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LES ŒUVRES : Leurs œuvres

 

 JOSE CABANIS

Toulouse 1922, 2000

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Publications des Amis de José Cabanis

 

Messagerie : bourgeois.andre@9online.fr ( Français seulement, les pièces jointes ne sont jamais ouvertes. )

 

Oeuvres littéraires

 

L'histoire  

 

Bibliographie 

 

Une dédicace               

 

L'œuvre romanesque  

 

Journaux       

 

Etudes et essais

 

Qui êtes-vous, Monsieur Cabanis ? 

 

José Cabanis, Une Vie d'écrivain

 

 

Lien : Hommage de Marc Fumaroli        

 

            LE CAOUSOU

 

Sur José Cabanis 

 

  RENE BOYLESVE ET JOSE CABANIS

 

Merci, Monsieur Cabanis

 

José Cabanis est mort en 2000 à l'âge de soixante dix-huit ans. Ecrivain discret mais de grand talent, il semble qu'il n'ait pas les honneurs d'Internet où je ne trouve à part celui de l'illustre Académie, pas de site le concernant. Issu d'une longue lignée de notaires mais son père ne l'étant pas au contraire de René Boylesve dont seul le père l'a été, José Cabanis ne consacra pas toute sa vie à la littérature, s'il écrivit assez tôt, il avait trente ans quand il publia l'Age Ingrat, il fut inscrit dix ans au barreau de Toulouse puis il exerça le métier d'expert près des tribunaux. Il avait fait des études de philosophie et de droit. Il sera élu à l'Académie Française en 1990 au fauteuil 20 où il succédera à Thierry Maulnier, fauteuil assez pauvre dont il sera, immortel, avec Bussy-Rabutin le plus illustre occupant. José Cabanis, grand lecteur, est nourri de " classiques ", Pascal, Saint-Simon, Michelet, Rousseau, Chateaubriand, Sainte-Beuve, mais aussi sinon de contemporains de prédécesseurs proches : Martin du Gard et le cercle des auteurs de la NRF, Jouhandeau, Proust, Mauriac et Green. Il en donnera quelques livres intéressants, vivants et souvent pénétrants qui le placent parmi les meilleurs commentateurs critiques de sa génération. Il meurt après avoir fait preuve d'un certain détachement vis à vis de son œuvre, la postérité aurait tort de le suivre dans ce recul, les années cinquante à quatre vingt dix n'ont pas été si riches pour la littérature française qu'elle puisse se payer le luxe d'oublier un écrivain de qualité aussi attachant. José Cabanis a eu le souci de son œuvre en ce sens qu'il l'a travaillée comme il se doit, bien, remettant autant de fois que nécessaire l'ouvrage sur le bureau. Ce qu'il n'a pas fait, c'est en assurer ce qu'on appelle aujourd'hui : la promotion. Il n'a pas posé à l'homme de lettres là où il fallait. Pire, à la première critique vive, il a cessé d'écrire des romans. Il était un romancier très doué. Certes, le biographe qui a été ainsi libéré vaut par son originalité, par sa rare capacité à restituer le vivant dans une époque qui sacrifie bien trop à la lourde pédanterie thématique des professeurs. L'œuvre demande quelques soins. Il aurait fallu répondre aux critiques aveugles du Monde et du Figaro, leur montrer ces fils qui lient les petits romans du second cycle et qu'ils n'ont pas su nouer. J'avoue cependant que je préfère l'homme qui est resté chez lui et que je comprends celui qui a renoncé aux romans puisqu'il retrouvait le bonheur d'écrire ailleurs. Il y a une chose qu'ignore le lecteur et encore plus le critique : c'est qu'ils ne sont pas nécessaires. Enfin, il convient de ne pas oublier que José Cabanis tenait pour essentielle sa foi. Elle n'a pas été le support de toute son œuvre et l'Age Ingrat, par exemple, n'en est pas marqué. Elle n'a pas été non plus de ces fois aveugles et intransigeantes qui séparent les croyants des autres hommes, ou qui nourrissent un prosélytisme envahissant, mais bien plutôt évangélique au sens d'ouverture et de compréhension, marquée par une expérience de jeune homme qui lui ouvrit définitivement les yeux sur un monde qui n'était pas celui de sa naissance. Seule cette foi me sépare, mécréant déterminé, de lui, elle ne me gêne jamais.

.Dédicace de la version définitive de l'Age ingrat (1990) à Jacques Brenner :

 

" Cher Jacques, Voici ce que j'écrivais au temps de notre bel été ( je n'étais pas gai ) et notre automne est venu sans qu'il y ait à le déplorer puisque notre sympathie est devenue profonde amitié ..."

 

Lecture et critique

 

" Je n'ai jamais pensé être disciple de personne ; cela ne m'empêchait pas de beaucoup admirer. "        José Cabanis (1)

 

J'ai découvert l'œuvre de José Cabanis il y a bien longtemps par l'ensemble romanesque l'Age Ingrat. Je la relis pour pouvoir en parler. J'en avais gardé le souvenir d'une œuvre originale et prenante. Pour la petite histoire, je l'avais lue dans ce gros volume orange de la collection Soleil, c'est le même que j'avais repris et il me semble encore qu'il y avait une sorte de connivence entre le papier de ce livre, un peu épais, d'un blanc légèrement jaune et son contenu, une connivence que je ressens encore en l'évoquant, je pense que certains lecteurs comprendront cette sensation. Je suis cependant passé à la dernière édition revue par l'auteur dans le volume même qu'a lu Jacques Brenner, du moins c'est ce que permet de penser la dédicace et le fait qu'il a manifestement déjà été lu. Je n'avais jamais abandonné Cabanis, après le premier contact par l'Age ingrat, j'avais régulièrement retrouvé ses livres, soit les courtes fictions soit ceux qu'il consacrait à l'histoire littéraire récente, une histoire à laquelle je suis assez attaché puisqu'il s'agit de celle d'écrivains de la proche mais déjà ancienne Nouvelle Revue Française, que j'ai toujours lus avec le même intérêt, soit les journaux qui venaient éclairer ses fictions.

 

Cabanis, il me semble que c'est un peu de cette vie littéraire de la première partie du vingtième siècle qui aurait survécue durant la seconde, par delà le ridicule Roman Nouveau ou Nouveau Roman, vous mettez cela à la sauce qui vous convient, c'est d'abord une prétentieuse escroquerie !

 

Avertissement : J'aborde l'œuvre romanesque de José Cabanis et la lirai et commenterai en ignorant les données biographiques que je connais ou pourrais connaître. L'auteur a publié trois volumes de journaux ( Les profondes années, Petit entracte à la guerre et l'Escaladieu ) et des lettres qui parlent de lui en dehors de la fiction romanesque. Ayant entrepris la lecture ou relecture presque totale de l'œuvre, je viendrai plus tard à ces ouvrages et en tirerai certainement quelques observations par rapport aux romans. (J'ignorais en écrivant ces lignes et en commençant cette relecture des romans que José Cabanis avait dit : " Ma méthode quand je prépare un essai consiste à m'en tenir exclusivement au texte de l'auteur auquel je m'intéresse, à ne lire aucun commentaire, aucune biographie, afin de ne pas être aiguillé dans une certaine direction. Il faut entrer vierge, si j'ose dire, dans une œuvre. Ce n'est qu'après que je lis d'autres commentaires afin de vérifier si je n'ai pas dit des bêtises ou enfoncé une porte ouverte. "  C'est ce que j'ai fait pour l'œuvre romanesque quitte à constater que j'avais en discernant les deux cycles enfoncé une porte ouverte, mais mon but était de faire figurer l'auteur sur Internet et que je l'ai découvert ou rapporté importait peu concernant une évidence. (1)

 

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L'Œuvre romanesque.

Les œuvres romanesques de José Cabanis peuvent être réparties en deux cycles. Le premier est constitué de cinq romans qu'il a lui même regroupés sous le titre du premier, l'Age ingrat, il constitue ce que j'appellerai le premier cercle. Le second, qu'il n'a pas regroupé, est constitué des cinq autres romans, ultérieurs, et d'un épilogue tardif, il pourrait porter le titre de Nollet près Torcy. Nollet, est le domaine natal du narrateur et Torcy le domaine voisin auquel son histoire se trouve mêlée. Ce second cycle constitue le deuxième cercle. Les cinq romans de ce cycle ont fait l'objet en 1994 et 1996 d'une publication en deux volumes, Les jardins de la nuit reprenant Des jardins en Espagne, Les jeux de la nuit et La bataille de Toulouse et Le bonheur du temps qui reprend Le bonheur du jour et Les cartes du temps. Dans cette perspective on peut considérer Le crime de Torcy, dernier récit de fiction, demeuré isolé, comme un début de troisième cycle, que l'auteur n'excluait pas ( entretien avec Hubert Nyssen, repris dans Les voies de l'écriture au Mercure de France, 1969 ) Le second cycle est dans sa forme, moins romanesque que le premier, je l'appellerai " biographique ". D'apparence moins dense, ces récits assez courts nous font peut-être mieux approcher du narrateur qui tente de nous y révéler ce qu'on ne dit pas d'ordinaire. J'ai écrit " biographique " et pas autobiographique car ne voulant connaître à ce stade ni la vie, ni le propos de l'auteur, je me garde bien de lui attribuer la vie de ses personnages, même s'ils ne peuvent pas lui être totalement étrangers. Au demeurant les deux cycles ne sont pas étrangers l'un à l'autre et l'on peut voir surgir fugitivement dans un roman du second, Madame Bise ou d'autres personnages du premier. C'est, à mes yeux, le caractère résolument romanesque du premier cycle qui le fait différer du second, d'où la plus grande densité. L'impression d'approcher plus près de l'auteur dans le second cycle tient au caractère biographique qu'il lui donne comme à certains éléments qu'il nous y livre, concernant le narrateur. Cette impression est-elle la bonne et l'auteur, se jouant de nous comme ce serait son droit,  n'est-il finalement pas plus proche sous le travestissement romanesque de forme qui en établissant une plus grande distanciation le rend plus libre, les volumes de journaux nous le disent en partie ! Le temps est l'acteur principal de l'œuvre, celui sous les yeux duquel l'événement est toujours situé, celui qui oblige à la recherche, qui fait l'absence dans le présent et qui fait qu'elle était déjà dans le passé par l'insuffisance des rapports. Je ne sais pas si l'on peut parler de tragédie, l'angle de la comédie est souvent celui sous lequel les personnages et les événements sont examinés, mais, comédie, tragédie, où est la différence, sous l'œil du temps il n'est de tragédie qui devienne comédie ou le contraire.  

 

Les romans en regard du Journal    

 

Voir également : A propos de sept personnages

 

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 LE PREMIER CYCLE

Après les publications distinctes, ce premier cycle a été publié en un seul volume sous le titre de son premier tome : l'Age Ingrat. Les différentes parties de l'ensemble avaient été publiées entre 1952 et 1958, l'auteur avait de trente à trente cinq ans. On y évoque la guerre et l'occupation, le récit commence avant et se termine durant la guerre d'Algérie qui apparaît en toile de fond des Mariages de raison par l'entremise de Bénazet qui serait une assez belle représentation du radicalisme de cette époque.

 

Les personnages bien campés en peu de mots sont nombreux dans cette œuvre, dans Juliette, par exemple, on trouve la concierge : Madame Pistre qui pourrait passer pour l'archétype de la concierge de l'époque. Ses mésaventures et la façon dont elles s'imbriquent dans la trame des autres sont irrésistibles.

Ce livre est écrit à la troisième personne, en ce qui concerne son personnage central, Gilbert, mais la première personne est employée dans le second opus, Gilbert, intermède qui repris dans l'Age Ingrat, premier volume de l'ensemble à l'origine et pour Dominique, son cousin qui occupe l'avant dernière partie, le Fils, alors que nous voyons dans la dernière, les Mariages de raison, Gilbert faire le plan de l'ensemble romanesque que nous lisons puis en brûler les quelques feuillets écrits à la veille de son mariage. L'auteur est bien dissimulé et est partout et peut-être nul part.

L'ensemble constitue une véritable chronique de ces années dont la seconde guerre mondiale est le centre, une chronique dure ou se mêle l'intimisme et la fresque sociale. On y découvre un auteur sans illusions.

C'est à son ami Jacques Brenner que José Cabanis écrit dans sa dédicace de l'Age Ingrat : " Je n'étais pas gai !" c'est le moins que l'on puisse dire, mais il ne l'était pas avec un tel talent, il nous donne un tel plaisir et ses récits ont un tel ton d'authenticité qu'on lui pardonne volontiers cette tristesse - qui nous fait souvent sourire tant il est vrai que les malheurs ...

 L'Age Ingrat : L'Age Ingrat constitue une suite romanesque étonnante dans laquelle on retrouve quelques héros qui, au passage, nous en font entrevoir d'autres très fortement situés par quelques lignes, quelques traits, quelques événements de vies sans couleur et sans extraordinaire. Cabanis c'est une certaine façon de dire les choses en peu de mots. Je citerais par exemple cet épisode d'un des premiers chapitres de l'Age Ingrat quand Juliette sort avec son amant et la femme de ce dernier, soupçonneuse, qui, sans savoir qu'elle est trompée, empoisonne les soirées des trois par son comportement. La liaison de Juliette et de son amant est rompue, Cabanis en termine le court récit par " Cette mauvaise femme les avait séparés. " ( p36 ) La mauvaise femme est la femme légitime. Il y a ainsi beaucoup de raccourcis dans ce livre, un style alerte, enlevé sans être bâclé, sans que les phrases soient systématiquement tronquées, nous ne sommes pas chez Céline ! J'ai toujours pensé que le seul véritable style naît de l'accord secret entre le sujet et la phrase. Dans ce livre, l'accord est bien là et Juliette autant que Gilbert, la femme légère qui l'ignore et le jeune amant sont bien accordés au rythme du récit. Dans l'Age Ingrat tous les personnages se trompent et égarent involontairement les autres. Ainsi du fils rentrant heureux après l'amour qui passe devant la porte de sa mère en silence alors qu'il lui avait laissé croire qu'il était malheureux avant son départ. " Elle le laissa passer devant sa porte et ne put dormir de la nuit. Comment trouver le sommeil quand elle savait son fils malheureux ?" José Cabanis excelle en petites notes rapides au fil du récit qui éclairent ces relations. Le père de Gilbert, entre à la légion, il le fait surtout pour obtenir l'admiration ou la reconnaissance de son fils, c'est à la première occasion qu'il le voit dans ces fonctions que le fils se dit que son père est vraiment un parfait crétin.

Dans sa dédicace à Luc Estang, José Cabanis parle au sujet de ce premier volet du premier cycle romanesque, de "roman triste", à Jacques Brenner il écrit : "Nous n'étions pas gais". C'est le moins que l'on puisse dire de ce chassé croisé où les rares assortiments heureux, Michèle et son mari, sont brisés par la mort et où les autres ne sont qu'erreurs et malentendus. Le face à face qui n'a pas lieu entre Gaby et son mari Declos, une vraie putain et un héros par désespoir qui donne un enfant crétin, est très représentatif de ce roman. Gilbert, le personnage principal, va de son premier amour non vénal - une cocotte, Juliette Bonviolle - sur lequel le roman s'ouvre à la mort de son père, mené par l'égoïsme, quand il se retrouve seul, il ne regrette pas l'absence de sa mère mais celle d'Ingrid, la jolie suédoise, frigide, qui se croyait encore vierge après qu'il l'ait prise quotidiennement et qui le trompait avec le fils du boulanger pour des petits pains qu'elle partageait avec lui.

 Gilbert : Il y a dans Gilbert, le second volet de l'Age Ingrat, un portrait réjouissant d'un commissaire de Police, le grand père du personnage principal, tout à fait ignoble de sottise. Il se trouve que ce bonhomme m'en rappelle un autre, commissaire également, chassé de la police à la libération pour " excès de zèle ", il entra dans une banque où il devint contrôleur. Appelé un jour pour enquêter sur un détournement, il travaillait si bien le caissier, innocent, que quand on vint le prévenir, avant la fin de son travail, qu'un autre s'était dénoncé comme étant le coupable, il dit : " Dommage, il allait avouer !"

Jacques Brenner note à juste titre que Cabanis oppose dans l'Auberge fameuse, les difficultés matérielles des uns, les pauvres, aux ennuis sentimentaux des autres, les gens aisés. Il cite Gaby, veuve de héros, qui se prostitue : " Je vis chaque jour. Qu'est-ce que je ferai dans vingt ans ? Si je me le demande, je n'ai qu'à me foutre à l'eau, comme le petit. On verra. Il y a toujours la chance qui peut venir. Toi, tu es un bourgeois. Il n'y a que les bourgeois pour se creuser la cervelle, chercher des complications. ..." C'est un des aspects de la personnalité de José Cabanis qui ayant découvert la condition ouvrière, pas en stage, comme Sartre, mais en soumis qui ne sait s'il va en sortir, n'oubliera pas la leçon. Il va assez loin dans ce rapport misère / états d'âmes, puisqu'il fait se rencontrer, comme dans la vie, ces personnages en recherche des biens de la survie avec ceux qui recherchent l'affection, le plaisir ( C'est devenu aujourd'hui le thème 'tourisme sexuel' en raison des voyages, que les imbéciles jugent nouveau. ) Il place la prostitution dans un échange : biens contre plaisir et sentiments (faux), qui est essentiellement sa dimension économique. Cela vaut mieux que tous les plaidoyers et c'est la force de ce romancier à l'écriture sobre d'exposer en quelques pages ces situations qui viennent de la nuit des temps et qui semble-il sont encore promises à un bel avenir.

 

"A Monsieur Luc Estang ce livre où j'ai essayé de rendre sensible la présence muette du démon, par l'air étouffant qu'on y respire, seule une enfant, dans ce monde abandonné, et parce qu'elle sort à peine des mains de Dieu, apportant et faisant respirer autour d'elle une bouffée d'air pur. En bien sincère hommage."  José Cabanis. Intéressante dédicace qui révèle une intention de l'auteur qui n'est pas évidente pour le lecteur profane que je suis, mais qui n'entame en rien la puissance de l'œuvre.

 L'Auberge fameuse : La mort est cette auberge qui est le dernier recours des victimes de la vie. Bernard le fils du héros, Declos, se suicide, Yvette passe sous un camion en tentant de fuir pour défendre sa liberté. Ces deux là n'étaient pas faits pour la vie, ils n'avaient pas les bonnes armes tout comme Declos pour qui l'héroïsme n'a été qu'une fuite. L'auteur nous donne, par Gilbert, un certain éclairage sur les gens du Busca, que l'on retrouvera plus loin sous un autre angle. Madame Bise est une figure de la médiocrité ordinaire, Falconnet, le juge, une autre, symbolique celle-là.

 Juliette : Juliette, la femme entretenue dont la seule morale est le plaisir immédiat mais qui mène entre son commanditaire et débaucheur, le commerçant Thomas, chef de la Légion, et ses amants, une vie de petite bourgeoise, est finalement le seul personnage "lumineux" de cette suite romanesque. Il faut s'entendre sur lumineux qui ne peux être employé ici, que par opposition aux autres personnages. Juliette sera fidèle à Thomas qu'elle n'aime pas, fidèle à sa manière. A la mort de ce dernier elle se trouve démunie, occasion pour l'auteur de nous brosser deux figures : Mme de Chartreux et l'Abbé Martin.

 Le Fils : Nous suivons Dominique, le cousin de Gilbert, un des habitants du Busca. Madeleine le débauche, les prostituées le consolent, la mort du père n'est qu'un demi réveil qui le conduira plus loin dans la déchéance. C'est une vie manquée, perdue qui croise encore quelques figures que nous avons déjà vues et que nous allons retrouver.

 Les mariages de raison : Point d'orgue de la chronique, les Mariages de raison voient Juliette, Madame Bise et Gilbert "casés". Entre Suzanne, la nièce de Mme Bise et Sabrine, Gilbert choisi, mais choisit-il vraiment, il continue à pleurer sa solitude perdue, peut-être perdue deux fois.

II écoutait les camarades faire de jolies phrases sur la mission civilisatrice de la France : on civilise à coups de fusil, se disait-il, puis à coups de trique, on civilise à tour de bras, on civilise à bras raccourcis. Et voilà la fin. " (Guerre d'Algérie) p 671. " Les âmes fortes n'ont que faire des confidences, quand elles sont désespérées. " p 677 Gilbert emmène Sabrine qui est un vieux collage, au bord de la mer et cela nous vaut quelques pages de description des toujours actuelles réjouissances de plages : " Tout à l'heure, chaque hôtel, chaque villa dégorgerait son lot de femmes en tenue de plage, lunettes noires sur le nez, fesses au vent, enfants à la traîne, tout cela échangeant des mots aigres et mécontent de tout : du prix de l'hôtel, du temps, des moustiques, des enfants des autres. Les hommes, résignés, marcheraient à pas lents vers la plage, essayant de ne pas écouter. " p683 " La jeune fille de jadis avait cédé la place à une femme terriblement pareille aux autres, et où déjà perçait la matrone. " p 683-684 " Tu t'ennuies partout, disait Sabine. Tout t'ennuie.        l1 n'osait pas lui dire que, seul, il ne s'était jamais ennuyé, Pas une seconde, aussi loin que remontât son souvenir, et que c'était elle, ce qu'elle aimait, ce qu'il faisait pour lui faire plaisir, qui l'assommait. Ne plus la voir, mon Dieu ! réussir à la quitter mais sans lui faire de la peine !" p 685 Gilbert est lâche, c'est ce qui dirige sa vie, lâche et égoïste, non parce qu'il poursuit son plaisir, mais parce qu'il ne sait pas le tenir.

Le récit des Mariages est à la troisième personne, mais, sur un ton d'intimité qui fait qu'on a l'impression que c'est Gilbert qui écrit. C'est pourquoi, alors qu'il se décide à écrire à Suzanne après une escapade vénale, ce paragraphe où l'auteur prend la parole pour émettre un jugement abrupt en regardant son héros , surprend, voire choque : " Je le regarde écrire, et remarque par éclairs sur son visage une sorte de sourire assez déplaisant : encore un qui a lu Les Liaisons dangereuses, et se prend pour Valmont. On ne dira jamais trop le mal causé par les mauvaises lectures. Ce qu'a fait Gilbert ce soir me le rendait bien peu sympathique, et le voilà qui ment encore. " p 714

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Faute d'une épigraphe : Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair, et le mal en ce qui les détourne des plaisirs des sens, qu'ils s'en saoulent et qu'ils y meurent " Pascal. Cette pensée de Pascal est placée en tête de l'Age ingrat. Je suis de ces lecteurs qui ne lisent pas les préfaces avant de lire une œuvre, sauf si elles sont écrites par l'auteur et qui sautent volontiers une épigraphe quand elle est signée d'un auteur qu'ils n'apprécient pas. Il se trouve qu'au contraire de José Cabanis ( et de René Boylesve ), je n'apprécie pas beaucoup Blaise Pascal. J'aurais cependant beaucoup gagné à lire cette phrase - qui en elle même n'a rien d'impressionnant - et à l'avoir à l'esprit pendant ma lecture - mes lectures - de l'Age Ingrat. En effet, l'auteur en la plaçant en tête de son ouvrage nous indique clairement quel regard il porte sur ses héros. Il semble également évident ici, que José Cabanis quand il écrivit son premier roman était revenu à la foi et que son intermède de doute n'a donc pas été très long. Il est quand même bon de noter le procédé très discret, employé pour donner un avis, orienté le regard, sur une œuvre qui sera par la suite très descriptive en ce sens que l'auteur " rendra compte " et ne nous assaillira pas de jugements et de condamnations qui ne sont certainement pas dans son esprit. Le mot moral serait  trop fort ici puisque la solitude assez désespérante de Gilbert semble le fruit de la quête de plaisirs qui n'est pas jugée au plan moral mais se trouve " inefficace " dans la recherche du bonheur. En dehors de toute foi on touche ici un problème qu'aucun libertin ne peut ignorer durablement. Si Gilbert est en grande partie José Cabanis jeune, on comprend quel sens ( je n'ose pas employer le mot de fonction trop " utilitaire " concernant la foi, ) aura pour lui la foi retrouvée, on peut penser par ailleurs que la littérature aura également un rôle important dans sa vie quand il s'agira de ne pas tomber dans le vide auquel Gilbert est confronté.

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Se citer quand on parle d'un auteur ne se fait pas, surtout s'agissant de Pascal ou de José Cabanis, me pardonnera-t-on alors de donner quand même un texte de moi, retrouvé par hasard deux jours après avoir écrit cette note, texte vieux de seize ans, qui illustre le propos de Pascal et qui range l'écriture au rang d'illusion ? Il n'évoque pas la spiritualité religieuse. Ce texte n'a de valeur qu'en tant qu'exemple parce qu'écrit il y a longtemps, en tant que constatation personnelle et en dehors de toute intention polémique" L'ennui terrible de ces journées sans fin qui traînent leur monotonie dans un silence profond. La chair peut un instant nous en distraire, mais il nous vient alors des idées d'en mourir pour atteindre au définitif.

"L'ennui terrible de ces journées sans fin qui traînent leur monotonie dans un silence profond. La chair peut un instant nous en distraire, mais il nous vient alors des idées d'en mourir pour atteindre au définitif.

 

Ecrire est aussi une façon d'échapper à ce temps, d'en faire autre chose, de lui donner le contenu de ces mots qui ne sont que distraction. Il y a ainsi une littérature faite d'ennui qui passe et qu'on transforme. Sans thème, sans histoire autre que ces moments qui passent, elle s'étale, occupe l'espace de ses mots pour durer et semble un temps être l'essentiel. Sait-on ce qu'il est celui là, après qui nous courrons depuis si longtemps, sans jamais le saisir, sans jamais l'entrevoir, avec simplement l'impression, parfois, que nous sommes passés assez près pour avoir manqué, par inattention, l'occasion de le prendre enfin. Illusion, comme il est lui même illusion. L'illusion dont s'habille le vide de nos vies pour demeurer supportable à ceux qui voulaient le regarder vraiment. " Journal personnel - 26-3-1989

J'ajouterais simplement que aujourd'hui, sans songer à contester ces lignes écrites " sur le vif ", je ne renie rien de la vie libertine que j'ai menée. Si elle m'a fait connaître une sorte de vide qui ressemble à celui de Gilbert, elle m'a également mené à une quasi sérénité qui se passe très bien de la donnée religieuse qui, pour moi, demeure une illusion parmi les autres. Les croyants appellent " grâce ", la chance de croire que j'appelle illusion, mais je reconnais le caractère " insuffisant " de la chair sans pour autant oser prétendre que j'aurais pu la remplacer par autre chose.

Ces réflexions ont leur place ici, elles sont partie du dialogue que le lecteur noue avec " ses " écrivains.

 

LE SECOND CYCLE

 

Le bonheur du jour : " L'oubli est-ce cela que nous devons aux morts ? A les voir s'éloigner, se dissoudre peu à peu à mesure qu'ils sont oubliés, et disparaître complètement quand leur nom ne dit plus rien à personne, la détresse qu'on éprouve est celle d'une grande injustice. Chaque vie humaine aurait mérité qu'on s'y arrête, et de demeurer. La plus humble a sa grandeur, et pas une ne ressemblait à aucune autre. Ainsi dans un paysage devant lequel on passe vite et en regardant à peine, chaque détail, chaque couleur, la moindre touffe d'herbe, mériterait d'être vue avec amour, et immortalisée. " Le narrateur, à qui la tante Agnès a dit un jour : " Et vous petit garçon ? " et qui en rêve, plusieurs jours, suit l'Oncle Octave au travers de sa jeunesse et des autres disparus qui l'ont côtoyé. L'oncle Octave était solitaire et poète. Un jour il accueille Paul Valéry dans sa ville par un discours. Valéry lui dit : " Rarement je me suis senti deviné ... On ne peut mieux me comprendre ... " Il lui dédicace La Jeune Parque : " Avec mes remerciements pour ses petits discours. " Le bonheur du jour, c'est le meuble dans lequel adulte il a serré les papiers, les poèmes de l'oncle Octave.

 

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Les cartes du temps : Le narrateur rencontre Nathalie et, durant deux années, néglige ses proches pour l'amour de la belle voisine. Il parcourt les toujours mêmes lieux, ceux de sa jeunesse, ceux de sa vie, jadis peuplés aujourd'hui déserts. Il y voit les fantômes, il tente de s'y retrouver enfant - celui que sa mère voulait façonner - pour mieux la retrouver. Roman du souvenir, du désenchantement, des regrets de n'avoir par mieux aimer ceux qui le méritaient. Ce livre appartient à un ensemble informel, des ombres, des lieux, en rappellent d'autres de l'auteur. " Je m'étonnais de ce retour du passé dans le présent, et je me disais que la vie est un grand artiste, qui ménage ses effets, joue avec la mémoire et l'oubli, fait ressurgir ses personnages, efface le temps, et soudain le recrée et en fait un gouffre. " Encore une fois, on ne peut s'empêcher de s'interroger : qui nous parle le narrateur, l'auteur ou bien les deux ? Question éternelle.

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Les jeux de la nuit : Gabrielle, l'enfant qu'enfant il rencontrait, tous deux accompagnés de leur père est devenue sa maîtresse. Elle est libre, libre de mentir, il en souffre, il voudrait la quitter, mais le plaisir est là, des moments de joie. Le narrateur se souvient de Biarritz. " Mon père est mort, je n'entrerai plus dans notre maison, les jours que j'y ai vécus ne reviendront plus, et ceux qui m'aimaient, dont j'étais sûr, qui auraient donné leur vie pour moi, il n'en subsiste rien, ou quelques débris informes qui feraient horreur. Le voilà bien, l'âge mûr: Si je me demande maintenant qui j'aime, ce qui me reste, si je regarde autour de moi et fais le compte de ma vie, je ne vois que Gabrielle, qui n'est plus une petite fille, qui n'a plus de boucles des deux côtés du visage, qui hier encore m'a dit : - Ah! que je t'aime! et qui ne passe pas trois jours sans me mentir. ". " On se revoit au milieu des siens, de tous les siens, aimé comme je l'étais, c'est-à-dire sans partage, ni mensonge, ni retour, et on s'attendrit : j'étais heureux. Mais ce n'est pas vrai. Le bonheur est tout autre chose, qui vient brusquement, qui bouleverse, et qui ne dure pas. Il n 'y a pas de périodes heureuses, mais des moments heureux. Le bonheur de mon père, quand il se promenait avec moi, et dont il me semble que je le partageais, je n'en voudrais plus. C'est pourquoi mes parents ont bien fait de mourir : toute mon enfance, je la donnerais pour Gabrielle. Ce qu'elle est, je le sais. L 'homme qui a eu beaucoup d'aventures est un Don Juan, et la femme une putain, je n'ai jamais compris cette différence."


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La bataille de Toulouse : Entre " J'écrirais la bataille de Toulouse " et " Je n'écrirais pas la bataille de Toulouse " le narrateur a écrit l'histoire de Gabrielle, jeune fille libre de sa jeunesse et jeune femme proche de lui qui rencontre Nathalie, de Torcy, sa voisine, que l'on a côtoyée dans Les cartes de temps. En fait, il explore toujours son propre univers et, en particulier, sa relation avec sa mère, son amour de sa mère et celui de cette dernière pour lui. Dans ce livre, José Cabanis nous parle un moment de ce paradis de spiritualité que nous procure la religion quand nous sommes enfants et dont  nous restons, adultes, orphelins, quand les illusions se sont dissipées. C'est là un thème que l'on retrouve souvent chez René Boylesve qui en avait gardé une vraie rancune à la fois envers la religion, dispensatrice d'illusions, et l'amour de déceptions. Encore une fois, c'est dans l'exposé de petits faits que j'apprécie le plus l'art de José Cabanis, quand par exemple il s'apprête à raconter à Gabrielle une sorte de secret personnel lié à une émotion qui peut le rendre ridicule et qu'elle le coupe dès le préliminaire, par un commentaire inepte, lui ôtant ainsi toute envie de faire ce récit dont elle n'aura jamais idée.

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Des jardins en Espagne : Dans ce livre, le narrateur nous parle encore de Gabrielle, une Gabrielle aimante, docile; trop tard. Il n'apprécie pas ce don qui arrive après trop d'incertitudes. Géographie habituelle des relations amoureuses où il entre un peu du désir de vengeance. Le narrateur nous parle de ce qu'il n'avait pas encore abordé, son amour du Christ, personnage bien distinct de la chrétienté, de son appartenance au peuple au sujet de laquelle il reprend le mot de La Bruyère : " Je ne balance pas, je suis peuple. " Il nous en donne les raisons et elles passent par l'Allemagne du S.T.O et la solidarité des simples face à l'égoïsme des nantis. Les jardins en Espagne ce sont ceux de la guerre civile, du sang. Il aime toujours ses parents, il les aime plus que jamais, mais il n'appartient pas au même monde qu'eux. Le livre est écrit " à une autre ", la dernière, la bonne, qui ne veut pas qu'il la fasse entrer dans son histoire, aussi se contente-t-il de lui raconter le reste. Petite citation de chapelle : " Je me suis persuadé qu'il n'existe aucune règle pour écrire, que la tradition est la mort de l'art, qu'il ne faut espérer ni attendre aucune approbation de qui que ce soit, et aussi que ne mérite d'être dit que ce que personne d'autre ne peut dire. " Nous somme avec ce livre au cœur de ce que j'ai appelé le deuxième cercle. Ici, plus encore, le caractère intime de ce second cycle est plus marqué que dans le premier. C'est que la forme romanesque moins affirmée le rend d'apparence moins dense au fur et à mesure que l'on entre dans l'intimité du narrateur. C'est certainement parce qu'il tourne autour des thèmes et qu'il ne se livre qu'après une discrète préparation.

 

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Le crime de Torcy : Plus que le sixième roman du deuxième cercle ce petit livre en est l'épilogue et peut-être celui de cette double suite romanesque. Jadis, le narrateur avait rencontré Nathalie, la châtelaine de Torcy, : " Je vous connais, vous, " Un premier amour, un éveil, une parenthèse vite refermée qui, au cours des ans, ressurgirait sous la forme d'une femme qui vieillit, des questions que le narrateur se pose à son sujet qui sont aussi celles qui lui diraient ce qu'il a été. Ici, elle meurt dans son château. Le jardinier qui faisait rêver ira en prison, erreur, là encore le jeu d'ombres qui masque le réel et qui en tient lieu. Bien entendu tout ce cycle est un retour sur le temps passé, un roman dans lequel le présent n'est que l'occasion de ce retour. Le lecteur entre ici dans le roman en la personne du juge qui lit le narrateur, interroge, veut connaître ce qui n'est pas dit ... Une des figures de l'auteur dans le premier cycle, également, ce Gilbert, professeur, qui est également l'amant de Gabrielle, elle aussi, une qui se croit libre, mais " une d'un autre temps " selon le chauffeur de Torcy. De ce roman, une citation d'un auteur qui fut expert auprès des tribunaux : " ... lui magistrat, intouchable, tout-puissant, et moi en comparaison à peu près rien, un justiciable. S'il y avait tant de suffisance dans cette corporation, ils n'avaient pas tort, je serais sous clé le jour où ils le décideraient, ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, jamais sanctionnés, jamais punis, auraient-ils envoyé dix innocents à l'ombre. Il ne s'est jamais vu qu'on demande des comptes à un juge. Celui-là professait des opinions tenues pour avancées, mais toujours, de tout temps, ce sont les révolutionnaires qui ont été les plus répressifs, les plus impitoyables. "

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Fausses Nouvelles : Quelques nouvelles, à ma connaissance les seules que l'auteur ait publiées, complètent le volume précédent sous le titre de Fausses Nouvelles. Pourquoi fausses ? Quel sens faut-il donner au mot " nouvelles " dans ce contexte ? Le littéraire ou le plus commun, d'informations ? Car chacune de ces nouvelles est une sorte d'information, curieuse, ironique, assez triste. La nouvelle est un art qui, souvent en dit plus de l'auteur qu'un gros roman, celles-ci ne manquent pas à la règle, elles sont un plaisir de lecture.

Une fois trois et deux fois deux (A propos de sept personnages) : D'un cycle à l'autre, nous retrouvons des doubles, voire un triple. Dès le premier cycle, l'auteur nous offre Gilbert, personnage principal de cette première série, professeur, qui, encore lycéen, rencontre Juliette auprès de laquelle il découvrira le plaisir et ses limites et un narrateur qui réside à Nollet, le Fils, son cousin du Busca, sera celui que l'on retrouve dans le second cycle, mari de Gabrielle, la maîtresse du narrateur de ce cycle, le propriétaire de Nollet, Gilbert son cousin n'y paraissant plus directement mais comme ancien amant de Gabrielle. C'est Le Fils qui écrit le premier cycle, du moins pouvait-on le supposer pour les parties écrites à la troisième personne mais on voit Gilbert y faire le plan du roman et le narrateur du second cycle semble bien s'approprier tout cela. Gilbert, le Narrateur de Nollet, sont si proches, au-delà des caractéristiques sociales et familiales, que l'on a du mal à les différencier, n'était le récit à la troisième personne pour Gilbert, à la première pour le Narrateur et les apparitions de ce double dans l'ombre de Gabrielle. Un autre personnage double est formé par Juliette et Nathalie. La aussi, la condition sociale les sépare, elles finiront très différemment, la seconde, châtelaine, un couteau dans le dos après une vie assez libertine, la première, Juliette, en bonne épouse après avoir été la Maîtresse entretenue d'un et pour le plaisir d'autres qui passaient. Chacune des deux aura présidé à l'initiation au plaisir de l'un des personnages du couple précédent, Juliette pour Gilbert, Nathalie pour le Narrateur. Le dernier couple est inversé, c'est encore un couple de femme, Sabine, la femme aimante et soumise qui répond toujours aux appels ou aux abandons de Gilbert, inculte, et Gabrielle, active, plus cultivée, qui échappe toujours et collectionne les aventures, les deux cependant se rejoindront et, quand Gabrielle sera aimante elle sera comme Sabine abandonnée par Dominique. Ces trois séries de personnages mériteraient une plus longue comparaison.

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Journaux.

J'en commence la lecture ou la relecture avec, entre autres, l'intention d'y retrouver des repaires de l'œuvre romanesque, repères d'écrivain, repères biographiques et d'y découvrir le José Cabanis qui se dérobe dans le jeu de miroirs des deux cycles de fiction. Mais ces journaux ne sont pas seulement des journaux et sans retoucher l'écrit passé, l'auteur revient dessus, le complète donnant les dates de ce nouveau " journal en complément " qui constitue en fait des mémoires au rythme de l'ancien journal. Ainsi, respectant la chronologie l'auteur insère des retours dans le temps ou, ce serait plus juste des avancées qui sont l'œil du recul temporel. Bien que différent dans la forme comme dans le propos, cela fait un peu penser au Temps Immobile de Claude Mauriac, est-ce un hasard si José Cabanis publiera des pages commentées de ce dernier ? Est-ce parce que ces plongées dans le temps permettent de situer dans leur conséquences ou sous le regard du futur les événements ou bien parce que, comme il nous le dit dans le troisième volume, l'Escaladieu, il retrouve, devenu son lecteur, la frustration des jours, des mois et des années perdues ? Certainement les deux à la fois. " C'est bien ce que je disais : pour une année entière, quelques lignes dans mon carnet, le reste envolé. " José Cabanis touche ici au défaut du journal : l'insuffisante représentation du quotidien en regard de la place avantageuse réservée à " l'extraordinaire ". Il tente de remédier à cet état de chose par ces " mémoires ", journal ajouté ou journal du souvenir inséré, ce faisant, il cumule les défauts, le principal défaut des mémoires étant comme il l'écrit le discours lisse mais en les neutralisant l'un par l'autre dans deux textes juxtaposés. José Cabanis nous dira lui même : " Je n'avais pas le tempérament d'un " diariste ". Du jour où j'ai écrit mon premier roman, je n'ai plus écrit une ligne de journal. "(1)  

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Les profondes années 1939 - 1945 : Quand il commence à écrire ce journal, d'après ce qu'il en publie, José Cabanis a dix sept ans. Nous sommes à la veille de la seconde guerre mondiale, on creuse des tranchées à ... Toulouse ! Il aime Véronique, attend avec impatience ses lettres, et nous dit qu'il ne se souvient pas l'avoir jamais embrassée et qu'elle avait un visage quelconque. Véronique ressemble fort à une jeune personne des romans, qui prenait le train, il nous le confirme. Il nous parle de Georges Canguilhem qui fut son professeur et, avec le recul, évoque la déception qui fut la sienne quand, plus tard, auteur, il ne reçu de lui qu'indifférence à ses attentions. Dès le début on découvre que José Cabanis a vécu enfant et jeune à Nollet et à Toulouse, les appartements, ils furent au nombre de deux et le domaine. Gilbert et le Narrateur du second cycle. Comme il se traque au travers du temps, il ne peut manquer de relever les silences de son journal, il l'en qualifie d'insuffisant, le genre est selon lui inférieur aux mémoires cependant il les reconnaît plus lissées et elles aussi fausses pour cette raison, il est, il est vrai, un grand lecteur de Saint-Simon.

Le journal publié dans ce volume comporte deux périodes, la première, du 19 août 1939 au 19 juillet 1940 et la seconde du 1 mai 1944 au 20 avril 1945. Entre ces deux périodes s'insère la période de novembre 1940 à juillet 1943 publiée sous le titre de Petit entracte à la guerre.

Se référant en 1975, au mois de décembre 1944, derniers mois de son séjour en Allemagne au titre du STO, José Cabanis nous dit : " Je rêvais encore d'écrire ce Voyage, qui devait dire ce que j'avais laissé en France, et comprenais, et aimais enfin et qui sera le Bonheur du jour et toute la suite. " Il confirme ainsi ce que je ressentais à la lecture de ce que j'ai appelé le second cercle, que cette seconde série de romans est plus ouvertement biographique que la première dans laquelle l'auteur avance sous plusieurs masques. Cabanis n'oubliera pas ce séjour forcé et l'expérience du travail en usine, sa façon de voir en sera marqué et jamais plus il ne sera un " bourgeois ". " A jamais j'ai appris à aimer et admirer le peuple, à lui donner toujours raison, lui que l'argent n'a pas corrompu. Et j'étais devenu, ce que je suis resté, très révolutionnaire " Le souvenir de sa mère l'obsède, normal avec l'exil et la menace de mort, mais il sera par la suite assez obsédant pour lui ouvrir les portes de la religion et affadir l'amour qui deviendra à ses yeux, recherche de cet amour si puissant. Anna, la jeune ukrainienne nous rappelle cette étrangère venue du nord que rencontre Gilbert et qui devient sa maîtresse dans l'Age Ingrat. 

Les nombreuses notes de 1975, viennent sans cesse préciser, porter le regard du recul, démentir comme pour le jugement sur Bloy : " Un raté ... un imbécile " qui est ainsi corrigé trente années plus tard : " C'est pourquoi j'ai  probablement été injuste pour Léon Bloy, j'avais ma morale et ma philosophie : sagesse antique, stoïcisme et Épicure mêlés, un peu de Montherlant, une pointe d'Alain, un souvenir de Julien Sorel et de Fabrice Del Dongo. Il s'agissait pour moi de savoir se tenir, en dépit de tout, d'être au-dessus du destin, et ce n'est pas si mal. Je détestais les sots pleureurs. Je suis content cependant d'avoir viré de bord, tout cela un peu court, et tant de chemins m'ayant été ouverts quand j'ai commencé à regarder ailleurs. " ( janvier 45, mai 1975 ). 

 

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 Petit entracte à la guerre 1940 - 1943

Ce petit entracte s'ouvre le 5 novembre 1940 avec la visite du Maréchal Pétain au Capitole. Beaucoup de monde, on applaudit, et se termine le 26 juillet 1943, avec la démission de Mussolini et l'attente du départ de l'auteur pour l'Allemagne dans le cadre du STO. Le frère, Arnaud, est mort dans cette guerre d'un pays qui ne voulait pas se battre et qui était trahi par sa bourgeoisie, victime encore plus inutile que les autres victimes de guerre. L'auteur est jeune, les femmes sont sa préoccupation. Juliette - celle qui l'inspirera - qu'il appelle M., Véronique, la demoiselle qui deviendra la jeune fille du train ... Le texte est sans cesse commenté, ramené dans une autre direction par un autre, qui s'y mêle, de décembre 1979 à janvier 1980. C'est dans ce dernier texte que nous trouvons peut-être le plus intéressant, mais il nous gâche le premier. Non, il ne faut pas toucher au passé en s'y insérant, quand il a été, nous n'étions pas là pour nous commenter avec le recul du temps, souvent nous nier. Le journal de 1975, 1980 aurait dû rester à part, peut-être donné en un seul bloc à coté. L'auteur s'y montre sans illusion sur son œuvre. Mais en 1944, nous voyons déjà monter cette pensée que ne sont rien les liaisons d'à coté de la famille, celle des parents et des frères, pensée intime, forte. " Ce Gilbert que j'ai  imaginé, je ne crois pas lui avoir donné ces ridicules, pour tenter de me les dissimuler, peut-être, et rétrospectivement les effacer. Je le disais lucide, mais j'avais  soin de ne lui laisser rien découvrir qui me fût désagréable. Ces personnages de roman où on se met soi-même, tout en se déguisant, sont des subterfuges, d'heureux moyens d'oublier. Le témoignage est là, qu'il n'est pas question de supprimer, d'autant qu'aujourd'hui ces histoires concernent pour moi quelqu'un d'autre, qui n'est plus moi et qui me jugerait comme je le juge : nous sommes quittes." Janvier 1980, page 77 de l'édition coll. Blanche. J'avance lentement dans la lecture de ces quelques pages qui m'est difficile alors que les romans ont été "enlevés" avec plaisir. Je tombe sur la tirade de décembre 1979 en regard du 3 septembre au 14 décembre 1941, j'ai envie d'abandonner tant j'ai horreur des dévotions littéraires. Cabanis qualifie de niais le jeune homme qui retournait vers sa mère au moindre chagrin d'amour, se faisant consoler sans dire de quoi, le cinquantenaire qui ayant perdu sa mère vingt ans plus tôt, s'en remet à Dieu, est-il moins naïf ? Franchement, je ne le pense pas. L'agacement est atténué par ce que l'auteur dit sans cesse de l'impuissance du journal à tout rendre, il a raison, je me retrouve dans ces commentaires, mais encore une fois ce recul qu'il insère aggrave le phénomène. Il semble bien qu'il ait peur qu'on le prenne pour ce jeune homme qu'il ne veut plus être, pourtant ... 

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L'escaladieu - 1947 - 1953 : Dans ce troisième volume, la réflexion s'approfondit. On est moins en face d'un témoignage comme dans les deux premiers et le face à face entre l'auteur du journal des années 1947 - 1953 et celui qui le commente en 1985, est moins brutal, moins décalé. " Il me semblait que j'avais beaucoup à dire, et que cela en valait la peine : j'en suis moins sûr aujourd'hui, mais j'aurais passé ma vie à écrire et tout est bien. " Il ne faut pas oublier le " et tout est bien ". Bien sûr cette note, c'est l'homme de 1985 qui l'écrit. (pages 50/52) Je donne les références parce qu'il faut lire toute la note et pourquoi pas tout le livre qui est le dernier journal écrit par José Cabanis selon ce qu'il nous dit lui-même dans un entretien. C'est donc deux hommes qui se retrouvent en tête à tête dans ce livre, celui de trente ans et celui de soixante cinq ans. Il y a changement mais aussi approfondissement. Quand l'homme de trente ans nous dit : " Ce n'est ni l'amour de Dieu ni celui des hommes qui donne le bonheur : une certaine aptitude à être heureux accompagnée d'une volonté d'être heureux " son interlocuteur ne le reprend pas. De la même façon, c'est l'homme de trente ans qui nous dit que l'amour ne meurt peut-être jamais, ce que nous confirme son interlocuteur, ce que, je crois, même libertins, nous pouvons vérifier par nous mêmes. Ce journal est certainement, pour moi, après l'ensemble " Age Ingrat ", le livre le plus important de José Cabanis, celui au travers duquel je peux le mieux dialoguer, car nous dialoguons avec l'écrivain qui nous touche et nous émeut. Le 20 octobre 1949, l'auteur nous dit qu'il est las de son carnet (journal) et qu'il n'y écrira plus rien. Il s'y tient presque puisque les notes qui suivent ne sont que des notes de lecteur ou d'écrivain. On y découvre les difficultés de la création romanesque, Simenon, le plus grand romancier de son époque, disait sortir épuisé, vidé, de l'écriture d'un roman, José Cabanis nous dit combien ce qui devait être plaisir peut devenir accablement, labeur ... et que Dieu lui même dû être étonné de sa création. " J'ai toujours pensé ( et vécu ) que le romancier se sert d'événements et d'êtres réels comme le peintre use de lignes et de couleurs, leur agencement étant ce qui fait sa délectation ( ou son tourment ) et ce qu'ils ont fini par signifier, grâce à lui, pouvant ne lui apparaître que tout à la fin. Le vrai sujet du livre est incertain au départ ... Le résultat n'est jamais celui qu'on attendait. Dieu le père lui même a dû être étonné de son œuvre quand il a vu, achevés, Adam et Eve ..." La solution c'est le travail, la règle qui donne le cadre, permet de vaincre la " difficulté d'entreprendre ", le double travail, le jardinier qui libère son esprit pour se préparer à son travail d'écriture. On voit dans les notes d'écrivain, José Cabanis douter de son premier roman, il avait tort, c'est lui qui a dû lui amener des lecteurs fidèles comme moi. L'écrivain ne connaît que rarement la valeur de son œuvre soit par modestie soit par son contraire.      (1)

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Lettres de la Forêt Noire : José Cabanis a publié la correspondance échangée avec ses parents lors de son séjour en Allemagne pendant la guerre. Comme pour les journaux, il commente ces lettres, un commentaire de 1998. Commentaire souvent très pessimiste. " Comment regretter la vie quand on a, depuis toujours, voulu écrire et laisser une œuvre, et qu'on a tout raté ?" ou " Qu'ai-je gagné à prolonger ma vie, que suis-je en ce monde, sinon une charge et un embarras pour les autres ?" mais aussi " Que de maman, il subsiste autre chose, sur quoi le temps n'a pas eu et n'aura jamais aucune prise, c'est peut-être difficile à croire. Mais alors rien n'aurait plus de sens : la religion ou rien, je peux dire que c'est la conclusion de toute ma vie et qui s'impose à tout moment, surtout en période de basses eaux. " On sait qu'il dit vrai et même le pire mécréant que je suis, comprend l'importance de la religion pour un tel homme, d'ailleurs, pourquoi ne pas l'avouer, la mort est pour tout homme un si énorme scandale qu'il n'a de choix qu'entre la croyance en un en-dehors ou une soumission totale à ce scandale qui ressemble à une défaite et qu'il doit nier chaque jour pour ne pas connaître la débâcle. A l'un de ces prix seulement on peut prétendre mourir droit. On sait déjà que dans la vie de José Cabanis ces années de travail forcé et de séparation des siens, furent déterminantes. José Cabanis nous parle ici de sa foi, de cette foi "indicible" qui est au cœur de son second cycle romanesque. Il rapporte le comportement d'un de ses amis très proche qui rompit avec lui sans explication à cause de cela puis le guet-apens tendu par cet ami et un tiers. Mécréant, grand mangeur de curés, je pensais être un lecteur assez paradoxal de José Cabanis, mais je me rends compte que la foi d'un de mes amis ne m'aurait jamais éloigné de lui et que ma haine des religions - en raison de ce qu'elles ont impliqué - ne s'est jamais étendu aux hommes, le contraire aurait été rejoindre ce que je combats. Finalement je m'explique mon admiration par delà les différences - une de plus - et je n'oublie jamais que l'homme qui croyait avait fait, jeune, un pèlerinage au Mur des Fédérés, l'un ne reniant pas l'autre. Nous ne sommes jamais réductibles à quelques gestes ou à une croyance même quand les uns ou l'autre demeurent importants. Dans ces lettres, José Cabanis dit à ses parents tout l'amour qu'il a pour eux, amour peut-être égoïste, n'est-ce pas le propre des amours filiaux ? Il faut ce type de séparation pour que soit dit ce que d'habitude on considère comme allant de soi et qui reste en nous, ouvrant la porte aux pires malentendus. Je retiendrai à la fin de ce livre, une petite note : " Je n'oubliais pas mes parents, mais j'étais souvent, il faut bien le dire, consolé. Je n'ai pas honte d'avoir été jeune. Dieu en fit les frais " (septembre 1998).   

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Les romans en regard du Journal : Il faut après avoir lu ces deux premiers volumes de journal revenir sur les romans que José Cabanis évoque souvent dans ses notes de 1979 - 1980. Le premier cycle, l'Age Ingrat est considéré par lui comme la mise en scène d'un personnage, Gilbert, qui est le Lui qu'il n'est plus, " déguisé " ou, plutôt, déshabillé de sa naïveté devant le monde. José Cabanis dit " un inconnu " auquel il n'a rien à dire mais il lui parle. Dans le second cycle, au contraire, José Cabanis nous livre ces naïvetés, mais il ne les considère plus comme telles, qui sont le Moi dont on ne parle pas volontiers par crainte du ridicule ( c'est l'auteur qui parle ). Ce que je pressentais est donc vrai, l'auteur se sent plus proche de sa représentation dans le second cycle que dans le premier, mais, curieusement, c'est la première représentation qui m'est la plus familière, qui est à mes yeux, la plus forte. Supériorité de la fiction sur le réel, du maquillé et construit sur l'authentique ou bien, tout simplement, nature du personnage de Cabanis par rapport au lecteur que je suis ?

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Les études et essais littéraires.

Il s'agit là de la troisième série d'ouvrages de José Cabanis, au moins aussi importante en nombre de titres et en volume que la série romanesque. Deux grands sujets Saint-Simon et la NRF cette dernière abordée sous plusieurs aspects (Le Diable, Dieu.), Jouhandeau, Sainte-Beuve, Chateaubriand, Michelet, Mauriac étant d'autres sujets abordés par le lecteur attentif et documenté que fut José Cabanis.

JOUHANDEAU, Bibliothèque idéale : Ici, José Cabanis est prisonnier d'une présentation. Dans le premier chapitre : Les jours, il nous brosse un Jouhandeau familier en quelques pages préparant la seconde partie : l'œuvre, dans laquelle c'est encore de l'homme qu'il s'agit. L'homme au travers de l'œuvre, l'homme dans l'œuvre, peu d'auteurs peut-être autant que Jouhandeau se prêtent à cette approche. Par l'œuvre l'auteur se révèle, il faut lire attentivement, cela est également vrai de José Cabanis qui, quand il écrit ce livre n'a encore publié ou a déjà publié les cinq romans qui composent l'Age Ingrat. Quand il parle de Jouhandeau, détrousseur d'âmes, l'expression est de Maurice Nadeau, il précise d'âmes virtuelles et n'est-ce pas là toute la création ? J'ai un jour tiré trois cents pages d'une jeune femme élégante au visage ingrat dont la beauté m'avait subjugué et que j'ai vue, contemplée, admirée à peine vingt minutes en échangeant guère plus de mots. Mais, je m'égare et José Cabanis nous ramène à la réalité : " Dans ce rappel des vivants et des morts de Chaminadour, il y a tant de faits authentiques, tant de souvenirs personnels, que la fiction romanesque n'y saurait y tenir que peu de place. ",  " Jouhandeau ne se plie à aucun genre traditionnel, allant à l'aventure par des voies qu'à mesure il découvre. " Nous sommes donc loin de la création que Jouhandeau sait bien distinguer quand il parle de ses contes, pour lesquels seul l'élan prend pied dans le réel. " Partout où il va, il porte sur les êtres qui l'entourent le même regard, infiniment curieux et attentif, et qui, tout à la fois, sait voir et transfigure. " Quoi de plus naturel que José Cabanis soit sensible aux communications entre les deux cycles de Jouhandeau, Chaminadour et Galande, lui qui en tissera d'autres dans son œuvre ?

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Le Diable à la N.R.F. 1911 - 1951 : Je suis entrain de relire cet ouvrage en même temps que les Profondes années. Le ton est bien celui dont je me souvenais, surpris cependant car j'avais oublié la place qu'y tenait Roger Martin du Gard, un bon petit diable, bien que ou parce que résolument athée et ... José Cabanis en parle très bien et de façon intéressante. De la bonne lecture qu'il a fait de la correspondance et des journaux de l'intéressé et des proches de Gide, il tire une sorte de témoignage au moins aussi vivant que s'il était direct. Une petite rectification seulement, José Cabanis rappelle justement que Martin du Gard était un homme de plan et affirme que l'Epilogue des Thibault aurait aussi bien pu être écrit avant même Le cahier gris puisque Martin du Gard s'enfermait dans un plan strict et savait dès la première ligne où il menait ses personnages. Dans cette série, Les Thibault, Martin du Gard écrivit un roman en s'en tenant au plan, je crois qu'il s'agit de L'été 14, n'en fut pas content, le détruisit et le réécrivit complètement dans une autre direction, abandonnant donc la fameux plan, ce qui prouve que même chez ce chartiste épris de constructions romanesques solides, les personnages pouvaient l'emporter et avec eux la vie qu'ils généraient pour l'auteur. Il y a beaucoup également à dire sur l'aspect religieux, autour des nombreux convertis de la NRF qu'évoque très bien José Cabanis et cela trouverait peut-être place dans un petit texte : José Cabanis et Dieu dans lequel j'aurais peut-être quelques difficultés à ne pas m'immiscer puisqu'il s'agit là d'un sujet pour lequel un simple commentaire peut prendre allure de débat. Il n'en demeure pas moins que le Diable à la NRF, le vrai, c'est Gide, Gide pervertisseur, initiateur démoniaque. Bien que croyant, Cabanis n'a pas l'air de prendre ces diables bien au sérieux. D'un coté, l'athée, Martin du Gard, est une sorte de chrétien laïque tant que Gide ne l'a pas entraîné dans les voies de la chair coupable, de l'autre on ne crie quand même pas au Diable à chaque ligne. Cabanis note fort justement que l'attrait que le Berlin licencieux du début des années trente avait pour les deux compères et quelques autres, était le Berlin de la misère et que la joie de vivre qu'ils y voyaient n'était en somme que la leur, celle des jouisseurs fortunés qui profitent de la misère ! Les écrivains sont sur ce plan plus vulnérables que les autres qui, hypocrites ne laissent pas de traces de leurs plaisirs. Des anecdotes amusantes comme celle de Claudel reprenant une pièce à Jouvet parce qu'il avait joué le Taciturne de Martin. Un vrai tartufe que le père Claudel, enfin ... un croyant avec tout son poids de mesquineries et de basses sottises ! Vers la fin de son étude, José Cabanis cite Mauriac : " La véritable histoire de Gide et du milieu gidien, quel roman ce serait ! Martin du Gard était aux première loges. Mais la véritable histoire n'est jamais écrite. " C'est un peu cette histoire qu'a traquée José Cabanis, au travers des journaux, correspondances et témoignages en un ouvrage qui finalement ne peut intéresser et être compris que des amateurs de cette sphère littéraire à laquelle je suis attaché au-delà de toutes différences ou divergences de mœurs en particulier. L'histoire est bien contée, la part du Diable assez limitée, y avait-il de quoi faire un tel livre ? La conclusion formulée de façon assez décevante dit non, peut-être l'œuvre du croyant qu'était José Cabanis dans les dernières années de sa vie.    

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Dieu et la NRF. 1909 - 1949 : Chronologiquement il s'agit du premier volume écrit par José Cabanis concernant la NRF. Dieu à la NRF, c'est d'abord Alain Fournier sur un strapontin et surtout la polémique autour de la mort de son beau frère, Jacques Rivière incroyant, entre sa femme et Claudel, rôdeurs des pompes funèbres, receveurs de derniers souffles, de râles de moribonds, prêts à reconnaître la présence de Dieu dans le dernier crachat d'un tuberculeux pourvu que cela leur permette d'annexer un "croyant". Gide et Martin protestèrent puis se détournèrent du clan des fous. En passant Cabanis relève l'attirance chaude de la bigote pour Jacques Copeau, le croyant confit dans les jupons. Bien commode religion que celle des catholiques où Dieu s'il interdit tout, pardonne tout. Risible évidemment, ce Dieu de la NRF ne fait, dès les premières pages, pas très sérieux. Je note au passage combien m'a toujours semblé futile, frivole, ce lien entre la croyance et l'incroyance et la chair, comme s'il ne tenait qu'au désir de pouvoir forniquer librement de ne pas croire en Dieu ! C'est bien là encore une préoccupation de croyants et de bigots de l'Eglise. Henry d'Angleterre rompt avec Rome pour une affaire de femmes, Luther ... On pourrait en faire une litanie : l'interdit du cul et la naissance de l'incroyance chez les bigots. Il est vrai que lorsque nous les prenons la main dans le sac, je veux dire dans la culotte, nous rions, c'est qu'ils sont prisonniers de la cellule dans laquelle ils ont essayé de nous enfermer. José Cabanis ne s'en étonne pas ayant lui même connu cette situation. Une des figures de Dieu à la NRF, c'est Claudel. Cabanis nous rapporte qu'il arriva à Gide de le comparer à un marteau-pilon, l'image ne semble pas être trop forte, avec Claudel on entre dans la sottise religieuse dans toute son emphase et dans toute son intolérance, ici le mot est encore trop faible. José Cabanis nous suggère que cette arrogance retrouvée des catholiques de l'entre deux guerres tenait à la satisfaction étonnée d'avoir passé le cap de la foi dans le progrès. Aux frontières de la NRF il y a les convertis, Ghéon, Du Bos, Claudel, dans la main d'un autre converti, religieux celui-là et intolérant dans l'âme. Absence de charité chez ces gens, j'ai connu leurs héritiers, catholiques des années soixante, bigots rancis, pas plus charitables pour la plupart avec, égarés, quelques braves gens. Ghéon et Gide c'est également le lieutenant Dupouey. Cabanis qualifie justement de littérature de patronage les écrits de Dupouey. Je me souviens de mon accablement le jour où j'eus entre les mains l'édition de cette correspondance. Littérature de bons mauvais sentiments, au moins Dupouey comme Péguy, est mort de ses idées, il ne s'est pas contenté comme d'autres " grands patriotes " à la Barrès, d'envoyer les autres à la boucherie. Ghéon, homme de Dieu reste à la porte de la NRF qui était pourtant sa maison, Larbaud, lui, y entre et y reste, c'est que son Dieu est discret et tout sourire, il ne fait pas de prosélytisme, un Dieu fréquentable quoi en image de donzelles harmonieuses. Après Larbaud et sa foi souriante, Copeau et ses frasques innombrables partagées avec Gide qui lui même ne cache rien, complices au-delà de la différence de goûts. Le catalogue divin comme celui du Diable qui est son envers, est marqué par la chair. Retiendrait-on autant ces aventures si le christianisme en général et le catholicisme en particulier, n'étaient pas si marqués par l'intolérance de la chair ? Pour ces gens le lien entre croyance et incroyance passait aussi par là.

Dieu à la NRF, n'était-ce pas ce Claudel bardé de certitudes et vomissant ses invectives et ses ordres de bataille, guettant du pas de porte ses prochaines victimes ? La NRF était athée, comme elle n'était pas patriote, pas communiste, bref, un espace de liberté. Bibliographie                 ou                  Haut de page

Plaisir et lectures : Un bon titre pour des comptes-rendus de lectures qui sont le fruit d'une connaissance sûre des œuvres dont parle l'auteur. Qu'il s'agisse de ses classiques, Descartes, Port Royal, Rousseau, Michelet, Saint-Simon ... ou des contemporains, Gide, Proust, Dostoïevski, Léautaud, les petites synthèses autant que les notes critiques d'un ouvrage sur, sont truffées d'aperçus intéressants, de commentaires justes et intelligents. On prend ici conscience du grand lecteur qu'était José Cabanis. Cela se termine par des notes grappillées au cours de ces lectures qui constituent une agréable promenade littéraire.

Magnificat, Témoignages : C'est un opuscule. José Cabanis nous dit qu'il pourrait s'agir de son testament, " de ce qu'on a de plus précieux et qu'on n'a jamais dit " Il nous parle, au travers d'une lettre à Jean Grenier, d'un incident concernant le Monde, ce journal emmerdant et prétentieux qui confond platitude de style et objectivité et qui entretient une rubrique hebdomadaire de livres, on se demande bien pour qui compte tenu de son public de lecteurs fonctionnaires et pseudo affairistes incultes. Cabanis fut très affecté par un éreintement d'un de ses livres, certainement Des jardins en Espagne, par un F.B. ( ces gens se cachent derrière des initiales ) qui suivait des demandes de collaboration. Curieuses mœurs, on devait voir mieux par la suite. Mais José Cabanis nous parle longuement de Julien Green puis des relations de ce dernier avec François Mauriac. C'est dans cette petite étude que José Cabanis nous dit " qu'il ne faut pas souhaiter à un écrivain d'être aussi bon lecteur que Gide. " Parlait-il alors pour lui qui l'était ? C'est toute la conclusion qu'il faudrait citer. José Cabanis nous y dit fort justement, à mon humble avis, que le créateur ne doit pas s'attarder à la lecture de ses contemporains mais plutôt à celle de ses prédécesseurs, et de Mauriac et Green qui furent ses prédécesseurs, il écrit : " Pour les avoir lus et relus, je n'en dirais pas moins que personne ne m'a parlé à l'âme comme le bouleversant François Mauriac et le merveilleux Julien Green. "    Bibliographie                                    ou                Haut de page

Le jour, la nuit : Publié en 2001, donc un posthume, deux petits textes. Dans le premier, Au jardin de Sainte Claire, José Cabanis essaie d'oublier ses lectures pour nous dire les plaisirs de la contemplation d'un jardin. Mais dès la page suivante, il cite six auteurs. Nous le suivons dans cette méditation qui se termine sur Green et Mauriac. Le second texte, La nuit transfigurée est un développement sur Léautaud qui n'entrera pas dans les ténèbres en bon mécréant, mais qui sera accueilli par ses bêtes avec des petits cris de joie. J'espère que les inédits de José Cabanis contiennent encore quelques bonnes pages semblables à celles-ci.    

Mauriac, le roman et Dieu : Mauriac était-il un bon romancier en proportion inverse qu'il était un bon catholique ? C'est bien ce que nous dit José Cabanis qui explore les dits et non dits du grand écrivain - plutôt " dits " -  qui finit par renoncer à la délivrance divine dans le roman. Une étude qui annonce les deux consacrées à la N.R.F., et qui est une réflexion sur Dieu et la chair et la liberté du romancier. On s'étonnera peut-être de ce thème récurrent, mais pour qui a subi cette éducation catholique il demeure central et bien après qu'on se soit libéré si tant est que l'on se libère de cette longue contrainte, il nous touche encore et trouve des accents laïques, autour d'une morale qui feint parfois d'ignorer ses origines. Inévitablement, le thème de la chair et de la morale, fusse la morale du respect de l'autre, est au cœur de toute vie de désirs et de passions. Pour la première fois on verra José Cabanis agacé d'une attaque de Martin du Gard vis à vis de Mauriac, il lui opposera une réaction de Gide, c'est que Gide, bien qu'athée, était de la famille et pouvait reconnaître les tourments artificiels qui faisaient " rigoler " Martin, vrai mécréant. Je l'ai déjà dit, les tourments de la chair sont ce qui rend le croyant, catholique ou chrétien, le plus étranger à un athée d'origine même si, comme le rappelle José Cabanis l'athée peut connaître de ces combats entre plaisir et amour. Il n'est pas besoin de Dieu pour que le libertin fatigué ressente le dégoût de ses plaisirs et les regarde comme des débauches, alors il approche des tourments du croyant avec un juge peut-être plus impitoyable que le Dieu des catholiques, Lui. Pour ceux qui se sentent loin de Mauriac il faut aller directement à la page 110 et lire quand même la conclusion de ce livre consacré à un écrivain que José Cabanis nous dit avoir aimé tôt. Dans l'ombre de Mauriac, il y a pour José Cabanis Julien Green, une autre façon d'être chrétien et romancier, plus proche de lui certainement. Ma dernière lecture de ces deux romanciers, il y a plus de dix ans, fut alternée, un roman de l'un, un roman de l'autre selon la chronologie des publications de chaque auteur. J'ai conservé pour le romancier, Julien Green une profonde admiration. José Cabanis dira : "... ce qui me plaisait, c'était de retrouver chez Mauriac ce qui a été toute ma jeunesse et mon enfance, c'est à dire à la fois le désir et le péché, le désir qui est un péché, et le plaisir qui est un péché, la tentation que l'on repousse et à laquelle on finit par succomber. " (1) 

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Choix de pages du Temps Immobile de Claude Mauriac : José Cabanis estimait Claude Mauriac, pas seulement parce qu'il était le fils de François, en tant qu'auteur et qu'auteur du Temps Immobile. Il en fit ce choix de pages auquel il ajouta une assez longue présentation. Le temps immobile, cela me rappelle ces voyages hebdomadaires entre Bâle et Paris que je fis durant plus de cinq ans, souvent j'avais parmi les livres emportés, un volume du Temps Immobile, un de ces volumes du Livre de Poche que je devais complétés des quatre derniers au fil de leur parution dans l'édition ordinaire de Grasset. Ce gigantesque collage de morceaux de journal, repris non au hasard mais par thèmes, par rapprochements, constitue une œuvre irremplaçable. Je déteste l'actualité, ici, Claude Mauriac nous en livre une qui va de l'intime à l'événement politique en passant par le mondain et le littéraire, mais elle est autre, elle prend un sens parce qu'elle est témoignage. Quand j'étais fatigué du livre que je lisais, je reprenais ce volume choisi en fonction de mon humeur et je retrouvais l'envie de lire, de suivre l'auteur. Que de découvertes à faire dans ce journal ! Claude Mauriac, témoin privilégié, acteur, nous a donné avec cet immense journal brisé une autre formule du journal, tout comme José Cabanis avec ses retours en commentaires sur le sien. Feuilletant au hasard cette sélection de José Cabanis, je trouve la note du 12 janvier 1977 concernant Drieu la Rochelle et cette femme de chambre exclue qui se fait sa fête personnelle sans que les belles dames et les beaux messieurs s'en aperçoivent. Révélateur le choix de cette note et qui nous dit un peu à quel type de qualité pouvait être sensible José Cabanis.

Pour Sainte-Beuve : Il ne s'agit pas ici d'une étude sur Sainte-Beuve mais plutôt d'une promenade initiatrice, un peu à la manière de, sauf qu'on n'est pas en face d'un pastiche. On aborde Sainte-Beuve tel que Sainte-Beuve l'aurait peut-être fait, avec sérieux mais sous une apparente nonchalance. La première partie de ce livre est consacrée à Monsieur De Lamennais. Ce nom me rappelle ces Paroles d'un croyant que je lus jeune et qui me frappèrent par une conviction qui sort de l'ordinaire, dont on a l'impression qu'elle va forcer nos retranchements et nous atteindre au plus sûr de notre défense. Je ne sais si j'éprouverais aujourd'hui ce même choc, j'ai recherché en vain dans mes livres ce vieux volume, il est bien quelque part, hélas dans ma bibliothèque éparpillée dans une trop petite maison retrouver un volume que je n'ai pas ouvert depuis quarante ans tient parfois du miracle ! Je me suis cependant procuré Les affaires de Rome que José Cabanis tient en haute estime et j'y bien retrouvé ce ton de conviction profonde, cet élan souvent économe de mots. José Cabanis a raison, on ne lit plus Lamennais et quelques autres, dommage car comment comprendre sans ces témoins irremplaçables qui, même romantiques, sont bien plus que les grecs et les latins, nos classiques. Sainte-Beuve côtoie Lamennais, puis un chapitre lui est consacré. Ce livre a été publié quinze ans après Charles X, on peut penser qu'il doit quelque chose aux investigations et lectures de José Cabanis préparant cet autre ouvrage. Outre Lamennais, Sainte-Beuve et Chateaubriand  on y trouve quelques figures de l'époque puis, pour de courts passages, Renard, Proust, Jouhandeau, Grenier ( Jean ) et Gide au sujet duquel je rapporte cette phrase d'un courage certain : " Il est permis de se demander si le monde futur pour lequel il croyait écrire, et sur lequel il ne s'est guère expliqué, n'était pas avant tout une société où les vieux messieurs pourraient ouvertement courtiser les petits garçons. On ne demande pas mieux, et vienne ce temps, ce n'est pas bouleversant. " En nous parlant de Berryer, José Cabanis nous livre une petite anecdote concernant une branche parallèle de sa famille.  

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Discours de réception à l'Académie Française, éloge de Thierry Maulnier : Terrible double langage de la littérature. Dans son éloge de Thierry Maulnier, son prédécesseur à l'Académie, José Cabanis nous rapporte ce jugement sur la Grèce antique : " Ces foyers sans feu, ces inextinguibles flammes de pierres, brillent dans la nuit de l'aventure humaine et annoncent une victoire remportée il y a vingt cinq siècles sur le bruit et la fureur sur le temps et sur la mort. " Il vient juste de nous dire que le doute systématique était ce qui armait l'auteur de ce jugement dont il souligne immédiatement le lyrisme insoupçonnable chez un tel auteur. Je ne sais si José Cabanis l'a voulu ou pas, mais je ne peux m'empêcher en lisant cela de penser à la grande imposture de la Grèce athénienne, d'un coté la beauté, la philosophie, la démocratie de l'autre, l'esclavage, l'impérialisme sanglant et cupide qui allait être la marque de bien d'autres démocraties et singulièrement abréger le règne athénien. Alors que reste t-il dans le ciel grec ? Il n'est pas une colonne athénienne qui ne fasse résonner à mes oreilles le bruit des massacres athéniens, ces hommes, ces femmes et ces enfants que l'on massacrait ou que l'on réduisait en esclavage - Athènes massacrait beaucoup, beaucoup plus que la terne et légaliste Sparte - et qui remplissent les pages de Thucydide. Il est rare que les grands monuments du passé recouvrent autre chose que la misère : pyramides égyptiennes, colonnes grecs, cathédrales chrétiennes, Versailles, Saint-Pétersbourg, tout cela est né de la sueur, de la faim et du sang des peuples sous le joug des tyrans. Un des plus hypocrites de ces tyrans fut la démocratie impérialiste athénienne, nous en sommes les héritiers si ressemblants et si différents puisque la beauté nous a désertés ! Je me suis toujours méfié des hommes qui admiraient dans de grandes envolés lyriques ces beautés frelatées, ils font trop bon marché de la vie des autres ! José Cabanis ne suit d'ailleurs pas Thierry Maulnier dont il fait l'éloge dans sa condamnation du dix neuvième siècle, comment le pourrait-il, lui qui y fut si attentif. Les choses n'étant cependant jamais simples, il nous rappelle que Thierry Maulnier fut anticommuniste et socialiste et nous dit très bien qu'il savait penser par lui même et changer à chaque fois qu'il le fallait ce qui n'est pas une mince qualité. Au final, José Cabanis, illustrant bien sa théorie de la critique d'admiration donne envie de lire ou relire Thierry Maulnier, ce qui ne serait peut-être pas inutile aujourd'hui, s'agissant effectivement d'un penseur original qui a été parfois jugé hâtivement. Notons pour terminer l'emploi particulier, cher à Brassens, que José Cabanis fait en un clin d'œil du mot Académie dès le début de son discours.

Retour à Balzac : Il s'agit ici d'un discours prononcé à l'Académie des jeux floraux de Toulouse en 1966. Balzac écrivait-il mal? Oui, nous répond José Cabanis et il nous donne de nombreux exemples, mais Balzac écrivait bien, il était même un orfèvre du mot juste. Alors ? Alors, il écrivait bien quand il traitait de ce qu'il connaissait, quand il inventait, quand il imaginait, il s'égarait dans des platitudes parfois affligeantes. C'est une constante de José Cabanis : n'écrire que ce qui correspond à une nécessité profonde, la sincérité, l'authenticité,  indispensables au mot juste.

(1) Entretiens avec Bruno de Cessole, publié par le Centre Georges Pompidou, Bibliothèque publique d'information. Ce petit fascicule reprend un entretien qui eut lieu le 4 février 1993 à la Bibliothèque publique d'information. Intéressant, il a été édité par cet organisme en 1995 dans une série de fascicules disponibles à la bibliothèque. Je me suis référé à plusieurs reprises à cet entretien dans cette page, à chaque fois un simple renvoi (1) signale la source.

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