint les Forces Françaises Libres à Londres où il intègre l'escadrille Lorraine. Tchad, Abyssinie, Libye, Syrie, il termine la guerre avec le grade de Commandant et publie en 1945 l'Education Européenne, qui reçoit le Prix des critiques et épouse à Londres, la même année Lesley Blanch. Compagnon de la Libération, il entre dans la diplomatie et occupe divers postes de Secrétaire, Conseiller d'Ambassade, puis Porte-parole à l'O.N.U. avant de devenir en 1956, Consul Général de France à Los Angeles. Il reçoit deux fois le Prix Goncourt, une première fois pour Les Racines du ciel, en 1956, une seconde fois, cas unique, sous le pseudonyme de Emile Ajar en 1975, pour La vie devant soi. En 1962, il épouse la comédienne Jean Seberg dont il se sépare en 1970 après avoir divorcé de sa première femme. En 1962 il tourne comme auteur réalisateur Les oiseaux vont mourir au Pérou, et en 1972 Kill. En 1965, il publie Pour Sganarelle, Recherche d'un personnage dans lequel il développe ses conceptions de la littérature. Entre espoir et désespoir, dans une vision qui fait toujours place à un humour grinçant, Romain Gary nous donne une vision de notre monde, souvent très en avance sur son époque.

Romain Gary se donnera la mort le 2 décembre 1980.

Il est un des derniers " grands écrivains français " du vingtième siècle.

Les oeuvres

 Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable.  Je n'avais jamais lu ce roman, le titre m'en déplaisait et le sujet ne m'attirait pas, que beaucoup l'aient lié au suicide de l'auteur me déplaisait également et je m'en faisais une fausse idée qui m'en éloignait. L'auteur nous invite à le suivre dans l'exploration de la marche vers l'impuissance. Impuissance sexuelle, mais également impuissance des sociétés décadentes. Romain Gary a côtoyé tout au long de son œuvre, le désespoir et l'espoir qu'il lui est arrivé d'afficher est un antidote bien fragile. Je me souviens que fermant un de ses derniers livres, pas celui-là, j'ai eu la certitude qu'il allait se tuer. Il y a parfois entre lecteur et auteur un lien intime qui basé ou non sur des malentendus établi une sorte de complicité qui peut sembler correspondre à la réalité. Avec Romain Gary, quelle réalité ? Je suis certain qu'il y a sinon malentendu, connaissance imparfaite de la part du lecteur que je suis. Un écrivain tel que Romain Gary se trouve au fil de l'œuvre et de sa vie qui n'est pas moins compliquée, prit dans une énorme toile et il est difficile sinon impossible pour qu'un tiers puisse se diriger là où l'intéressé a peut-être parfois eu quelques difficultés à se retrouver. Ce livre que je me suis finalement décidé à lire à la suite de la vision de l'opus de la célèbre émission de Bernard Pivot, Apostrophes, consacrée à l'impuissance. Gary y dominait sans effort les autres participant tout comme son livre domine encore aujourd'hui les leurs - je les ai lus à l'occasion. C'est une œuvre serrée, dans laquelle l'auteur fait ressentir avec force un thème qui manifestement l'intéresse beaucoup et dans laquelle il lie les deux impuissances - la personnelle, sexuelle et la sociale, économique, l'une liée au vieillissement de l'individu l'autre à la décadence qui n'est que la manifestation du vieillissement d'une société. L'écriture y est de qualité, l'intérêt ne se relâche jamais et il y a dans le personnage principal une densité qui ne peut laisser indifférent. J'ai fait quelque part un parallèle entre Drieu la Rochelle et Gary, ce thème de l'impuissance et de la décadence leur est commun mais il est vrai qu'il a hanté Drieu, pour des raisons qui tiennent à la guerre de 14-18-, durant toute sa vie. Gary met d'ailleurs en avant l'aspect personnel de l'impuissance là où Drieu place au contraire au premier plan l'aspect sociale allant même jusqu'à en faire l'objet de nombreux essais. Si ce roman témoigne d'une thèse, c'est celle de l'incertain qui marque le suicide. Le héros joue avec cette idée, qui lui donne un grand regain passager et illusoire de force. Je suis certain, peut-être parce que je l'ai connue, que cette situation est partagée par beaucoup de suicidés et autant, peut-être plus de rescapés. C'est une sorte de roulette russe dans laquelle certains entrent plus franchement que les autres, (au gré de sa nécessité ?), mais qui laisse toujours au moins une petite chance au hasard.

"Pour la première fois de ma vie d'homme je m'observais plus dans l'étreinte que je m'oubliais, et me sentait au lieu de sentir." p 40, (La numérotation des pages est celle de l'édition dans la collection Soleil de Gallimard) "... vivre est une prière que seul l'amour d'une femme peut exaucer." p 41, Une ancienne maîtresse lui disait : "Lorsqu'un homme commence à guider d'abord ma main et ensuite ma tête, je sais qu'il n'en a plus pour longtemps." tandis que "... trompée" par les préliminaires elle dit : "... je ne sais pas comment tu fais tu es vraiment une force de la nature ..." pp 45 et 47

  Le vin des morts (2014)   

C'est une œuvre étonnante que ce roman jusqu'ici inédit, constitué en fait d'un ensemble de nouvelles dont le thème est commun : la ballade dans un souterrain peuplé de squelettes vivants ; l'outre-monde qui n'est que la continuation - en pire - de celui-ci. "- Si j'avais su que tout cela allait continuer encore de ce coté, fit la voix de la femme, traînante, j'aurais continué à vivre. J'aurais pas ouvert le gaz !" p 76. Inspiré ainsi que nous le dit Philippe Brenot qui présente et a établi cette édition par un conte d'Edgard Poe, ce premier roman, écrit à l'âge de 19 ans par Romain Gary, annonce bien le style et le ton qui sera celui des romans d'Emile Ajar, second cycle de la vie littéraire de l'auteur. Le coté "farfelu" de l'œuvre, le ton du conte, fait passer sa noirceur et son quasi réalisme. On pourrait invoquer Jarry à son sujet, le situer également entre Rabelais et les surréalistes, mais le ton reste très personnel. Beaucoup de thèmes sont abordés au fil des rencontres que fait dans sa ballade des squelettes, le héros, Tulipe, que l'on retrouvera dans l'œuvre de Romain Gary. Ecrit dans un style vif, souvent dialogué, ce roman porte déjà tout le pessimisme de l'auteur que l'on retrouvera crescendo dans l'œuvre à venir.

"- Oui, reprit le troisième squelette, elle a un cœur d'or, cette sœurette ! " Pour en revenir à Noémie, qu'elle me dit, elle est bien malade, cette fille !" " C'est rien, que j'dis, c'est le poumon ! C'est pas avec ça qu'elle travaille !" " Oui, qu'elle m'dit, mais elle tousse. Ça fait peur aux clients. Ils croient que c'est la chaudepisse !" " La chaudepisse que j'dis. Mais elle tousse de quoi, sœurette ? De la bouche, hein ?" " Des deux, sœurette, des deux !" Alors, j'me suis sentie bien triste et j'ai même pleuré, parce que je l'aime bien ma petite Noémie et voilà-t-il pas qu'il lui arrive une chose pareille !"  pp132-133

" L'endroit était particulièrement humide et froid. Leur haleine s'élevait au-dessus de leurs bouches, formant une vapeur bleuâtre, comme s'ils fumaient. Les capuchons cachaient entièrement leurs visages. L'échine pliée, ils tiraient, tiraient toujours sur la corde raide ...    A... aa... a...        - Qu'est-ce que vous faites là ? demanda Tulipe, en ôtant poliment sa casquette. Hein ? une dure besogne, pour sûr !    Un moine répondit en dressant la tête :     - Tu vois bien : on branle le bon Dieu.    - Tss... s'étonna Tulipe. Tss... Quelle affaire ! Et il met beaucoup de temps à jouir ? ....." p 145

 

  Education européenne (1945) : Prenant pour cadre la résistance polonaise dans les forêts, Education européenne, qui se présente comme un roman est en fait une suite de contes dont certains, allégoriques, écrits par un étudiant résistant. Dans ces forêts on vit dans des trous sous la neige, le roman se déroule dans l'hiver 1942. Le fil conducteur est l'histoire de Janek, fils du docteur Twardowski qui se fera tué en attaquant une villa où les nazis enferment pour en faire des prostituées, des femmes polonaises en espérant faire sortir les résistants des bois. "Rien d'important ne peut mourir" tel est le message du docteur à son fils, avant de disparaître. Partout en effet des hommes luttent, c'est la bonne face de l'Europe dont les nazis représentent la mauvaise. Cette Allemagne qui vient mourir sur la Volga sous le bec de deux vieux corbeaux russes qui regardent flotter les cadavres. Deux mythes scandent la vie des partisans, le mythique partisan Nadejda et la bien réelle bataille de Stalingrad objet des récits allégoriques. Janek se serre dans son trou contre Zosia qui, depuis qu'elle a découvert ce qu'est l'amour, ne se donne plus aux soldats allemands pour les espionner. Il n'aura pas fait que cette rencontre, il aura également trouvé la musique même auprès d'un vieil allemand, fabriquant de jouets, soldat pour plaire à son fils nazi et qui meurt sans se faire d'illusion sur l'oraison funèbre qu'il obtiendra de ce dernier. Mais ce n'est que vers la fin du livre qu'il découvrira ce qu'est l'Education européenne : une fameuse éducation, qui permet de tuer en trouvant "de bonnes raisons, bien valables, bien propres." (p 237)* Dès cette première œuvre le désespoir est présent qui sera la marque de l'auteur, profond, bien au-delà de la littérature. Education européenne, écrit en 1943, sera publié par Penguin books en 1944 en anglais (Forest of Anger) La publication de la version française fera connaître Romain Gary dans le monde des lettres. Il reçu le Prix de la critique en 1943.

Dieu : " Peut-être qu'il est très malheureux. peut-être que ça ne dépend pas de lui. peut-être qu'il est très faible, très vieux, très malade. Je ne sais pas." p 74* (Zosia) "- Comment sera-t-il ce monde nouveau ? - Il sera sans haine. - Il faudra tuer beaucoup de gens, alors ... - Et la haine sera toujours là ... Il y en aura encore plus qu'avant." p 101* Janek et Zosia  "Pourquoi les Allemands nous font-ils ça? - Par désespoir. Tu as entendu ce que Pech a dit, tout à l'heure? Que les hommes se racontent des jolies histoires, et puis ils se font tuer pour elles, ils s'imaginent qu'ainsi le mythe se fera réalité... Il est tout près du désespoir, lui aussi. Il n'y a pas que les Allemands. Ça rôde partout, depuis toujours, autour de l'humanité... Dès que ça se rapproche trop, dès que ça pénètre en vous, l'homme se fait allemand... même s'il est un patriote polonais. La question est de savoir si l'homme est allemand ou non... s'il lui arrive seulement de l'être parfois. C'est ce que j'essaie de mettre dans mon livre. Tu ne me demandes pas le titre? - Dis-le-moi. - Ça s'appelle Education européenne, C'est Tadek Chmura qui m'a suggéré ce titre. Il lui donnait évidemment un sens ironique... Education européenne, pour lui, ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes... Mais moi, je relève le défi. On peut me dire tant qu'on voudra que la liberté, la dignité, l'honneur d'être un homme, tout ça, enfin, c'est seulement un conte de nourrice, un conte de fées pour lequel on se fait tuer. La vérité, c'est qu'il y a des moments dans l'histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l'homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre. a besoin d'une cachette, d'un refuge. Ce refuge, parfois, c'est. seulement une chanson, un poème, une musique, un livre. Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu'en l'ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu'ils sachent qu'on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu'on n'a pas pu nous forcer à désespérer. Il n'y a pas d'art désespéré - le désespoir, c'est seulement un manque de talent. »  Chapitre 14 de l'édition définitive.

* Edition du Livre de poche. 1962

Les trésors de la mer rouge.

Voilà un titre qui cache bien ce que nous propose l'auteur ! Gary, patriote, combattant de la France libre, amoureux de la France, par sa mère, nous emmène au fin fond de l'enfer de Djibouti, le Territoire des Afars et des Issas, l'enfer sec, salé et chaud, domaine des serpents et du kat.

 

EUROPA

Europa est certainement le livre le plus important de Romain Gary, le plus dense et celui dans lequel ceux qui s'attachent à lui le reconnaissent le plus. C'est un livre qu'il considérait lui-même comme tel et dont l'insuccès le contraria beaucoup. Des critiques tels que Rinaldi passèrent complètement à coté de ce livre, ce n'est pas étonnant et ce serait plutôt un gage de qualité, si l'aveuglement des imbéciles n'était pas parfois très douloureux aux vrais créateurs! Je relis aujourd'hui avec beaucoup de plaisir ce livre rare par sa qualité, par son intensité, par la façon dont sont mêlés thèmes personnels et généraux. On peut avoir l'impression de lire un de ces livres d'homme cultivé, sans grand intérêt autre que la montre, mais à chaque page quelque chose nous renvoie ailleurs, à l'essentiel de Romain Gary, à ses fêlures comme à celles de l'Europe. Je le relis dans l'exemplaire de la collection soleil que je me suis procuré et qui me renvoie aux années soixante et premières années soixante-dix, à un autre monde dans lequel le libéralisme n'avait pas encore semé malheur, chômage et haines. Je le relis dans cet exemplaire en attendant comme tous ceux qui considèrent Gary comme infiniment plus intéressant que la pauvre Sarraute, espèrent que Gallimard se souviendra de son auteur pour la pléiade ce qui est quand même plus facile pour cet éditeur que le courage ne caractérise peut-être pas que d'y remplacer l'étron Céline         par         Drieu!

"Danthès savait que depuis que l'homme existe, il a toujours pris pour des réponses les échos de ses propres questions, ce qui avait donné naissance à l'art. Il considérait donc toutes les interrogations angoissées au clair de lune et autres interpellations du "mystère d'être", comme un regrettable laisser-aller et un manque de tenue, pour ne pas dire de dignité. Il n'avait cependant que de la sympathie et même une profonde gratitude envers ces picaros inspirés qui s'étaient donné mission d'entretenir l'illusion et avaient ainsi enrichi la vie de tant de beauté." page 9 et suite, le temps ...

"Je me sens inventé, imaginé, pensé par un tout autre personnage que moi même ..." p21

Mon but n'étant pas de constituer des pages de citations de Romain Gary ce qui indisposerait fort à juste titre son éditeur et ses ayant droits et le nombre de citations à faire de ce livre étant très élevé, je préfère renvoyer à sa lecture ceux que cela intéresse.

 

 CLAIR DE FEMME

Ce court roman, on pourrait dire ce chant, tourne autour du couple, du désespoir, et de la volonté de ne pas céder, de vaincre les singes qui là haut s'amusent à nos dépens. Publié en 1977, ce texte appartient autant à Gary qu'à Ajar ou, plutôt, Kacew comme écrirait P. Brennot, l'éditeur du Vin des morts auquel il fait souvent penser. On comprend combien il peut être lié à la vie privée de l'auteur, combien il peut être un cri de rage. Il est peut-être ce qui réconcilie - en vain - dans le désir de ne pas être vaincu, l'auteur avec lui-même. On sent des forces puissantes, qui appartiennent à toutes les époques au-delà la pseudo modernité qui - de tous temps - n'a jamais été qu'un aveu d'impuissance et de stérilité.

 Les Mangeurs d'étoiles.

Un dictateur, quand il verse dans l'irrationnel et qu'il n'est pas mû par la simple cupidité plutôt réservée aux grands démocrates, peut ressortir de l'imaginaire d'un peuple. C'était le cas d'Hitler que cela fasse ou non plaisir aux bienpensants d'aujourd'hui pour qui il ne fut qu'un phénomène monstrueux sorti d'on ne sait où ! Il est d'ailleurs un des héros du dictateur que nous fait suivre Romain Gary dans ce roman important. José Almayo, persuadé par des générations de prêtres espagnols, renforcés par des prédicateurs protestants américains, de l'existence d'El Señor, le Diable, et de sa parfaite maitrise de la terre et des humains, va faire tout ce qu'il faut pour obtenir sa protection. L'Indien, issu d'un peuple de victimes mangeurs d'herbes à plaisir et oubli, accède au pouvoir par sa cruauté. Il doit demeurer l'homme du mal pour conserver la protection de ce patron irrationnel. Quand la révolte menace de l'emporter, il décide de faire fusiller sa propre mère et sa maîtresse américaine. Sacrifice au Diable autant que manigances pour provoquer l'intervention des Américains, qui, on s'en souvient peut-être, à l'époque où Romain Gary publie ce livre, sont le soutien de tout ce qu'il y a de plus nauséabond en Amérique latine. Les choses ne se passent pas toujours comme prévu, Almayo demeure un amateur d'illusions et il va ainsi vers sa fin. Dans ce roman dense, Gary nous conte avec talent et une sorte d'humour désespéré qui lui est propre, une aventure qui n'a rien d'invraisemblable. Si je devais trouver une parenté de ton, ce serait dans le Kaputt de Malaparte, le plus grand roman du XXème siècle. "Il savait échapper à la réalité. Un très grand artiste incontestablement, car il n'est sans doute pas d'art et de talent plus grands en ce monde." p  38 "Un gangster qui a réussi semble toujours un homme exceptionnel, mais presque toujours, ce qui est exceptionnel, ce n'est pas l'homme, mais la réussite." p 67 " Si quelqu'un venait vous demander ce qui ferait le plus de plaisir au Diable, que lui diriez-vous ? - Je ne sais pas, dit-il. Tout lui plaît. Tout ce que nous faisons. Il aime tout ce que nous faisons. Il aime tout ce que nous faisons, oui. Il aime la misère, la maladie, il aime nos gens qui sont au pouvoir. Il les aime beaucoup. C'est lui qui les a mis là parce qu'ils ont fait tout ce qu'il fallait pour lui plaire. C'est le Diable qui commande ici et c'est pourquoi il n'y a pas d'espoir." p 114 " Personne n'a encore jamais réussi à vendre son âme, mon bon monsieur. Il n'y a pas de preneur. C'est encore un de ces faux espoirs dont on nous berce pour nous encourager à persévérer." p 154 " Charlie Kuhn lui avait dit un jour que tout le monde finissait par se contenter de music-hall, sous une forme ou une autre, en vieillissant ; c'était la sagesse, la résignation. " p 237 " Il n'avait vraiment pas l'air humain, et cela faisait toujours plaisir. " p 240 " Les Simbas mangeaient leurs prisonniers blancs et noirs après les avoir torturés. Les Allemands les transformaient en savon. La différence entre les Simbas, barbares et les Allemands civilisés était tout entière dans ce savon. Ce besoin de propreté, c'est la culture. " p 261 " La vie humaine, ça existe un peu partout. En fait, le monde est si plein de vie humaine qu'il y a des gens qui commencent à en avoir par dessus la tête et qui voudraient bien avoir quelque chose d'autre pour changer ... quelque chose de propre ..." p 271 " Car après tout, il n'existait pas d'autre authenticité accessible à l'homme que de mimer jusqu'au bout son rôle et de demeurer fidèle jusqu'à la mort à la comédie et au personnage qu'il avait choisi. " p 289

 Les Trésors de la Mer Rouge.

Voilà un titre qui cache bien ce que nous propose l'auteur. Gary, patriote, combattant de la France Libre, amoureux - par sa mère - de la France, nous emmène au fin fond de l'enfer de Djibouti - le Territoire des Afars et des Issas, - l'enfer sec, salé et chaud, domaine des serpents. Le trésor, c'est l'illusion dont Gary nous entretient souvent. Il nous montre les soldats perdus de l'Empire, ceux qui ont cru aux mots, pour qui les slogans étaient des idéaux, ceux que la débâcle a parfois jetés dans la folie - une folie voulue, décidée, - parce qu'on ne peut survivre qu'à ce prix, dans une illusion ultime. On pourrait écrire un livre semblable - si l'on disposait du talent de Gary, - avec certains communistes, également rescapés dévastés d'une énorme escroquerie. " Ah ! qu'on me fasse la charité de croire que rien, en moi, ne pleure les réalités du colonialisme, mais que tout en moi, crève parfois de regret au souvenir de toute la beauté humaine et de tant de sacrifices et parfois de sainteté dont nous avons nourri nos mensonges, le regret de tout ce qui aurait pu être et n'a pas été." page 62

C'est une sorte de pamphlet triste que nous donne Gary. Les salauds du colonialisme - après que les saints aient crevé comme des chiens galeux, réprouvés, sont encore parmi nous par certaines institutions. Ce sont les députés de l'UMP, ce parti de toutes les impostures - qui voudraient faire voter des lois sacralisant les mensonges coloniaux, la vénalité et la cruauté cupide de leurs aïeux reprises à leur compte. C'est la vieille banque des Intérêts français, rebaptisée Union Européenne Industrielle et Financière, affichant ainsi cyniquement, quand elle changea de nom le nouveau domaine dans lequel elle déploiera sa saloperie et bien d'autres sociétés et banques issues des Compagnie coloniale, concessionnaires, esclavagistes et assassines, celles que dénonçaient déjà André Gide avant la seconde guerre mondiale. Cette vérité des soldats perdus, la pseudo gauche, ancrée dans ses préjugés sectaires, ancrée sur une doxa aveugle, est incapable de la comprendre parce que, pur elle, au fil de ses trahisons multiples, il n'y a qu'une vérité, celle qui donne, croit-elle, bonne mine à Judas. Elle n'avait également nullement envie, cette gauche de la grande trahison, nulle envie de faire payer les voleurs du colonialisme, de leur faire rendre gorge, alors que les héritiers siègent peut-être en face d'eux à l'Assemblée Nationale. Le colonialisme a été une saloperie dont les colonisés n'ont pas été les seules victimes et les voleurs, les tueurs d'hier sont les mêmes libéraux qui, aujourd'hui, nous vendent aux mêmes puissances du fric et mènent une fois de plus, l'Europe à une catastrophe. 

 Gloire à nos illustres pionniers.

Les seize nouvelles de ce recueil tournent autour d'un thème commun, explicitement décliné dans plusieurs d'entre elles : les hommes ne sont pas encore là, tout juste connaît-on quelques pionniers. Ils arriveront plus tard, quand la raison et d'autres bons sentiments, l'auront emporté. Sur la quatrième de couverture, Gary précise en écrivant : " Le phénomène humain continue à m'effarer et à me faire hésiter entre l'espoir de quelque révolution biologique et quelque révolution tout court ..." Très cohérant, ce recueil ne dépaysera pas les lecteurs de Romain Gary. L'auteur manie très bien le genre en raison de sa capacité à faire entrer totalement le lecteur dans chaque histoire dès la première ligne. Une force certaine ressort de la brièveté de  ces récits dans lesquels le narrateur ne perd jamais de vue son thème et oblige le lecteur à le suivre. Le nombre des histoires, de ces malheureuses aventures, fait force de preuve et même l'illusion de certains de ses héros, tels le marchand de jouet des habitants de la Terre, parvient à pénétrer le lecteur au-delà d'une épouvantable réalité. Ce recueil fort et condensé est un des meilleurs livres de Romain Gary.

 

 

 CITATIONS

(Rappelons que pour ces citations, extraites de romans, ce sont des personnages qui parlent. Elles sont parfois là pour nous donner une idée des techniques de dérision qu'emploie l'auteur.) Il y a dans ces pages deux sortes de citations, celles qui m'ont semblé intéressantes parce que reflétant certainement quelque chose de la pensée de l'auteur, et celles qui devraient donner envie de le lire, car c'est bien là le but de ces pages Romain Gary : donner envie de le lire.

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LES RACINES DU CIEL

"Nous avons vécu longtemps dans le coton moral, mais les nazis, les communistes ont fini tout de même par nous donner l'idée que la vérité sur l'homme était peut-être chez eux, et non pas sur les terrains verts d'Eton. Je ne sais pas trop pourquoi je dis "nous" en parlant de tout cela, mais je veux marquer, simplement, qu'il y a eu et qu'il y a peut-être encore beaucoup d'imbéciles dans mon genre en Angleterre. Il est possible que ce qu'on appelle la civilisation consiste en un long effort pour tromper les hommes sur eux-mêmes - et c'est ce qu'a fait l'Angleterre. Nous croyons profondément à une certaine décence élémentaire chez tous les hommes. Mais je veux bien admettre que nous sommes peut-être des survivants d'une époque révolue, et que le poids des réalités ignobles nous fera bientôt disparaître de la planète, un peu comme les éléphants, tenez. »

Le jésuite lui jeta un regard perçant, mais le malade ne semblait pas attacher un sens particulier à cette comparaison." (Chapitre XIV)

"Peut-être avait-il senti ce qu'il y avait de contradictoire entre la sympathie que ces mots trahissaient et la seule fraternité dont lui-même se réclamait, celle des étoiles. Mais il savait aussi que les contradictions sont la rançon de toutes les vérités à peu près humaines.". (Chapitre XV,)

"J'avais envie de lui dire; « Monsieur le Député, j'ai toujours rêvé d'être un noir, d'avoir une âme de noir, un rire de noir. Vous avez pourquoi? Je vous croyais différent de nous. Je vous mettais à part. Je voulais échapper au matérialisme plat des blancs, à la triste religion des blancs, à leur pauvre sexualité, à leur manque de joie, à leur manque de magie. Je voulais échapper à tout ce que vous avez si bien appris de nous et qu'un jour ou l'autre vous allez inoculer de force à l'âme africaine - il faudra, pour y parvenir, une oppression et une cruauté auprès desquelles le colonialisme n'aura été qu'une eau de rose et que seul Staline a su raire régner, mais je vous fais confiance à cet égard: vous ferez de votre mieux. Vous allez ainsi accomplir pour l'Occident la conquête définitive de l'Afrique. Ce sont nos idées, nos fétiches, nos tabous, nos croyances, nos préjugés, notre virus nationaliste, ce sont nos poisons que vous voulez injecter dans le sang africain... Nous avons toujours reculé devant l'opération - mais vous ferez la besogne pour nous. Vous êtes notre plus précieux agent. Naturellement, nous ne le comprenons pas : nous sommes trop cons. C'est peut-être ça, la seule chance de l'Afrique. C'est peut-être grâce à ça que l'Afrique échappera à vous et à nous. Mais ce n'est pas sûr." (Chapitre XIX) 

"C'était évidemment une éminente entreprise de ce monde, vouée irrémédiablement aux mêmes bassesses et aux mêmes compromissions que toutes les autres." (Chapitre XX)

"Les démocraties utilitaires d'aujourd'hui comprennent mal; ce genre de proclamations têtues et désintéressées de dignité et d'honneur humains." (Chapitre XXIII)

"Il y avait là un rêve de grandeur et de puissance destiné à suivre la trace de tous les autres rêves de grandeur humaine dans la poussière des chemins." (Chapitre XXV)

"On commence par dire, mettons, que les éléphants c'est trop gros, trop encombrant, qu'ils renversent les poteaux télégraphiques, piétinent les récoltes, qu'ils sont un anachronisme, et puis on finit par dire la même chose de la liberté - la liberté et l'homme deviennent encombrants à la longue..." (Chapitre 28)

"Il avait d'ailleurs la ferme et étrange conviction qu'il ne mourrait pas dans un accident, mais d'un cancer de la prostate ou de l'anus. Il était incapable de dire d'où lui venait cette certitude. Peut-être de l'idée qu'il se faisait de la condition humaine." (Chapitre XXXIII) 

"Ce sera un grand jour pour 1'Afrique quand elle célébrera la disparition de ses derniers grands troupeaux. Nous garderons quelques spécimens dans des cages, pour que nos petits-enfants sachent ce que fut le passé, et qu'ils puissent juger avec fierté du chemin parcouru. Il faut qu'on cesse de nous considérer comme un coin où le merveilleux a été oublié un peu plus longtemps qu'ailleurs, et dont les habitants, pour être heureux, n'ont besoin que d'une banane, d'un sexe, et d'une noix de coco... J'ai été éduqué en France, dans le pays le plus civilisé du monde, et j'ai siégé pendant des années sur les bancs du Parlement français... Pouvez.vous imaginer ce que peut être, ici, ma solitude?"  (Chapitre XXXVI)

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CHIEN BLANC :

"Je ne suis pas découragé. Mais mon amour excessif de la vie rend mes rapports avec elle très difficiles, comme il est difficile d'aimer une femme que l'on ne peut ni aider, ni changer, ni quitter." Dernière page.

"C'est tout de même triste lorsque les Juifs se mettent à rêver d'une Gestapo juive et les Noirs d'un Ku-Klux-Klan noir..."

"Je ne suis pas une nature généreuse puisque je ne pardonne jamais rien et oublie encore moins." (ChapitrV)

"Les idéologies posent avec de plus en plus d'urgence la question de la nature de notre cerveau chaque fois qu'elles croient poser celle des sociétés." (Chapitre VIII bis)

"Cette ruée au pillage est une réponse naturelle d'innombrables consommateurs que la société de provocation incite de toutes les manières à acheter sans leur en donner les moyens. J'appelle « société de provocation » toute société d'abondance et en expansion économique qui se livre à l'exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines le luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu'elle provoque à l'assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu'elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit." (Chapitre VIII bis)

"Il est soûl », affirma solennellement Saint-Robert, et c'était un peu vrai, bien que je ne touche jamais ni à l'alcool, ni à la marijuana, ni au L.S.D., parce que je suis trop acoquiné avec moi-même pour pouvoir tolérer de me séparer d'une aussi agréable compagnie par le truchement de la boisson ou de la drogue. Mais je me soûle d'indignation. C'est ainsi d'ailleurs que l'on devient écrivain." (Chapitre XV)

"J'écris pendant une heure ou deux : cette façon d'oublier... Lorsque vous écrivez un livre, mettons, sur l'horreur de la guerre, vous ne dénoncez pas l'horreur, vous vous en débarrassez..." (Chapitre XX)

"J'émets une sorte de ricanement haineux. Les grenades qui explosent au loin prennent soudain un sens lumineux. J'essaie  de me calmer, je me dis que la Bêtise, c'est grand, c'est sacré, c'est notre mère à tous, il faut savoir s'incliner devant Dieu. La vraie connerie crasse, avec des implications gynécologiques. Ces pouffiasses qui refusent qu'un Noir les touche » me font penser à une fille, il y a trente-cinq ans, qui avait d'abord repoussé ma main en murmurant : « Non, non, si vous me touchez, je perdrai la tête. » (Chapitre XX)

Au sujet de ce roman de Romain Gary, je voudrais signaler la phrase finale d'un commentaire trouvé sur un site Internet et que je trouve quelque peu étonnant :

" Cette fable vraie a un(e) valeur de symbole. C'est, malgré l'impuissance à résoudre les vrais problèmes, le défi contre toutes les résignations défaitistes. "

Il y a un bon moment que j'ai relu ce livre, mais il a pour moi un caractère particulièrement désespéré. Transformer un " chien blanc " en " chien noir ", est en effet le genre de choses à vous faire désespérer d'une humanité qui n'en finit pas de ne pas comprendre. La seconde citation extraite ici de ce roman est particulièrement claire. Pour moi, vieux lecteur de Romain Gary, nombre de ses romans sont des œuvres désespérées et je me souviens qu'en lisant certains d'entre eux, les derniers parus, je ressentais la peur du suicide de cet homme que j'aimais au travers de ses écrits et dont le cheminement me semblait hélas, inexorable.

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POUR SGANARELLE (Frère Océan, Recherche d'un personnage et d'un roman)

Ce que développe ici Romain Gary, c'est la conception d'un roman rendant compte de la vie multiple, à l'inverse des romans de l'époque qu'il appelle à juste tire "totalitaires". Il ne nie pas le droit du romancier de s'enfermer dans une vision, dans un système, ce qu'il conteste c'est la prétention à l'universel de telles visions. C'est d'ailleurs ce par quoi ces romans vieillissent : l'étroitesse de leur vision qui engluent l'homme et la littérature dans des systèmes qui ne les "contiennent" pas. Toutes les citations qui suivent proviennent des premiers chapitres du livre, je recommande aux lecteurs éventuels intéressés de s'y reporter pour la suite si l'idée qu'ils s'en font ici leur en donne la curiosité.

"L'art a tous les droits de nous choisir comme il lui plaît, et de nous dépayser, mais la supercherie cesse d'être simplement artistique lorsque le choix délibéré d'un rapport de l'homme avec l'univers prétend nous définir et nous contenir, lorsque cette entreprise de dépaysement prétend nous révéler l'authenticité de notre patrie. Elle devient alors un charlatanisme philosophique qui consiste élaborer la singularité psychique individuelle de l'auteur en une définition fondamentale de la "situation" humaine. Il ne s'agit plus d'arbitraire dans un but d'art : il s'agit d'art dans un but arbitraire."  (Chapitre 2)

"...roman total et non totalitaire : c'est cependant  le roman totalitaire qui domine l'histoire de la fiction en Occident depuis Kafka. Totalitaire, c'est-à-dire à l'opposé du total : soumission au lieu de maîtrise. Kafka, Céline, Camus,  Sartre enferment l'homme et le roman dans une seule situation, une seule vision exclusive. Ils nous clouent dans la fixité absolue et donc autoritaire, irrémédiable, de leur définition sans appel, dans une « condition » sans sortie : Kafka dans l'angoisse de l'incompréhension, Céline dans la merde, Camus dans l'absurde, Sartre dans le néant et tous leurs disciples combinés dans l'aliénation, l'incommunication, ou dans une irréalité littéraire recherchée par névrose obsessionnelle de la réalité historique. La soumission de l'œuvre à une directive philosophique absolue qui exclut ou minimise tout autre rapport de l'homme avec l'univers en tant que source possible d'un « sens » est implacable. (Chapitre 2)"

"Au départ de l'aventure, le romancier Sganarelle est un Valet au service d'un seul Maître, qui est le Roman. Les valeurs, les idéologies, les situations, les sociétés, les mondes habités, l'Histoire sont utilisés, exploités par le romancier à vocation totale selon la nature de son talent et les exigences de l'œuvre qu'il entend accomplir, comme un peintre choisit les couleurs dominantes dans un souci qui n'est pas celui de servir les couleurs, mais uniquement le tableau. S'il y a philosophie, celle-ci frappe par son absence de caractère totalitaire : elle est élaborée à l'intérieur de l'œuvre, elle ne domine ni l'ensemble ni même tous les personnages, mais seulement certains d'entre eux, une contre-philosophie apparaît toujours devenant source du conflit, les idées sont beaucoup plus celles des personnages que celles de l'auteur et sont « séparables » de l'œuvre, en ce sens seulement que l'œuvre leur survit." (Chapitre 2)

"Toutes les prises de conscience à l'origine du marxisme ont reconnu une part royale à la liberté qu'ignore toujours le maximalisme des suiveurs aveuglés par la lumière, comme toutes les taupes." (Chapitre 3)

"L'œuvre est une libération provisoire du romancier aux prises avec la Puissance, libération, d'abord, du romancier menacé, provoqué, assiégé, et ensuite du lecteur tout autant prisonnier. L'art et le roman sont une conquête de la liberté, le création d' œuvres libératrices, dans un but toujours frustré de libération absolue de l'homme dans la réalité.

C'est ici que nous tombons de front sur une des objections les plus hypocrites, les plus impudentes et les plus malhonnêtes, sans doute, de toute l'histoire étoilée du charlatanisme littéraire, et il me semble qu'il ne soit guère possible d'aller plus loin dans l'escroquerie intellectuelle, lorsqu'il s'agit de l'imagination et de l'imaginaire. Et il va sans dire que cette « objection de conscience» au roman "traditionnel" est formulée au nom de l'intégrité, de l'honnêteté et de la vérité. Imprimée d'abord par M. Robbe-Grillet, elle a recueilli la bénédiction de Mme Nathalie Sarraute et de Sartre, et l'on ne parlerait là que de jeu, de naïveté, ou de sophisme si ces auteurs ne mêlaient à cette pitrerie la question de l'honnêteté et de l'intégrité du romancier, de la «vérité » et de l'"authenticité", ce qui en fait une assez infâme tartuferie. Comment, se demande M. Robbe-Grillet, ce dernier représentant parmi nous de « l'art-honnête homme », comment un romancier, qu'il soit Tolstoï, Stendhal, Dostoïevski ou Balzac, ose-t-il essayer de nous faire croire qu'il est partout et en tout, qu'il sait ce qui se passe dans la tête de Fabrice et de tous les Karamazoff, à Waterloo et dans dix lieux à la fois, bref, de quel droit, se demande notre romancier de l'honnêteté, ose-t-il jouer Dieu? Un tel roman, un tel romancier « jouant Dieu» doivent être - goûtez ce mot - « récusés ». Désormais, nous informe avec un aplomb imperturbable notre corpuscule littéraire parfaitement ahurissant, ce n'est plus un romancier Dieu qui nous fera du roman, c'est un homme, un romancier Homme."

..." J'invite vivement le lecteur à se procurer ce livre s'il est intéressé par les idées de Romain Gary. Suit par exemple à ce texte l'exécution des tartuffes... pour notre plaisir. (Chapitre 3, pages 32/33 de l'édition en collection blanche chez Gallimard)

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LES ENCHANTEURS :

"Il avait compris que le plus grand don qu'un artiste désireux de s'attirer les bonnes grâces du public pouvait faire à ce dernier c'était l'illusion, et non la vérité, car celle-ci a souvent de fort mauvaises façons, n'en fait qu'à sa tête et ne se soucie guère de plaire.

- Souviens-toi, mon fils, que l'on ne peut rien contre la vérité, aussi désagréable, menaçante et cruelle qu'elle soit, mais on peut toujours tout contre ceux qui vous la disent... et alors, c'est la misère, quand ce n'est pas la prison ou même pire." (Chapitre 1)

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Bibliographie