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RENE BOYLESVE ET JOSE CABANIS

 

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C'est une maladie, me direz-vous, ces parallèles entre deux écrivains tournent à la manie ! Peut-être. C'est en lisant dans Une vie d'écrivain, que le père de José Cabanis était notaire que le rapprochement entre les deux auteurs s'est fait. Tous deux sont nés loin de Paris, la Touraine de René Boylesve était certainement plus éloignée de Paris quand il naquit que le Toulouse de José Cabanis. L'un y viendra terminer ses études puis y vivra, l'autre restera dans sa ville natale. On retrouvera dans les deux œuvres des échos, plus que cela même, de la province natale, mais c'est René Boylesve qui sera qualifié le plus souvent d'écrivain provincial, épithète stupide s'il en est mais plus justifié qu'en ce qui concerne José Cabanis dont les premiers romans se situent dans une ville, Toulouse, "universelle". Là où Boylesve nous décrit des provinciaux, qu'il situe en tant que tels, Cabanis nous parle de quelques personnes face au monde, dans une société qui pourrait être celle de n'importe quelle ville ou presque. Le temps a passé et a déjà bien uniformisé les comportements et l'objet des romans n'est peut-être pas le même. Cependant, si on me demandait lequel de ces deux écrivains était le plus attaché à sa terre natale je répondrais sans hésiter José Cabanis. C'est lui qui n'en bouge pas, c'est également lui qui ne la quitte jamais dans ses romans, évitant même de mettre en scène un héros en Allemagne comme son expérience du STO aurait pu l'y conduire. Boylesve suivra la voie contraire. Il vivra sa vie d'homme à Paris, il écrira de nombreux romans dans d'autres cadres que sa province, - Paris, l'Italie, la Normandie. Si le temps a changé, la critique aussi, Barrès est loin quand Cabanis publie son premier livre et l'apostrophe de Gide a fait mouche : " Né à Paris, d'un père uzétien et d'une mère normande, où voulez-vous, Monsieur Barrès, que je m'enracine ?" les questions d'enracinement n'ont plus guère de relief.

Fils de notaire pour René Boylesve, issu d'une lignée interrompue de notaires pour José Cabanis, ils n'auront pas la même jeunesse même si un certain isolement leur est commun. René Boylesve perd très jeune sa mère, il est élevé par des parents et son père se tue alors qu'il est encore enfant, un père qui n'entrera que comme personnage secondaire dans son œuvre. Chez José Cabanis, la présence des parents est plus forte, la nostalgie qu'il en a se retrouvera souvent là où Boylesve nous conduira chez sa grande tante et sa grand-mère. Elle n'est pas de même nature et elle est émaillée des regrets d'avoir mal aimé. L'enfance et l'éducation sont les pierres d'ancrage de Boylesve, le regret de n'avoir, jeune, pas su aimer, sera un motif récurrent chez Cabanis.

Tous deux font des études de droit et sont inscrits au barreau. Boylesve n'y reste pas longtemps et on n'a aucune preuve qu'il ait jamais plaidé. Ni l'un ni l'autre ne sont poètes encore que chez Boylesve le sentiment poétique demeure très fort et marque plusieurs livres. L'œuvre de Boylesve est exclusivement une œuvre de romancier donc apparemment plus homogène que celle de Cabanis qui est tour à tour romancier, essayiste et historien, mais ce n'est là qu'apparence car c'est chez Cabanis que nous trouvons la plus grande unité alors que chez Boylesve la plus grande diversité des genres romanesques abordés conduira sous des styles différents à une œuvre parfois déroutante, même si les sources d'inspiration sont plus homogènes qu'il n'y paraît. C'est d'ailleurs Cabanis le plus classique des deux selon l'expression, surtout si l'on tient compte que la concision qu'admiraient Gide ou Proust chez Boylesve, ne lui était pas tout à fait naturelle mais était le résultat d'un style bridé sous l'influence de Ganderax. Boylesve au plan du style s'avère être un étonnant artisan capable de jouer dans des registres très différents, Cabanis restera l'homme d'un style précis, vif, naturel qu'on retrouve dans toutes ses formes d'écrits. L'éducation catholique des deux n'aboutit pas au même résultat. Boylesve est incroyant, retenant de la religion la nostalgie de cette douce musique spirituelle connue enfant, qu'il recherchera en vain dans un amour charnel pour lequel elle sera cause de déceptions. Cabanis lui, connaît une courte période d'incroyance et revient rapidement à une religion intime qui ne dévorera pas son œuvre sans cependant qu'il s'en cache. Ils seront tous deux élus à l'Académie française, mais Cabanis y entre à un âge où Boylesve est déjà mort, c'est que Boylesve fréquente les milieux littéraires et tient salon alors que Cabanis vit loin des coteries cultivant seulement l'amitié de quelques uns parmi les plus grands. L'un et l'autre seront sensibles aux modestes, Cabanis suite à son expérience allemande du STO, Boylesve certainement par goût, mais leur mise en scène en sera très différente. Si l'on trouve chez José Cabanis une vraie peinture de la misère sociale il n'y a chez Boylesve qu'une observation attentive d'individus simples et la soumission au milieu y est plus d'ordre morale. On peut dire qu'ils sont tous deux des écrivains pessimistes mais le pessimisme de Boylesve, plus profond certainement que celui de José Cabanis que sa foi et des proches devaient atténuer, est souterrain et doit être débusqué par le lecteur dans des œuvres au ton parfois leste comme Les nouvelles leçons d'amour.

Cabanis s'attachera beaucoup à son jardin dans ses dernières années, y consacrant du temps, les jardins - dans leur dimension parc - seront une des grandes constantes de l'œuvre de Boylesve. Tous deux perdront un frère tué à la guerre, il ne s'agit pas évidemment de la même guerre.

C'est dans la période " d'entrée en roman ", que le parallèle est le plus intéressant, l'âge auquel l'auteur se fait personnage dans son œuvre. Pour Cabanis on naît ou peu s'en faut à l'existence romanesque jeune, à l'âge où l'adulte point; pour Boylesve on demeure enfant. Il y a bien quelques rares figures d'enfants chez José Cabanis, mais elles ne sont pas centrales et elles sont des adultes qui avortent, d'ailleurs nombre de ses personnages principaux vieillissent au même rythme que lui ce qui est loin d'être le cas chez Boylesve chez qui je dirais que au-delà des enfants qu'il peint, par les yeux desquels il voit, nombre d'adultes sont encore des enfants. Notons immédiatement que Boylesve n'aura pas d'enfants et que José Cabanis en aura deux.

Ces deux écrivains n'entreraient-ils pas ainsi en roman à l'âge de la rupture ? La rupture, pour Boylesve, c'est la mort de la mère, tôt, qui sera répétée par celle, horrible, du père puis de la grand tante, la mère de remplacement suivie de celle du grand oncle. Il entre dans son œuvre enfant, à la période des grands traumatismes et des grandes émotions, Cabanis y entre jeune, lycéen, plus tard, à la période des premiers émois amoureux et de l'égoïsme. Rappellerais-je ce que Cabanis lui même constate : c'est l'enfant heureux qui donne la littérature noire, Green d'une part, lui même avec l'Age Ingrat, à coté La becquée serait un livre optimiste.

José Cabanis renonce au roman après deux critiques assez vives, Boylesve se dit que son œuvre ne vaut rien après Proust. Les deux on tort, mais pour chacun, à mes yeux, le premier roman est le meilleur de son œuvre, Le médecin des Dames de Néans d'un coté, l'Age Ingrat de l'autre. Je ne pense pas que cela soit si rare pour des auteurs qui ne courent pas chez l'éditeur à vingt ans, le premier roman contient l'essentiel de l'œuvre à venir ou en est la part la plus forte, les critiques souvent l'ignorent, prisonniers qu'ils sont de la technique et du savoir faire, victimes de l'aveuglement que cause quelques maladresses sans importance ou n'ayant tout simplement pas le courage de revenir sur des premières œuvres qu'ils n'ont pas remarquées. Un jeune écrivain, de plus, veut tout mettre dans son livre, plus tard, il est plus économe de son inspiration.

Aujourd'hui, l'œuvre de Boylesve, mort il y a bientôt quatre-vingt ans, est la chose d'un petit public d'initiés, on ne sait quelle audience conservera celle de José Cabanis, mort récemment, je suis de ceux qui souhaitent qu'elle ne soit pas réduite au même sort ne serait-ce que parce qu'elle est un excellent témoignage d'une époque, au travers de l'Age Ingrat, qu'elle met en œuvre une conception originale et réussie du roman, le deuxième cycle, et parce qu'elle explore de façon vivante plusieurs pans de notre histoire littéraire. Que les romans du second cycle de l'œuvre soient réservés à un petit public me semblerait plus conforme à leur nature encore que ce sera peut-être justement par eux que l'œuvre touchera les lecteurs de demain parce qu'elle tourne plus autour de l'homme-auteur et que c'est une tendance forte qui ira certainement se confirmant.

J'ajoute un nouveau paragraphe à cette comparaison de deux auteurs que j'apprécie, elle relève un peu de la graphologie, art dans lequel je suis plus que néophyte, ce qui me permettra d'en jouer avec la fantaisie qui n'est permise qu'aux ignorants. José Cabanis commence sa signature par une sorte de trait à la courbure très légère qui figure le J de José. René Boylesve commence sa signature soit par un R long trait à la courbure à peine plus marquée, soit droite soit inclinée jusqu'à quarante cinq degrés, soit, quand il ne signe que de son nom, par un B de même facture. Pour chacun, cette première lettre est d'une taille disproportionnée avec les autres lettres toutes très bien formées chez José Cabanis et plutôt bien formées chez René Boylesve. J'aime à voir dans cette similitude une sorte d'apparentement de goût et de rigueur littéraire non dépourvue d'élan, un élan qui porte vers le ciel chez José Cabanis, croyant ; qui hésite entre le ciel et les promesses mystiques suaves de l'enfance et la terre et sa sensualité si forte penchant vers l'une ou l'autre au gré de ses humeurs chez Boylesve. Pour le reste, les deux écritures sont des écritures d'hommes cultivés et raffinés, régulières, à petites lettres, bien formées et donc facilement lisibles pour José Cabanis, très belles mais beaucoup plus difficiles à déchiffrer chez René Boylesve.

 

  

Signature "droite" de René Boylesve et signature de José Cabanis

 

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