CURZIO MALAPARTE

Le Magnifique

 

1898 - 1957

 

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                   " Comme le dit Coccioli dans son journal, Malaparte est un de ces menteurs qui "parviennent à travers le mensonge à une dimension acceptable de la vérité. "

                        Georges Piroué - Traducteur, avertissement de Le soleil est aveugle.

 

 

Malaparte en réponse à Buonaparte qui a échoué, ou la mauvaise part ? Les deux origines sont possibles et semblent avoir été revendiquées successivement par l'auteur pour justifier le choix de ce pseudonyme. Le nom est désormais célèbre sans faire nécessairement penser à l'une des deux interprétations qui ne sont qu'anecdotiques.

De mère italienne et de père allemand, Curzio Suckert est certainement le plus grand écrivain italien moderne. Très tôt engagé dans la politique, compromis avec le régime fasciste dont il sera et se prétendra victime, il appartient à une génération obsédée par la force salvatrice dans un monde où tous les démons ont été déchaînés, du moins le croyait-on avant 1933. Il soignera son image, la modèlera avec constance. Il peut paraître à un français comme une sorte de synthèse de Drieu la Rochelle et de Malraux, deux amis. Il aime les idées et s'en joue, il est artiste dans son écriture et Kaputt me semble avant tout le livre d'un artiste, il est homme d'action mais ne va pas jusqu'à l'engagement total aidé parfois en cela par ses compatriotes. De Drieu il partage bon nombre de hantises dont celle de la nation, de la force, de la décadence de l'Europe entre fascisme et communisme et le premier choix du fascisme, de Malraux le souci de son image à laquelle il se consacrera et le goût de l'aventure. Au contraire de Drieu, rongé par l'idée de sa propre destruction, il sera la vie et la survie, au contraire de Malraux, il ne sera pas l'engagement ferme et, à chaque fois, définitif.

Aimé dans sa légende acceptée en tant que vérité par les uns, détesté par les autres, Malaparte ne peut laisser indifférent. J'ai choisi de l'accepter dans son œuvre, la première italienne de son siècle, une des premières en Europe en refusant d'ignorer les points faibles de l'homme qui sont liés à sa force.

De dimension européenne ce jeune italien, parlant parfaitement le français, engagé dans l'armée française à seize ans, alors que son pays est encore neutre, demeurera francophile. Il sera comme Ernst Jünger un "héros", participant dans sa brigade des chasseurs des Alpes, une troupe d'élite, à de rudes combats en Italie comme en France où il sera décoré de la croix de guerre avec palme, une décoration "méritée".

L'expérience  de la guerre des tranchées sera pour lui comme pour tous ceux qui l'ont connue décisive on en trouvera des échos transposés dans Kaputt mais son narcissisme l'empêchera de s'y attarder comme le fera Drieu.

Les éléments de biographie qui figurent sur le net concernant Malaparte reflètent largement ses impostures, on se reportera avec profit à un ouvrage sérieux comme celui de Maurizio Serra, Malaparte, vies et légendes (Grasset, 2011). On apprendra ainsi les dessous de sa relégation à Lipari qui n'a rien à voir avec un antifascisme revendiqué par lui après la guerre ou la publication en France de la Technique du coup d'état.

Peut-on dire que l'ambitieux Malaparte aurait été communiste dans une Italie communiste, ce qui est confirmé par son attitude d'après la seconde guerre ; gageons qu'il n'aurait pas aussi bien survécu sous la dictature communiste, mangeuse d'hommes, n'aimant pas le ton indépendant ou libre, qui, au contraire du fascisme, n'a jamais été indulgente pour le siens, bourreaux devenant victimes ou idéalistes dont on se débarrasse, toujours menacés de disgrâce.

Ce que l'on doit retenir c'est l'œuvre, c'est ce regard sur un monde en perdition. Peu d'hommes ont su donner une dimension "artistique" à leur témoignage sur le drame d'une Europe qui sombrait, sans rejeter dans l'oubli l'horreur dans laquelle elle se vautrait. Chez Malaparte on sent que cette dimension est à la fois condition de survie et part de l'horreur, comme avec Frantz, l'horrible Gauleiter fou de la Pologne, l'art est constitutif des crimes.

 

 Notice biographique de Malaparte pour l'édition de Kaputt dans la collection Soleil de Gallimard. Le début est vrai et Malaparte fut réellement ce que l'on peut appeler un "héros", le reste, à partir de 1933, c'est la légende ... (Cliquer sur l'image)

  

 KAPUTT :          Kaputt en livre de poche (1966) N°19-20 : un des premiers livres de cette collection)

 

Kaputt est un beau livre, esthétiquement c'est un livre magnifique. Un des rares livres traduits dont le style passe dans la traduction, dont on a l'impression qu'il a été écrit en français. Il faut dire que Malaparte, parfait francophone, ne manquait pas de martyriser ses traducteurs ou traductrices. Mais cette beauté qui tient au style et, également au contenu, n'est pas sans contreparties. C'est un livre horrible qui nous parle de choses horribles sur un ton qui se veut tantôt désinvolte, tantôt d'un humour de dérision pour ne pas dire de désespoir. Qu'importe la vérité du rôle du narrateur, oublions-le, lui, qui ne s'oublie que rarement et soigne au passage sa légende. Nous voyons un homme qui voyage dans une Europe de la folie, très symptomatiques les pages qui nous parlent de Frank, du ghetto de Varsovie et des réminiscences d'une époque d'avant. Malaparte multiplie les symboles, les saumons par exemple ou les rennes, les chevaux de glace, à chaque fois, c'est l'occasion de parler de l'Europe, des Européens, des Allemands et de leurs victimes, des Allemands présentés comme poussés, armés, par la peur.

Kaputt prouve que l'art peut s'emparer de tout même du pire. Kaputt est le premier livre, le seul certainement sur ce ton, avec ce talent, à nous dire l'horreur de ce qui s'est passé en Europe, dans la complicité des hommes "d'avant". L'auteur nous montre des hommes dans leur quotidien, certes pas banalement, mais dépouillés, réduits à la caricature de ce qu'ils se pensent ou se sont pensés être. C'est l'Europe elle-même qui vacille dans ces pages. Bien plus tard, Jonathan Littell nous dira dans un roman historique à la forme on ne peut plus classique, les choses telles qu'elles ont été, mais l'horreur de la banalité du meurtre, si présente, n'y sera pas plus forte que magnifiée dans Kaputt. Malaparte use et abuse sans lasser le lecteur de métaphores, souvent censées lui permettre d'exister parmi le personnel nazi, il utilise également la répétition, cet art que Péguy, qui fut un de ses contemporains, mit en honneur avec bonheur en faisant un art musical.

Lit-on Kaputt aujourd'hui, en Allemagne ? De quelle façon un jeune Allemand de 2011 peut-il lire un tel livre à Berlin, à Munich, à Düsseldorf ou à Aachen, l'Aix-la-Chapelle des Français, l'ancienne capitale de Charlemagne ? Comment peut-il lire l'histoire des Juives de Sorucua, la marche romaine de l'Est, sans penser que son grand-père montait l'échelle qui menait aux chambres de ces pauvres filles ... peut-il ne pas imaginer que son putain de grand-père dont il a hérité d'un huitième de gènes, mêlés aux trois autres huitièmes d'autres qui montaient à d'autres échelles, des gènes d'une putain de race supérieure ; ou se tenaient derrière les mitrailleuses qui libéraient les pauvres filles tous les vingt jours ? Vingt pauvres filles tous les deux fois dix jours, violées cent fois par jour par des enfants de salauds pères de leurs pères ... des enfants de putain de la glorieuse Wehrmacht, celle qui donne parfois "un coup de main" à ses alliés de l'OTAN dans des pays - la Serbie par exemple - que plus jamais aussi vieille que puisse devenir la terre d'Europe, un uniforme allemand ne devrait souiller même sous la blouse d'infirmier, c'est un crime de guerre que d'avoir laissé ces putains d'uniformes vert de gris violer le regard des vieux Serbes ! Mais qu'en peut-il le jeune Allemand ? On n'est pas responsable de ses enfants de salauds de parents ou de grands parents ... chaque homme naît vierge, c'est à lui qu'il appartient de choisir sa saloperie et à ce jeu, aujourd'hui, tous les peuples, fils de putes ou de victimes, se valent se roulant dans l'ordure libérale ou cultivant la nostalgie de la dégueulasserie ancienne. Napoléon préfigurait Hitler, il suffisait d'y ajouter une once de pape pour l'antisémitisme, une grande once, une immense once, une once pleine de tous ces putains de papes, lignée d'enfants de salauds qui aboutira sur le trône pourri de Saint-Pierre, celui des Borgia et des Farnèse, à Benoît Machin, pape allemand, ex-nazi ; de Gobineau pour la race et de Darwin mal digéré pour l'efficience de la religion de la force sans oublier ce vieux facho de Coubertin, sa religion du muscle et ses comités Olympiques qui n'ont cessé d'être nazis que pour mieux être corrompus.

L'horreur mortelle de l'Europe, de la vieille Europe, dans une atmosphère proustienne, c'est cela Kaputt. Un livre essentiel dans lequel les animaux, chevaux, rennes, rats, oiseaux, chiens, mouches, partagent ou symbolisent les hommes jusqu'aux saumons dont le géant sera exécuté parce qu'il fait peur au général allemand qui ne parvient pas à l'attraper tout comme Hitler veut détruire une Europe qui ne sera jamais allemande, qui regarde le ridicule d'une Allemagne trop bien organisée, préparée, graissée, huilée, et qui, à chaque épreuve se noie faute d'imagination, de capacité d'improvisation, une Allemagne prussienne au cerveau rigide alliée à l'Italie de la sottise pérorante, l'Italie impériale de ce ridicule petit instituteur, Mussolini, qui se prenait pour César, le César de l'Abyssinie et de l'Albanie réunies, ce qui n'est pas un Empire mais, tout au plus, une enseigne d'hôtel de passe, un César de plâtre auquel Malaparte crut un jour avant d'en dénoncer les tares.

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 La Peau 

La Peau est le second volet d'un cycle de trois récits dont Kaputt est le premier. Alors que le premier couvre la période "allemande" de la guerre et ses horreurs, le second suit la progression américaine en Italie, que Malaparte accompagna en tant qu'officier de liaison. Les références dans chacun de ces deux récits sont au passé mais le passé de La peau est Kaputt, il y a dans le récit des réminiscences de la période précédente comme cet horrible passage des Juifs crucifiés de Dorogo.

Dans cette œuvre Malaparte soigne sa légende et répond parfois par avance à ses détracteurs. Ainsi, l'évocation de son chien Fébo est l'occasion de dire que "... la morale est gratuite, qu'elle est une fin en soi, qu'elle ne se propose même pas de sauver le monde (même pas de sauver le monde !) mais seulement d'inventer toujours de nouveaux prétextes à son propre désintéressement ..." mais aussi de rappeler ses longues années d'exil dans "une île sauvage" et "revenant parmi les hommes, se voit fuir comme un lépreux par tous ceux qui un jour, le tyran mort, joueront aux héros de la liberté ..." Le chien dont on connaît la pensée de la bouche - plume - de l'auteur nous dit encore : "Il savait [le chien] que la liberté n'est pas un fait humain, que les hommes ne peuvent pas, ne savent peut-être pas être libres, et que la liberté en Italie, en Europe, pue aussi fort que l'esclavage. " p 246

On sait que Jouhandeau habillait ses personnages à partir de gens ordinaires pour leur donner ces personnalités tranchées, particulières, presque mythique. Malaparte opère également sur le réel mais il en tire une matière qui semble condenser le réel en scène fortes, exemplaires. Ses personnages vont de l'élite, une élite qu'il déshabille à une plèbe qui peut prendre jusqu'à dans l'horreur une dimension transcendant l'humain. Tous, sous le regard du narrateur qui admire, souffre, sont ballottés par les événements, vaincus, vainqueurs, personne ne domine son destin qui se joue dans les ruines de la vieille Europe. L'auteur n'est tendre pour personne, ni pour les Américains, ni pour ses compatriotes.

Les descriptions sont des morceaux de vie et alternent avec les scènes horribles, faisant contraste, cerclant, comme une boîte son horrible bijou, la folie des hommes "victimes" - bourreaux, et ses résultats, comme ce texte qui suit la mort de la jeune-fille, Concetti, sous le bombardement de Naples. " Une forte odeur de mer, à laquelle se mêlait le souffle clair et frais du jardin embaumé par le rêve humide des fleurs et par le frémissement de l'herbe nocturne entrait par les baies grandes ouvertes. C'était une odeur rouge et chaude fleurant ... " p 36-369-370

Des personnages franchement drôles nés de la naïveté des Américains tel le général Cork découvrant les ruines du Colisée, se tournant vers Malaparte : " Look a that ! nos bombardiers ont bien travaillé ! " p 432

Il y a chez Malaparte de l'aventurier, mais il est et demeure à chaque instant un artiste. Le champ de son aventure est l'humain, héritier de la riche, de la fabuleuse Europe, en un temps de désastres, de crimes et de malédictions.

La Peau demeure un grand livre même s'il n'a pas le caractère somptueux jusque dans l'horreur de Kaputt.

"Je n'aime pas voir jusqu'à quel point l'homme peut se dégrader pour vivre." p 64 " Un peuple ne peut avoir le sentiment de la liberté s'il n'a pas aussi celui de la pitié. " p68 " Et je me demandais, avec un trouble dont je ne pouvais m'expliquer la raison, s'ils se rendaient compte que cet admirable "spectre" de la civilisation classique italienne dans son dernier triomphe, déjà corrompue par des ferments d'une morbide sensibilité féminine, déjà ,humiliée par l'absence de sentiments nobles, de passions fortes, d'idéals élevés, était l'image même du mal secret dont souffrait la jeunesse européenne dans tous les pays, vaincus et vainqueurs : une obscure tendance à transformer les idéals de liberté, qui semblaient être ceux de la jeunesse d'Europe, en désirs de satisfactions sensuelles, les exigences morales en refus de toute responsabilité, les devoirs sociaux et politiques en vains exercices intellectuels, et les nouveaux mythes prolétariens en les mythes ambigus d'un narcissisme dévié vers l'autopunition. " pp184-185 " C'est la civilisation moderne, cette civilisation sans Dieu; qui oblige les hommes à donner une telle importance à leur peau. Seule la peau compte désormais. Il n'y a que la peau de sûr, de tangible, d'impossible à nier. " p 191 " Nous savons tous, en Europe, qu'il y a mille façons de faire le clown. Jouer au héros, au lâche, au traître, au révolutionnaire, au sauveur de la patrie, au martyre de la liberté, ce sont autant de manière de faire le clown. Même coller un homme au mur et lui tirer dans le ventre, même perdre et gagner la guerre, ce sont des façons comme tant d'autres de faire le clown ... " p 259-260        Haut de Page

 

 LA VOLGA NAIT EN EUROPE  Sous couverture del Duca, l'édition DOMAT de 1948.

Ce troisième volet de la seconde guerre mondiale nous parle du front russe et pour la dernière partie de Saint-Pétersbourg, alias à l'époque : Leningrad et de l'armée finlandaise qui, après les agressions soviétiques se trouva alliée à l'Allemagne hitlérienne. Malaparte y est moins littéraire que dans les deux précédents. Il examine les aspects sociaux de la guerre, une guerre d'ouvriers qui utilisent des machines. Dans son commentaire préface de 1948, il évoque les "futures démocraties ouvrières d'Europe occidentale", non seulement elles n'ont jamais vu jour, mais la classe ouvrière de l'Europe occidentale n'existe plus. Notre époque qui nie cette réalité : "la lutte des classes" est celle de la domination sans partage de la bourgeoisie des parvenus, ineptes et incultes, représentée dans l'état français par la lie de la société : les avocats d'affaires. Mais en 1948, Malaparte avait besoin de la sympathie des communistes, " Je préfère l'ouvrier à n'importe quel autre type d'homme " p 28 (Préface). Au fil des chapitres, correspondants aux articles de presse dont est composé l'ouvrage, certaines redites paraîtront peut-être un peu fastidieuse, le style flamboyant des deux autres livres, Kaputt et La peau, n'étant pas là pour les faire passer, mais l'ensemble demeure intéressant et constitue un véritable témoignage. L'amour des ouvriers est cependant rendu crédible par celui de sa ville natale : Prato, ville ouvrière. " ... chaque fois que la tyrannie entre en conflit avec la liberté, la tyrannie est fatalement destinée à succomber. Il est clair que le jour où la Russie soviétique qui, comme tout le monde le sait, est un pays libre, se trouverait vraiment en conflit avec la liberté, elle tomberait fatalement en morceaux." pp 31-38 L'expression "en morceaux" correspond particulièrement à ce qui est arrivée lors de la chute de l'U.R.S.S.  Je ne pense pas que l'armée ait été le cœur du système soviétique comme le dit Malaparte (p 86), ce "cœur", c'était la police secrète et ses bourreaux, si Malaparte avait eu raison, c'est Trotsky qui l'aurait emporté sur Staline après la mort de Lénine. En U.R.S.S., l'armée était sous surveillance, elle a été l'objet de purges sanglantes. En avril 1941, devant Leningrad, Malaparte écrit : " Il faudrait un commentaire particulier du fait indiscutable que les communistes ont montré, au cours de la guerre civile espagnole, et de cette guerre de Russie, qu'ils possédaient, au plus haut point, la technique de la défense d'une ville contre une armée moderne puissamment armée et cuirassée. " p 266, Stalingrad n'est pas loin où seront d'abord bloqués les Allemands puis encerclés et écrasés.            Haut de Page

 TECHNIQUE DU COUP D'ETAT  

" Parmi les dangers auxquels est exposé l'Etat moderne, un des plus graves est la vulnérabilité des Parlements. Tous les Parlements, sans exception, sont plus ou moins vulnérables. L'erreur des démocraties parlementaires, c'est leur excessive confiance dans les conquêtes de la liberté, alors que rien n'est plus fragile dans l'Europe moderne. " p 124 Voilà une citation qui devrait nous alerter, nous Français, dont le Parlement que l'on présente comme garant des libertés et de la Démocratie est en réalité le Lieu du Coup d'Etat Permanent. D'abord, rappelons les deux grandes trahisons d'un Parlement indigne : Pétain et de Gaulle. En 1940, un ramassis de parlementaires dont la lâcheté n'a d'égale que le manque de clairvoyance confie l'Etat à un vieux Maréchal sénile et luxurieux, imbu des pires théories antisociales de l'Eglise catholique, antisémite et lâche. En 1958, le même Parlement, dans lequel siège peut-être encore un certain nombre des lâches et des imbéciles de 1940, abandonne le pouvoir à un Général factieux, Charles de Gaulle qui fut aide de camp du Maréchal et dont les partisans, alliés dans leur entreprise de subversion aux communistes, empêchent les institutions de la quatrième République de fonctionner normalement depuis plus de dix ans. Actuellement, ce Parlement, Assemblée Nationale ne représente absolument pas la France, dix millions d'électeurs au moins, exprimant leurs votes, ne sont pas représentés dans cette Assemblée bidon, croupion, qui confisque la Démocratie au profit d'une Ploutocratie d'incapables ambitieux, incompétents et corrompus. (Quand un parti prend la défense d'un homme manifestement corrompu, c'est tout le parti qui est corrompu). Les Français dans leur immense majorité ne se rendent même pas compte du Coup d'Etat que représente chaque élection truquée de l'Assemblée Générale actuelle et une presse et des médias serviles, aux ordres des ploutocrates, se gardent bien de leur révéler cette situation. Le Président de la République française n'a pas plus de légitimité que Ben Ali n'en avait en Tunisie.

On me pardonnera je l'espère cette digression actuelle qui montre combien Malaparte était clairvoyant. La conquête de l'Etat moderne n'est pas celle de ses institutions, mais celle de ses centres techniques. Elle n'est pas forcément l'œuvre du peuple ou de l'armée mais peut-être plus efficacement celle d'un petit nombre de techniciens armés, bien entrainés, capables de s'assurer et de faire fonctionner ces centres techniques, électricité, eau, communications, - médias, aérodromes, gares, ...-. Se maintenir au pouvoir peut nécessiter l'appui d'un parti populaire, le conquérir pas. Malaparte prend pour exemple la première démonstration de cette technique appliquée par Léon Trotsky en 1917 à Saint-Pétersbourg dans l'incompréhension de la vieille garde bolchevique y compris Lénine. Il analyse les coups d'état réalisés ou pas de différents personnages historiques et plus souvent ses contemporains. Ce petit livre, publié en France, est rapidement devenu un classique.

Qu'en est-il advenu aujourd'hui de cette conquête de l'Etat ? On l'a vu, l'image est devenue plus importante. Mais les révolutions par l'image sont-elles complètes ? Ne souffrent-elles pas de leurs improvisations, de leur obligation de s'adapter ? Si l'état résiste, elles sont désarmées et livrent la population aux représailles les plus sanglantes (Syrie, Lybie, Yémen).

Ce livre aidera le lecteur d'aujourd'hui à faire la différence entre fascisme et nazisme, sans volonté de ma part de réhabiliter le fascisme, je ne le confonds jamais avec le nazisme forme beaucoup plus nocive et criminelle de domination. Ainsi, le fascisme italien aurait pu, sans l'indolence des démocraties, France et Angleterre, être leur allié dans le conflit au lieu de se ranger aux cotés de Hitler. Le fascisme espagnol ne fut jamais antisémite et Franco méprisait Hitler. Peut-être faut-il d'ailleurs voir dans la participation des volontaires fascistes espagnols à la guerre contre l'URSS une façon de se débarrasser des pires excités de son propre parti pour Franco tout comme les papes ne visaient nullement la conquête des lieux saints en prêchant les croisades, mais envoyaient au loin une noblesse guerroyeuse, turbulente et difficile à gérer.                  Haut de Page

 Monsieur Caméléon 

 La Table ronde a eu la bonne idée de republier ce conte, satyre politique, dans la Petite Vermillion, excellente collection de poche. Satyre du monde politique italien à l'arrivée au pouvoir de Mussolini, ce conte joliment écrit, qui a souvent un ton voltairien, est trop long pour le genre. Il est bavard et les discours et avatars des héros pour qui n'est pas au fait dans le détail de la révolution fasciste italienne, est peut-être un peu décourageant même si la lecture en demeure agréable. Publié partiellement dans un journal de 1927 à 1928, Monsieur Caméléon ne le sera en volume qu'en 1946. La satyre y est déroutante car Mussolini y apparaît de façon plutôt ambiguë même si le dictateur n'y est pas toujours flatté. On peut regretter que Malaparte n'ait pas trouvé dans ce genre la formule équivalente à son essai Technique du coup d'état, ramassé et épuré. Ce roman appartient au domaine de la légende des rapports de Malaparte et du fascisme. Je donne ci-après quelques citations, d'autres, nombreuses, pourraient aussi bien figurer à leur place.

 " Je commence à croire que vous avez inventé l'Histoire pour vous consoler de votre humanité quotidienne. " p 87 " Je ne comprends pas, disait-il, pourquoi les hommes prennent le soin de s'entourer de choses tellement plus grandes qu'eux. La raison du malheur de l'humanité est là. " pp 86-87 " Les livres, lui disais-je, sont ce que le gouvernement est pour le peuple. Tout homme a les livres qu'il mérite. " p 92 " L'hypocrisie du monde politique est telle que chacun est prêt à s'étonner et à s'indigner de ses propres défauts ou vertus quand les autres s'en parent. " p 96 " Les journaux parlaient de lui comme d'un caméléon à bien traiter et d'un concurrent de première force ; et ne sachant quelles intentions lui attribuer, ils donnaient à croire qu'il n'en avait aucune, ni bonnes, ni mauvaises, ce qui est fait, à Rome, pour provoquer la sympathie des gens tranquilles qui se méfient par expérience, depuis des siècles, autant des bonnes que des mauvaises intentions. " p 97 " ... enfin, qui disait du mal de tous, tout en sachant fort bien qu'avoir raison et avoir tort sont une seule et même chose en temps de révolution. " p 105 " On a tout vu, dans les dernières années, sous le prétexte des traditions démocratiques, que plus personne, en Italie, n'a confiance ni dans les principes, qu'ils soient bons ou mauvais, ni dans les raisons fondées sur les principes. " p 143 " ... vous verrez que de nos jours, la meilleure façon de suivre sa propre vocation est celle de se faire l'instrument de la politique d'autrui. " pp 153-154 (par l'amateur de La Rochefoucauld) " L'avantage d'un seul, pensait-il, ne fait de mal à personne. " p 191 " Croyez-moi, la divine providence, ne se mêle pas des choses de l'Italie. Si elle y fourrait son nez, soyez certains que les choses, en Italie, iraient encore plus mal. " p 296 Haut de Page

 Le soleil est aveugle ,

Kaputt est un grand livre, un des plus grands du vingtième siècle qui restera certainement dans l'histoire comme le siècle de l'épouvante et de l'horreur. Le soleil est aveugle est cependant peut-être le vrai chef d'œuvre de Malaparte. Rarement certainement un auteur sera autant parvenu à dire sans dire. Correspondant d'une guerre imbécile voulue par ce lâche dépendeur d'andouilles qui se prenait pour Jules César parce qu'il avait conquis Rome à la tête des bandes de voyous racolées dans l'Italie arriérée, la guerre contre la France, battue par les alliés Allemands, aurait certainement connue le même sort que les autres actions mussoliniennes sur le théâtre européen : la déroute. Tout l'art de Malaparte dans ce livre, fait comme les autres de cette période, des articles de guerre, est de créer une ambiance de laquelle suinte l'inutilité de ces combats difficiles. Les "Alpins" engagés dans une lutte contre la nature sous les bombardements français, sont proches de leurs ennemis d'un jour chez lesquels beaucoup d'entre eux travaillaient. En accentuant cette lutte contre les éléments avec lesquels ils communient, l'auteur crée une ambiance incertaine qui se propage aux buts de guerre. Certains errent avant de mourir ou de disparaître dans un univers surréaliste. L'auteur tire tout le parti possible de l'environnement et de la spécialisation des combattants, troupes de montagne. On ne peut s'empêcher de penser que ces hommes exceptionnels sont engagés dans une lutte contre leurs semblables qui se terrent dans les forts alpins. L'attitude des officiers, l'ambiance, tout suggère l'ombre du grand crétin qui sacrifie inutilement la vie de ces hommes de valeur. Combien de combats aussi stupides, mettant en ligne des jeunes hommes venus de milliers de kilomètres, mourir dans des combats perdus d'avance, se déroulent encore aujourd'hui sous la pression d'autres dépendeurs d'andouilles ? D'inutiles agités qui se prennent pour César ou Napoléon dans des pays qu'ils ruinent sous les encouragements de crétins décérébrés, affairistes caritatifs qui jouent aux prophètes entre deux petites affaires ? Certains de ceux qui n'ont pas le courage de dénoncer ces crimes considèrent encore en pinçant la bouche, Malaparte comme un écrivain fasciste, fasciste ou pas, ce qui compte c'est le courage de voir et de dire, ils ne l'ont pas.

Le style de Malaparte, rendu avec précision par un maître traducteur, Georges Piroué, bien que plus sobre, annonce Kaputt, il en a déjà la somptuosité.

"Ce qui corrompt les hommes, ce qui les rend méchants, lâches, égoïstes, c'est la conscience de la mort. Elles savent qu'elles peuvent mourir, mais non qu'elles doivent mourir. - Si elles apprenaient un jour qu'elles doivent mourir, dit Zanelli en penchant en avant son visage de braque, tu ne crois pas que les bêtes se révolteraient contre les hommes ? Le capitaine saisit Zanelli par un bras, le regarde avec une espèce de triomphe dans les yeux : "Elles nous accuseraient de l'avoir inventée, la mort. Oui, nous. Est-ce que ce n'est pas nous peut-être qui l'avons inventée, la mort ?" p 142

 Journal d'un étranger à Paris : 

Cette œuvre, posthume, n'a pas été révisée par Malaparte et on demeure étonné de sa qualité littéraire. Retrouvant Paris après la guerre de 39-45, et alors, qu'italien, il traine aux yeux de certains une image de compromission avec le fascisme à une heure où la France ne compte plus de collaborateurs et est peuplée seulement de résistants - la plupart façon Sartre - Malaparte y écrit à la fois son bonheur d'être à Paris et les divers constats des changements tant à son égard que de nature, de ses amis et connaissances françaises. Les "belles histoires" façon Kaputt y sont rares, mais il nous livre bon nombre d'analyses qui ne manquent pas d'intérêt. Grand plaisir de lecture, plaisir de la langue, des mots, des images - fortes - qui se mêlent aux idées, qui existent par elles, en symbiose.

" Je rentre enfin à Paris, en France, dans ce pays où j'ai le droit de cité. " p 13 Chèrement payé ce droit en 1914, il y a laissé ses poumons. Pp 25-26, le catholicisme français comparé à l'italien et à l'espagnol. P 34, la critique de la littérature française qui devient une littérature de mœurs dans le plus mauvais sens du mot, incapable de porter des valeurs universelles. Confirmé aujourd'hui. Le premier mai 1919, Malaparte assiste à une manifestation d'anciens combattants qui se font matraquer par les flics, " C'est ce jour-là que je sentis obscurément que ma génération avait perdu la guerre. " p 52. Pp 72-74, le remarquable portrait de Sartre, petit bourgeois ... et laid. P 84 et suivantes, Malaparte revient à Sartre, à l'existentialisme - un point de vue très décapant ! Un point de vue extérieur venant de quelqu'un qui en a presqu'une connaissance de l'intérieur. (Je veux dire que Malaparte est Italien, don, comme il l'écrit lui-même, étranger, mais en même temps, il est tellement attaché à la France où il a souvent résidé qu'il en a une connaissance de français.) Pp 161-163 au sujet du prix Nobel de Gide, l'étonnant commentaire au sujet de la cruauté des intellectuels en général, de Gide en particulier qui se termine par : " Gide est le prêtre d'une religion dont les autels des sacrifices sont à Dachau. " Même B.H.L. n'aurait pas osé écrire cela. Malaparte engage la responsabilité des intellectuels. Reproche : une vision abstraite de l'homme. A rapprocher de la vision politique de Drieu dont l'homme était exclu selon son propre aveu. " Je me convaincs toujours plus que j'aime mieux les vrais collaborateurs que les faux résistants. " p 181 " La sottise d'un peuple est la meilleure garantie de sa liberté. " p 186 Cet aphorisme n'est pas un paradoxe, comment un homme intelligent se sentirait libre quand il analyse sa place dans la société et les confluences qui le portent ? Mais il y a une liberté relative, la seule. Page 192, la foule parisienne, à rapprocher de Richard Millet ( Premières pages de Arguments d'un désespoir contemporain.) La chute : le mur des lamentations italien ...

" Les hommes, après la guerre de 14-18, recherchaient l'ordre, la hiérarchie, une architecture de l'ordre. Ils l'ont cherché et parfois trouvé dans le fascisme, dans le communisme, dans le catholicisme. Les hommes d'après 1945 ne cherchent que la solitude, la liberté, le sens de l'innocence. Ils refusent tout ordre ancien, ils vomissent toute architecture, ils ne savent pas quoi faire de l'ordre capitaliste, communiste, catholique. " p 255.Je crois cette note très vraie, surtout en ce qui concerne les hommes de 14-18, c'est une thèse que je défends à maintes reprises sur ce site et qui explique bien des engagements chez des hommes qui se seraient mieux portés sans à nos yeux, mais ils ne le pouvaient absolument pas en raison d'un vécu d'une force que nous ne pouvons pas nous représenter. " Les hommes, les peuples, ne croient plus en la destinée de l'homme. Que l'homme ait une destinée à part dans la nature, voilà ce en quoi les hommes ne croient plus. " p 257. Pp 270-273, la comparaison à Chateaubriand, importante au moins dans le regard que Malaparte porte sur lui-même. " Le romantisme ne souffre pas l'esprit, l'humour. C'est un mouvement sombre et triste. " p 280 " Nous sommes en plein épanouissement du subconscient ; c'est une époque romantique que la nôtre, l'époque de l'irrationnel. Les Français se trouvent mal à l'aise dans une époque propre aux déchainements des passions, des instincts, des forces irrationnelles qui couvent au fond de l'être humain. " p 283

Ces quelques citations et commentaires ne donnent qu'une vue réductrice d'un texte, écrit partie italien, partie français, d'une grande richesse et d'un bonheur d'écriture qui ne se dément jamais.

 Le Bonhomme Lénine

Voilà une biographie que l'on peut considérer comme l'introduction à la Technique du coup d'état. Lénine petit bourgeois marxiste, craintif, courant derrière les événements qu'il interprète inlassablement, forgeant un outil, le Parti Bolchevik destiné à assurer son pouvoir. Petit bourgeois sectaire, comme Robespierre, assimilant la révolution à sa personne encore comme Robespierre ou comme de Gaulle la France. C'st Trotski, l'homme d'action, mais aussi le penseur, qui prend le pouvoir par l'insurrection, c'est Staline qui succédera à Lénine dont il a appris l'importance de la possession du Parti. Le récit de Malaparte est vivant, agréable, documenté sur des témoignages, des mémoires.

  Viva Caporetto    

Mieux qu'un témoignage cet essai-pamphlet est une façon de rendre compte de la guerre par quelqu'un qui en fut un "héros". Ce premier livre de Malaparte qui vient seulement d'être traduit en français - félicitons-en Stéphanie Laporte et les Belles Lettres -, peut paraître un peu sec dans les premiers chapitres. Progressivement pourtant s'affirme le futur auteur de Kaputt avec son ironie grinçante, désespérée et somptueuse. Ce livre est une gifle à tous les va-t-en-guerre de l'arrière, députés, journaleux, généraux et autres publicistes de mauvais alois. Reprenant les causes de Caporetto, Malaparte dénonce sans faillir l'incroyable façon dont les pseudos élites italiennes ont traité le fantassin - viande à boucherie - dans l'armée italienne. C'est un réquisitoire contre la connerie et la lâcheté ordinaire mais qui, comme toujours chez Malaparte, va plus loin et tente de plonger dans les racines profondes du mal. Plus ou moins semblables, c'est ce que l'on pourrait dire de la situation dans les autres pays de ce conflit. Qu'on se souvienne des 300 000 morts du début de guerre, de Joffre (nommé en récompense Maréchal de France), des morts de Nivelles et Mangin, de la Somme et des deux Verdun, des fusillés "pour l'exemple !" - quel exemple ? - ... Jamais on ne dira assez le crime incroyable de stupidité de cette guerre ignoble où les incompétences et la saloperie des politiciens et des journaleux le damnait à celle des militaires de haut rang. Il n'y a eu de traitres nulle part dans cette guerre, et le droit de ne pas se faire tuer, de ne pas tuer, est le droit le plus élémentaire de l'homme, pas reconnu par les Droits de l'Homme actuels. Chaque peloton d'exécution, tous les gendarmes venant chercher des réfractaires, étaient des criminels auteur de crimes contre l'Humanité. Les Poincaré, les Clémenceau, les Barrès, n'étaient que des petites ordures, des assassins lâches se cachant derrière l'alibi honteux de la Patrie. Ni la France, ni l'Allemagne, pas plus que les autres n'étaient des Patries, seulement de basses putains, ce qu'elles sont encore aujourd'hui.

Chaque groupe de personnes avait son saltimbanque qui lui dictait sa loi ; chaque café était un creuset d'opinions. La malodorante et envahissante démocratie - malodorante démocratie latine qui au lieu d'enseigner le respect de la collectivité enseignait à haïr les majorités et à rire de l'État - avait mélangé dans la rue, le linge sale et le linge propre. Tout était public : même l'individu était devenu un individu public. " p 40 " Derrière eux toute la nation (ou presque), prise d'une de ces convulsions épileptiques que l'on nomme parfois, à certains moments de l'histoire, patriotiques, criait sur les places des villes, sous les palais des anciennes seigneuries et autour des marbres aux yeux froids, tandis que les orateurs, du haut des grands escaliers, tel Gargantua depuis la tour de Notre-Dame, répandaient l'acide urique le leurs discours improvisés sur les foules en délire. " p 49

Au risque d'abuser du droit de citer (les Belles lettres me le pardonnent, c'est en leur nom et au nom d'une humanité pacifique que je le fais) je donne ce long extrait du chapitre IV qui mériterait d'être plus long encore :

Tapi dans les trous et dans la boue, rongé par les poux, lancé à l'assaut contre d'autres trous boueux et d'autres hommes pouilleux, le peuple des soldats, des bons et des ignorants se trouva en face d'une chose imprévue, terrible et insaisissable, une machine faite de formules, de fil de fer et de canons striés, de chimie et de balistique, elle se heurta contre un mur d'acier, de calculs et de science, invisible et omniprésent, contre lequel sa pauvre masse hurlante maudissante et implorante, faite seulement de chair, d'os et de composants humains, ne pouvait rien.

La mort mécanique tuait et massacrait, labourait la terre et les bois, noircissait le ciel, éventrait les montagnes et les hommes petits et gris, marchaient dans cette tourmente, tombaient, se relevaient, laids, sales, l'uniforme en lambeaux et couvert de sang, se relevaient en hurlant et se jetaient contre la machine, contre ce mur de calculs et de formules, contre la mort mécanique qui tuait e massacrait - tac, tac, tac, tac.

Et si les hommes petits et gris rencontraient d'autres hommes pleurant et hurlant comme eux, massacrés et torturés comme eux par la monstrueuse machine insaisissable, le terrible « rire rouge» les mordait à la nuque, les jetait les uns contre les autres, à grands coup d'ongles et de cailloux, des hommes contre d'autres hommes. Et la mort mécanique continuait impassible son œuvre, sur cet enchevêtrement d'hommes qui se déchiraient non pas par haine, mais pour se venger d'elle - tac, tac, tac, tac.

Puis quand la nuit absolue écrasait les êtres et les choses terrestre sous le poids insupportable de la profonde lueur de ses constellation - lointaines, si lointaines ! - le peuple des bons et des ignorants, au fond des entonnoirs, ou derrière des sacs empilés, scrutait l'espace inerte entre une tranchée et l'autre, pour chercher ses morts.

Les morts immobiles, contorsionnés, en morceaux, les mort horribles, étendus, agenouillés, recroquevillés, les morts aux poing tendus, aux yeux écarquillés, à la langue pendante - noirs et gonflés.

Les morts laids et dégoûtants, que la mort mécanique avait engloutis, puis recrachés sur tout le « no man' s land ». 

...." p 58

"- Nos prolétaires avaient subi la guerre avec un profond sentiment de résignation, sans chercher à en savoir le sens ni les raisons.

Au lieu de se demander: « Pourquoi se battre ? », les soldats mettaient toutes leurs facultés critiques au service de deux questions : Qui, en Italie, a voulu la guerre ? Qui se bat ?

_ « La guerre a été voulue par les interventionnistes, ceux qui criaient "Vive la France !" et "Vive Trente et Trieste !" Les neutralistes ne la voulaient pas : ils hurlaient donc "À bas la France !" et "À bas Trente et Trieste !" Nous, qui sommes en train de faire la guerre, nous n'avons rien crié du tout. »  p 59

L'infanterie est l'arme très chrétienne qui tue et se fait tuer sans haine, l'arme des bons, des patients, des croyants en Dieu et en l'humanité, pour lesquels l'épitaphe devrait être : « Mort au combat avec une chrétienne résignation ». p 64

Je ne donnerais pas toutes les citations que j'ai encore retenues, mais seulement cette dernière parce que Malaparte emploie au sujet de l'Italie le qualificatif - poli - que j'emploie - comme il convient - au sujet de toutes les nations :

Il y a quelque chose de grotesque dans le spectacle de notre peuple qui pendant trois années s'est fait massacrer sur les deux fleuves pour les beaux yeux d'une prostituée, indifférente à lui et à son sacrifice ; il y a quelque chose de grotesque qui remplit d'horreur et d'admiration. " p 82

Car la grande question de 14-18 et la seule est bien celle-ci : pour quelle raison les poilus n'ont pas fraternisé sur tout le front pour aller fusiller les politiciens, journalistes et généraux et autres écrivains scélérats comme l'ont fait les Russes ? Rappelons qu'en France les responsables de la guerre, tel ce salaud calamiteux de Poincaré, - qui aura plus tard une lourde responsabilité dans l'arrivée de Hitler au pouvoir - n'avaient même pas été capables de la préparer !

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