PAUL BOURGET

1852 - 1935

"Littérature engagée"

En cours de rédaction

Accueil          Paul Bourget - Bibliographie                Paul Bourget Poète   

 

 UNE GENERATION  

 

La Querelle du Disciple (Textes)

 

L'Etape            Un Divorce           Le Disciple            Stendhal 

 

Un coeur de femme             Un Homme d'affaires           Cosmopolis            L'Emigré

 

Oublié mais pas tout à fait, condamné mais souvent estimé, Paul Bourget est presque l'archétype de l'écrivain engagé dont l'engagement marque l'œuvre aux yeux de la postérité et l'empêche de trouver la place qui devrait lui revenir. "Progressiste" il serait une référence de notre littérature, "réactionnaire" il en est un contre exemple, mais un contre exemple, aujourd'hui, cela ne devient-il pas un véritable exemple ?

Entré en littérature par des romans d'analyses consacrés aux femmes et à l'amour, Paul Bourget, individualiste et athée, se découvre une foi, une passion pour la nation et la religion et un sens des responsabilités qu'il met en scène dans Le Disciple son œuvre la plus célèbre qui fit beaucoup de bruit lors de sa publication. Ce roman comme ses Essais de Psychologie, annoncent le second Paul Bourget qui ne viendra que quelques années plus tard , alors il ne cessera plus d'écrire pour illustrer et défendre ses idées. Son parcours fait penser à celui de Maurice Barrès, son contemporain, mais il restera, contrairement à ce dernier, dans le domaine littéraire où il excellera.

Le Paul Bourget première façon a été taxé d'immoralisme. Jérôme Demoulin (*1 nous rapporte qu'une parente le déshérite en 1905 - alors qu'il s'est converti à une littérature militante, qu'il sera stigmatisé dans un livre dénonçant les écrivains immoraux : Les Malfaiteurs littéraires, que René Doumic mettra en garde les femmes contre l'effet délétère de ses romans, Ecrivains d'aujourd'hui, et qu'il sera condamné en Angleterre pour outrage aux mœurs pour son roman : Un crime d'amour. Quant à l'inévitable Léon Bloy il y alla de ses non moins inévitables vitupérations, trop nombreuses pour être prises au sérieux. Paul Bourget, romancier accompli, continuera à faire sentir avec force les tentations dont seront victimes ses personnages même à son époque "morale". Il serait d'ailleurs intéressant de suivre les "progrès" du Diable et de la chair dans l'œuvre des écrivains catholiques de 1850 à 1950 âge d'or et d'expansion intérieure de la littérature française.

Utilisé par Paul Laurent pour moquer Sartre dans Paul et Jean Paul, un habile pamphlet, Paul Bourget mérite de n'être pas abandonné à l'immense cimetière des écrivains passés de mode. Psychologue, philosophe, sociologue, analyste attentif, romancier solide, il a laissé une œuvre robuste qui à tout le moins demeure un très fort témoignage des luttes qui marquèrent la fin du XIXème et le début du XXème siècle français en littérature comme en politique. Bourgeois, fier de l'être (sa célèbre préface du Disciple), nationaliste, estimant que la famille est le cœur de la nation, lie les hommes à leur passé et à leurs traditions, catholique parce que la foi est pour lui le rempart contre l'amoralisme et l'immoralisme, le gendarme absolu en dehors duquel l'individualisme emportera tout et ouvrira toutes les vannes de l'anarchie. Royaliste il déteste ce régime démocratique qui fait la part belle aux ignorants. A ses yeux seule la tradition peut lier la société et assurer sa place à l'homme en son sein par sa famille solidement structurée dans les traditions et l'héritage des morts.

A une époque qui a vu la libre pensée et l'athéisme procéder de la science, Paul Bourget tente de renverser le rapport et se réfère à la science au-travers de ses "lois naturelles" dans le domaine de la sociologie et de la psychologie pour affirmer et fonder sa foi qui relève, selon lui, d'un domaine différent et non contradictoire de celui de la science.

Paul Bourget peut nous paraître ultraréactionnaire, il est incontestablement honnête, un très solide romancier, un des meilleurs de son époque, et un critique parfois pertinent de ses ennemis. Comptant parmi les "découvreurs de Stendhal" dont le succès posthume date de son époque, il a plus de liens avec lui que l'on pourrait le croire à priori ce qui explique en partie le remarquable portrait qu'il nous en donne dans ses Essais de Psychologie contemporaine. Il révèle parfois et le débat autour de ses œuvres encore plus, cet égoïsme profond de la bourgeoisie triomphante mais passée en position de méfiance - face au socialisme - au début du vingtième siècle, égoïsme qu'habille des idées auxquelles croit sans doute possible notre propagandiste, meilleur critique que théoricien. Paul Bourget était admiré par Nietzsche et cela n'est peut-être pas aussi surprenant que l'on pourrait le penser. On trouvera dans ses romans certaines traces de l'affirmation d'un inconscient qui n'est nullement la révélation de Freud. Ainsi, aujourd'hui, nombreux sont ceux qui ont intérêt à faire passer pour "démoder" et sans intérêt son œuvre. En littérature il n'y a pas de mode sauf pour les petits farfelus d'un jour et les critiques au service des éditeurs, les œuvres solides témoignent de leur époque surtout quand elles ont été au cœur des combats. Celle de Paul Bourget qui ne se situe nullement entre Feuillet et Bordeaux comme un imbécile - freudien comme par hasard - le suggère (méthode de dévaluation très stalinienne) - peut ne pas plaire, les thèses qui y sont défendues peuvent ne pas susciter l'enthousiasme, mais elle demeure solide, originale en de nombreux opus, et indispensable à la connaissance d'une époque.

Les Essais de psychologie contemporaine sont, paraît-il l'œuvre qui aujourd'hui assure encore une audience à leur auteur dans le monde universitaire. Le propos en est de déterminer les tendances de la société au-travers des œuvres de ses écrivains représentatifs. Cinq écrivains sont étudiés dans la première série : Baudelaire, Renan, Flaubert, Taine, Stendhal ce dernier étant jugé contemporain parce que ayant écrit dans une logique qui est celle de l'époque - diagnostique qui correspond au pronostique de l'intéressé. Une seconde série suivra - Nouveaux Essais de Psychologie contemporaine - qui concerne Dumas Fils, Leconte de Lisle, MM de Goncourt, Tourgueniev, Amiel.

Elu à l'Académie Française en 1894, il ne survivra pas aux combats dans lesquels il s'est illustré mais les générations suivantes ne manqueront dans le même camp, ni de convertis ni de combattants, Claudel, Bernanos, Mauriac pour ne citer qu'eux, chacun avec ses propres nuances et particularités, Gide voyant quant à lui les rangs de ses premiers amis s'éclaircir au fil des conversions.

Paul Bourget restera, ainsi que le dit bien Albert Thibaudet *2 , l'homme qui a révolutionné la littérature de son époque par le roman d'analyse et l'anti-Zola qui ira s'engluer tout comme ce dernier mais avec plus de réussite, dans le roman à thèse (genre qui n'a effectivement guère réussi à Zola et qu'on oublie volontiers au profit des Rougon-Maquart.)

*1) La famille française dans l'œuvre de Paul Bourget (Edition Xavier Mappus, Le Puy - Thèse de doctorat Faculté des lettres de Fribourg)

*2) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours. Stock 1936. pp 425-428  Haut de Page

GRAND ECRIVAIN ?   

Ses contemporains considéraient Paul Bourget comme un grand écrivain. Cette considération n'était certainement pas unanime même si ses Essais lui avaient très tôt attiré une certaine considération. Ses romans à thèse lui ont assuré, inévitablement, des ennemis peu disposés à lui reconnaître cette qualité. L'oubli voire la condamnation qui a été son sort, sont de ces situations qui peuvent nous amener à réfléchir sur ce concept de "grand écrivain". Est-il nécessaire que le temps passe sur une œuvre pour lui assurer une telle situation et que son auteur mérite un tel titre ? Ou, au contraire, l'impact de l'œuvre sur ses contemporains, est-elle indispensable à cette qualification ? Dans le premier cas, Paul Bourget n'est pas un grand écrivain, dans le second, c'est Stendhal qu'il faut oublier. Une réponse rapide serait à ce stade d'estimer que le choix est facile : c'est des deux, Stendhal le grand écrivain et la seconde exigence doit donc en conséquence être la bonne condition. Cette évidence ne me satisfait pas. Je crois que certaines œuvres de qualité, que les idées qu'elles défendent ou illustrent, tombées en désuétude, ont condamnées à l'oubli, reconnues par leurs contemporains, méritent à leur auteur la reconnaissance de grand écrivain. Ces œuvres conservent en général deux qualités. Celle de nous attacher à leur lecture quand nous sommes capables de relativiser les idées qui s'y trouvent et je ne suis pas loin de penser que toutes les idées, surtout celles que nous estimons justes, vraies, bonnes, doivent être relativisées, cette condition devenant dès lors une habitude de lecteur. La seconde qualité est de témoigner fortement de leur époque et de nous contraindre à ne pas oublier notre passé. Ce qui a fait l'importance de ces œuvres oubliées pour leur contenu idéologique, étant dès lors ce que nous avons rejeté de notre passé et parfois, dans le cas d'un Paul Bourget par exemple, mais aussi d'un Jean-Paul Sartre plus tard, ce qui a été une tentation forte de notre communauté, ce qui a incarné à tort ou à raison un espoir. Trois écrivains contemporains de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle ont mérité cette qualification de grand écrivain : Bourget, France et Barrès c'est finalement Gide qui l'a eu et a été reconnu le plus unanimement. C'est que son crédo était d'apparence littéraire, son influence, cultivée attentivement, grande après une lente montée et que le contenu moral de son œuvre autant que sa trajectoire personnelle peuvent se confondre avec l'évolution générale des mœurs et des individus sur une longue période. Les deux que l'oubli a saisi sont Bourget quasiment totalement et Barrès, et sont liés à la tradition et au nationalisme, la tradition n'existant que pour être bousculée par l'évolution et le nationalisme ayant péri dans deux conflits odieux dont il porte la responsabilité et dans les excès et la faillite de son impérialisme colonial.

Personnellement je considère également comme des grands écrivains, certains auteurs demeurés dans l'ombre ou n'ayant bénéficié que d'une reconnaissance honnête et limitée de leur vivant pour être oubliés ou presque par la postérité. On trouve dans ou par leur œuvre la qualité et la solidité, l'originalité, le témoignage sur une époque, la personnalité intéressante de l'auteur et le plaisir de la lecture. Boylesve, contemporain des précédents, étant de ces auteurs.

La reconnaissance d'un grand écrivain n'est pas forcément universelle certains l'étant à titre privé.

Tradition, Racines :

Il était courant à l'époque de Paul Bourget de parler de racines, de distinguer entre les différents caractères régionaux, c'est que l'uniformité était moindre qu'aujourd'hui. Les communications difficiles et incomplètes, les voyages réservés à une minorité, maintenaient les disparités locales et les caractéristiques régionales. La France était constituée de différentes nations et ne trouvait son unité sous la tutelle du centralisme parisien que dans l'ignorance de cette réalité que la république jacobine s'efforcera de combattre et d'effacer, ce résultat n'étant presque réalisé que par l'explosion médiatique et le grand brassage des populations. On se souvient du caractère odieux que prit ce combat par exemple quand on condamnait des enfants à tourner dans la cour de l'école les souliers pendant sur la poitrine attachés aux lacets passés autour du cou, parce qu'ils avaient prononcé un mot de ceux qui étaient d'usage courant chez leurs parents et voisins. Ce traitement relevait de la torture morale, était abject et annonçait assez bien le mépris total de l'homme réel qui présidera au massacre de1914-1918. Jules Ferry et consorts le trouvaient utile et digne, témoignant ainsi du même aveuglement et pratiquant la même façon de penser que leurs adversaires pour qui l'homme n'est qu'un constituant d'un ensemble qui compte plus que lui. Il reste encore aujourd'hui des traces de ces particularismes provinciaux - peut-être devrait-on parler parfois de nationaux quand il s'agit de l'ex Comté de Toulouse, de la Lotharingie et de sa descendante la Bourgogne, de la Bretagne ou des Flandres ( Toulouse, Dijon, Rennes sont, par leur patrimoine, des capitales comme Lyon et autant que Paris ). Il y a une unité par dessus les frontières de la région lilloise à Bruxelles, cette unité s'étend encore aux hommes, rien d'étonnant alors que des théories un peu trop systématiques les aient exploitées à l'époque du nationalisme. Gide en répondant à Barrès n'était pas l'homme de l'avenir mais celui d'un cosmopolitisme qui n'est pas à-priori meilleur que le monde des particularismes qui ne conduisent pas nécessairement aux affrontements. Parler de cosmopolitisme au sujet de Gide est d'ailleurs dérisoire, au-delà des ruptures n'est-il pas demeuré le protestant puritain qu'attaqua assez maladroitement pour ne pas dire avec ridicule Béraud ? Anatole France, si français, était plus "cosmopolite" que Gide mais pas au sens où on l'entendait à l'époque de Bourget avec une pointe de mépris et dans une intention de condamner. Le cosmopolitisme est en effet condamnable quand il prétend à l'hégémonie, à l'uniformisation, pas quand il se contente d'exister sous toutes ces formes chacune bien particulière que peuvent lui donner les différents brassages d'où il découle.

Sur Paul Bourget :

Roger Martin du Gard : "... un romancier psychologue qui ne vise qu'à pénétrer et à peindre les infinies profondeurs des natures humaines, et aller en ce sens, plus loin que ses devanciers. (Car - et ceci est une parenthèse -, plus encore que le désir de peindre la réalité telle que nous la voyons, le véritable intérêt d'une vie de romancier c'est de s'accrocher à l'être humain, si complexe, si mal connu encore, et de fouiller dans ces ténèbres, et de sortir au jour quelques bribes des réalités qui, jusque-là, étaient cachés dans la nuit de l'inconscient et de l'inexploré. ... Et voilà peut-être aussi pourquoi notre jugement sur Bourget sera taxé d'injustice par la postérité. -)" Journal II p 339 30-10-1922 Ce texte a un double intérêt, d'abord de nous éclairer sur la conception un peu naïve du romancier que se faisait Martin du Gard et un peu tous les proches de Gide : l'exploration de l'âme humaine, ensuite de nous rappeler que c'est Bourget qui introduisit l'inconscient - bien avant Freud - dans la littérature, ce n'est pas pour rien que Nietzche l'admirait. Martin du Gard se trompe, personne ne lui reproche d'avoir ignoré le talent de Bourget, mais, au-delà des idées sociales et morales, je pense que nous ne savons pas reconnaître ses mérites.

 Essais de Psychologie contemporaine - Stendhal (1883) :

Les essais de psychologie contemporaine sont, de l'avis quasi unanime de ses lecteurs, l'œuvre par laquelle Bourget mérite le mieux de survivre. A une époque où la critique revêt un rôle important et s'impose comme genre littéraire, cette œuvre parvient à être originale. Le but de Bourget est d'étudier au-travers des œuvres les écrivains représentatifs de leur époque. Philosophe et sociologue Bourget veut comprendre. Le portrait qu'il dresse de Stendhal, anachronique dans la galerie parce qu'il n'appartient pas chronologiquement à l'époque mais y figurant parce que la représentant - Stendhal qui en avait conscience, était en avance sur son époque et s'il écrivait pour les générations à venir c'est parce qu'il leur appartenait déjà en partie - est d'un intérêt indéniable et j'ai l'impression - sans être un grand spécialiste de Stendhal dont je tiens Lucien Leuwen pour le meilleur roman jamais écrit - que les pages de Bourget constituent le meilleur portrait que l'on puisse trouver de cet écrivain qui, inconnu ou presque de ses contemporain, fut promis à une gloire littéraire sans réserve. " Chez Stendhal, la rencontre si rare d'une imagination psychologique et d'un tempérament violent se complétait d'une sensibilité délicate jusqu'au raffinement et tendre jusqu'à la subtilité. " p271 Quand Bourget évoque la décadence au sujet de Stendhal, ce n'est pas une condamnation mais le constat d'un clinicien devant un état de développement de la société dans lequel elle donne ses plantes les plus raffinées et il conclut : " C'est pour cela que nous aimons sa littérature. " p308 " Cette formidable nausée des plus magnifiques intelligences devant les vains efforts de la vie a-t-elle raison ? Et l'homme en se civilisant, n'a-t-il fait vraiment que compliquer sa barbarie et raffiner sa misère ? J'imagine que ceux de nos contemporains que ces problèmes préoccupent sont pareils à moi, et qu'à cette angoissante question ils jettent tantôt une réponse de douleur, tantôt une réponse de foi et d'espérance. C'est encore une solution que de sangler son âme, comme Beyle, et d'opposer aux malaises du doute la virile énergie de l'homme qui vit l'abîme noir de la destinée, qui ne sait pas ce que cet abîme lui cache, et qui n'a pas peur. " pp 322-323

Homme d'action, très intelligent, de milieu modeste bien qu'aisé, Beyle est Julien Sorel (*1 mais il est né plus tôt, à une époque où l'action paie, puis il a écrit. Julien Sorel naît dans une société fermée, qui ne fait pas place à ses capacités et ne donne pas de champ à son désir d'action, il devient une sorte de fauve, un prédateur. A l'aube de la mort il débouche sur le pessimisme social. Stendhal est en avance. Ce pessimisme social sera le fait de plusieurs générations qui suivront.

Pour tout amateur de Stendhal, ce portrait qu'en donne Paul Bourget sera un plaisir complet.

De la préface à ces portraits il faut retenir ce passage qui va de : " A cette minute précise et tandis que j'écris cette ligne, un adolescent, que je vois, s'est accoudé à son pupitre d'étudiant par ce beau soir d'un jour de juin. Les fleurs s'ouvrent sous la fenêtre, amoureusement. L'or tendre du soleil couché s'étend sur la ligne d'horizon avec une délicatesse adorable. Des jeunes filles causent dans le jardin voisin. L'adolescent est penché sur son livre, peut-être un de ceux dont il est parlé dans ces Essais. C'est les Fleurs du mal de Baudelaire, c'est la Vie de Jésus de M. Renan, c'est la Salammbô de Flaubert, c'est le Thomas Graindorge de M. Taine, c'est le Rouge et le Noir de Beyle... Qu'il ferait mieux de vivre! disent les sages... Hélas ! c'est qu'il vit à cette minute, et d'une vie plus intense que s'il cueillait les fleurs parfumées, que s'il regardait le mélancolique Occident, que s'il serrait les fragiles doigts d'une des jeunes filles. Il passe tout entier dans son auteur préféré. Il converse avec lui de cœur à cœur, d'homme à homme. Il l'écoute prononcer sur la manière de goûter l'amour et de pratiquer la débauche, de chercher le bonheur et de supporter le malheur, d'envisager la mort et l'au-delà ténébreux du tombeau, des paroles qui sont des révélations. ces paroles l'introduisent dans un univers de sentiments jusqu'à lors aperçu à peine.  De cette première révélation à imiter ces sentiments, la distance est faible et l'adolescent ne tarde guère à la franchir. ..." pp VI à VIII Ce passage n'annonce-t-il pas le sérieux avec lequel Paul Bourget approche l'écriture et ce sens de la responsabilité qu'il demande à l'écrivain dans le Disciple ?

*1) Mais il a la philosophie. Lasserre rapporte son mot : " Je n'ai jamais cru que la société me dut la moindre chose. Helvétius me sauva de cette énorme sottise. La société paie les services qu'elle voit. " p 58 de Portraits et discussions.  

Haut de Page

 Le Disciple. (1889)

Ce roman est certainement le plus connu de Paul Bourget et nombreux sont les critiques qui ont pensé qu'il méritait de survivre. Il examine le problème de la responsabilité de l'écrivain sur un scénario proche du Rouge et le Noir. Lors de sa parution, ce livre fut au moins une surprise. Personne ne se souciait de ce thème parce que l'écrivain n'avait pas à rendre compte des idées qu'il défendait qu'il soit romancier, philosophe, sociologue ou autre chose, sauf éventuellement devant les tribunaux (*1. Paul Greslou, le disciple, est un étudiant intellectuel qui incarne assez bien un scientisme mécaniste pour lequel tout s'observe, s'analyse, s'explique, se démontre, se reproduit et ... s'utilise à des fins diverses, pour lui : l'étude qui se transforme en entreprise de séduction puis de séduction et de subornation. Entrant comme précepteur dans une famille d'aristocrates il décide de les étudier, séduire la jeune fille de la maison fait partie du projet. Rapidement il se prend au jeu. Dans la confession adressée au vieux maître qu'il admire, elle représente une bonne partie du roman, il en vient à se demander s'il n'a pas décidé d'étudier la jeune personne parce qu'il l'aimait déjà sans le savoir. On le devine, elle est morte. Elle s'est suicidée mais Greslou est accusé de l'avoir empoisonnée. Il se retourne vers son maître dont il veut faire son dernier témoin, lui demandant de garder le secret sur ce mémoire dans lequel il révèle à la fois son innocence du crime dont on l'accuse et la scélératesse de son comportement qui a conduit au suicide la jeune fille. Sixte, doux savant, sera ébranlé par la confession de ce disciple qui lui montre ses idées dénaturées et sources de dépravation. Au plan de la responsabilité morale du penseur, on aurait aimé que Bourget prisse ou évoque au moins d'autres exemples, par exemple la croyance en Dieu - qui n'est pas mauvaise en elle même - mais qui provoque meurtres, guerres et crimes ; le nationalisme qui conduira Maurras et Barrès par exemple à se battre pour que l'innocent Dreyfus pourrisse au bagne ou dont les écrits comme ceux de Daudet et d'autres, armeront la main de l'assassin de Jaurès comme de ceux de Zola. Il aurait pu ainsi nous expliquer que toute idée est mauvaise pour des imbéciles qui les recevront mal. Que même, l'idée de salut par la religion dans la vie éternelle est, bien comprise, horrible et porteuse de troubles, le croyant s'il est sincère, tenant à sauver - même contre leur gré - ceux qu'il aime.

Curieusement, ce roman à thèse semble moins réel que Un Divorce par exemple, examiné ci-dessous. C'est qu'on entre plus difficilement dans le rôle de cet étudiant naïf qui semble incarner à lui seul un scientisme qui, à la fin du XIXème, commençait à s'essouffler, et qui avait une conception un peu trop "mécaniste" des choses. Il n'en est pas de même des interrogations inquiètes du naïf savant, Adrien Sixte qui nous semble crédible malgré une image de saint ou de moine laïque un peu caricaturale. C'est aussi qu'il est moins bien construit et que la partie centrale, la confession de Greslou, le disciple, peut donner à la lecture le sentiment de longueur.

Bourget observe très bien certains travers des philosophes qu'il n'évite pas lui-même avec ses lois naturelles, " Les faits ne sont pour eux qu'une matière à exploitation théorique, et ils les déforment volontiers pour mieux échafauder leurs systèmes " p77 ou "... il venait suivant une habitude chère à ceux de sa race [celle des philosophes] de fabriquer une construction d'idées qu'il prenait pour une explication. " p78

On s'est interrogé sur le modèle du savant, Adrien Sixte, deux noms ont été le plus souvent retenus : Taine et Ribot (*2. Le premier, qui connaissait Paul Bourget, se sentit assez concerné pour tirer de la lecture du livre une certaine inquiétude et se justifier. Il s'adressa à l'auteur, faisant en réponse à la critique des idées prêtées à Sixte, une justification de ses propres théories au plan de la morale et prédisant à l'auteur une "sortie mystique".

Un mot de l'origine de ce roman. Albert Autin dans son étude du Disciple, évoque l'hypothèse d'une réaction à la publication d'Un Homme libre de Maurice Barrès et rapporte que Paul Bourget lui-même lui a confié qu'il avait été inspiré par la défense d'un malfaiteur cynique, Lebiez, qui avait évoqué la doctrine de Darwin pour justifier son crime, fait divers qui ne fut qu'un point de départ. D'autres ont cité l'affaire Chambige, à Constantine, le 25 janvier 1888, un jeune littérateur de 23 ans tuait à sa demande sa maîtresse et manquait son suicide. (Voir Un crime littéraire - Anatole France - La Vie littéraire - 6ème série)

On a reproché à Bourget son manque de style. Anatole France, Jules Lemaître, pour ne citer qu'eux, n'étaient pas de cet avis. On a fait le même reproche à Stendhal. Aujourd'hui comme à l'époque de Bourget, il conviendrait peut-être de poser la question : qu'est-ce qu'un roman qui n'a pour lui que le style, surtout quand ce fameux style, n'est qu'une recette comme c'est presque toujours le cas chez les amateurs de "petites musiques" ?

Le Disciple fut publié précédé d'une préface " A un jeune homme " qui fit au moins autant de bruit que le roman. J'en extrais cette citation conclusion : "Ne soit ni l'un ni l'autre de ces deux jeunes hommes, jeune Français d'aujourd'hui. Ne sois ni le positiviste brutal qui abuse du monde sensuel, ni le sophiste dédaigneux et précocement gâté qui abuse du monde intellectuel et sentimental. Que ni l'orgueil de la vie, ni celui de l'intelligence ne fassent de toi un cynique et un jongleur d'idées ! Dans ces temps de conscience troublées et de doctrines contradictoires attache-toi, comme à la branche de salut, à la phrase sacrée : "Il faut juger l'arbre par ses fruits"..." C'était évidemment une déclaration non de guerre mais de choix qui corrobore ce constat dans la même préface : " Ah ! la brave classe moyenne, la solide et vaillante Bourgeoisie, que possède encore la France ! Qu'elle a fourni, depuis ces vingt ans, d'officiers laborieux, d'agents diplomatiques habiles et tenaces, de professeurs excellents, d'artistes intègres !" 1889 ... le second empire est passé à la trappe il y a à peine vingt ans, mais son œuvre, obtenue au prix du sacrifice d'une génération d'ouvriers, enfants, femmes et adultes surexploités et affamés, aboutit à cette autosatisfaction nostalgique puisque dans le même texte, Bourget déplore l'existence de la République. 1889, c'est également à peine vingt ans après la cuisante défaite de 1870, l'Alsace et la Loraine sont allemandes et le " jeune homme " doit être vigilant, d'autant plus qu'il n'a pas " pour se souvenir, la vision des cavaliers prussiens galopant victorieux entre les peupliers de la terre natale. "

Plongée dans un monde disparu qui est l'ancêtre du nôtre, y a laissé de nombreuses traces, débattait déjà de certains thèmes encore d'actualité et en a été en de nombreux domaine " l'origine ", ce roman comme d'autres de Paul Bourget, est d'une lecture intéressante et, on le sait : " ... il n'y a pas de commune mesure entre les raisons pour lesquelles deux esprits goûtent ou repoussent un même écrivain. " p 119 Le Disciple, roman à thèse, marque le début d'un nouveau genre en littérature, il se démode peut-être plus rapidement que les autres types de romans, il témoigne pourtant presque toujours de son époque, il y en aura beaucoup d'autres dans le siècle qui suivra - le vingtième -, pas toujours aussi bien écrits ou construits même quand ils portent des signatures reconnues, le roman ayant été pour certains philosophes une sorte de moyen d'expression inférieur destiné à porter vers le grand public la pensée des illustres maîtres.

*1) Curieusement aujourd'hui, alors que les tribunaux se déclarent incompétents dans la chose littéraire au plan des mœurs, ils jugent au plan des idées puisque la loi en condamne certaines et la société "pipole" et médiatique demande des comptes, juge, condamne, et fait régner un état d'esprit bien plus totalitaire et rétrograde que celui que connurent les écrivains de l'époque de Bourget engagés dans des luttes d'idées et de partis souvent très dures mais libres, voir la boîte de chocolat de Gide. (Voir par exemple les campagnes imbéciles anti-Millet Richard) Il semble que notre société soit revenue, entre autres sous le choc des horreurs nazies, à une censure morale assez proche de celle qu'exerçait l'Eglise avant la révolution et que combattirent les philosophes. Comme si les idées étaient seules responsables de ce qui, malgré le contrôle exercé sur elles, continue à se propager et à agir dans notre monde, qui n'a pas grand chose à voir avec elles.

2*) Hippolyte Taine, 1828 - 1893 - Critique littéraire, philosophe et historien. Déterministe, auteur de De l'intelligence et des Origines de la France contemporaine.  Il a marqué son époque par son influence sur l'élite littéraire. Théodule Ribot, 1839 - 1916 Psychologue et philosophe. Considéré par certains comme le père de la psychologie.  Haut de Page

 Un cœur de femme. (1890)

Ce roman dont j'ai lu quelque part qu'il est exemplaire de cette période, appartient à la première période de Bourget, celle des romans féminins d'analyse. L'amour est le sujet principal. Assez paradoxalement, je dirais qu'il date beaucoup plus que les précédents de cette page, Le Disciple et surtout Un Divorce et l'Etape, comme si le talent de l'auteur ne trouvait à s'exprimer que dans le débat d'idées. J'ai eu beau faire, je ne suis pas parvenu en 180 pages exactement, à me prendre d'intérêt pour la belle et prude Juliette de Tillières, pas plus que je n'ai ressenti la moindre sympathie pour le vertueux politicien réactionnaire, Comte de Poyanne, qui, on le sent, bénéficie déjà de toute la sympathie de l'auteur, pas plus d'ailleurs que pour son rival, Casal le séducteur. Roman d'analyse, nul ne songerait à le nier, basé sur des observations aussi pertinentes qu'intelligentes, cela ne fait pas de doute, mais cela ne fait pas un bon roman, un de ceux qu'on n'a pas envie de quitter, aussi, après cet effort de 180 pages, je me suis résigné à fermer le livre et à le classer. C'est ici le statut des personnages principaux, des inutiles comme la comtesse et le séducteur, ou des attardés comme le, politicien réactionnaire, d'ailleurs en second plan, qui détourne de l'œuvre et qui la datent.  Haut de Page

 Cosmopolis (1892)

 On s'accorde en général pour classer ce roman au rang des meilleurs de Bourget. Pourtant dès le chapitre III, à la soixante-dixième page, le roman s'alourdit d'une pesante intrigue de jalousie salonnarde. Un goujat, un soudard déclassé, comte polonais vient troubler les petites et mesquines intrigues d'une dame que l'on veut bien croire libre et aristocratique parce que cela ne signifie rien à nos yeux. Bourget s'y montre bon romancier mais le milieu romain cosmopolite qu'il étudie avec ses types ethniques trop marqués est inintéressant. Ces parasites ne représentent rien et sont beaucoup trop conformes à une imagerie qui véhicule tous les poncifs du genre, le baron juif cosmopolite et le comte polonais étant des archétypes réels ou imaginaires. Il est vrai que les milieux marquent les individus mais chez Bourget comme chez d'autres auteurs de cette époque l'influence du milieu fait penser à un portrait d'astrologue, c'est d'ailleurs ce qui ressort de la courte préface-dédicace de l'auteur au Comte de Primoli. Seuls personnages attachants l'écrivain Dorsenne dans lequel l'auteur doit avoir placé un petit plus de lui et le vieil aristocrate catholique français Marquis de Montfanon autour desquels on retrouve, même dans le second, quelques nuances qui réconcilient. Bien écrit mais dans une langue qui ne décolle pas, ce récit donne trop souvent des sensations de longueur que rien ne vient sauver, l'intrigue et ses suspens n'étant pas de nature à soulever l'enthousiasme ou l'inquiétude. Il y a peut-être là un portrait d'un certain monde de l'époque, quand se côtoyaient aristocrates décavés et douteux barons financiers, américains en rupture et écrivains en recherche de sujets, mais le monde ne se faisait ni ne mourait dans ces salons, ni par ces gens, et l'on a trop la sensation d'y perdre son temps. Paul Bourget y perd également le sien et son talent, les meilleurs passages sont encore ceux que l'on pourrait qualifier de littérature de combat quand l'un ou l'autre des personnages fait profession de ses valeurs. Encore une fois Paul Bourget n'est jamais aussi bon que quand il se livre dans des récits engagés, au risque de déplaire par ses choix politiques, moraux et religieux d'un autre âge. Bourget pense-t-il à lui quand il écrit de Dorsenne : " Ces contrastes sont de ceux qui supposent une âme douée de qualités étrangement complexes, dominée par une volonté assez ferme, et, il faut bien le dire, d'une sensibilité très médiocre. " p 47 tout comme cette profession de foi conviendrait bien à l'auteur de cette œuvre : " Obscur ou célèbre, riche ou pauvre, un artiste doit-être d'abord un artisan et en pratiquer les vertus fécondes, l'application patiente, la technicité consciencieuse, l'absorption modeste dans la besogne. " p 118 - avec quoi nous sommes d'accord au "d'abord" près. Au demeurant le roman demeure très lisible et l'intérêt qui tombe parfois reprend on ne sait comment ni par quels miracles si ce n'est par la force d'entraînement de l'auteur qui est la marque des grands romanciers.

 Un homme d'affaires. (1900)

Ce court roman ou cette longue nouvelle, précède de deux ans l'Etape. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser et qui m'a amené à cette lecture, il ne s'agit nullement ici d'examiner le monde des affaires comme, par exemple, dans l'Argent de Zola. C'est encore une histoire de cœur, mais, cette fois un peu corsée. La vengeance du banquier parvenu, trompé assidûment et dans la fidélité à l'amant, par la fille du couple adultère est un sujet certainement original - bien que je ne sois pas spécialiste du vaudeville genre où il a peut-être été traité. On se prend à ce récit juste assez pour le suivre sur cent quarante pages parce que l'on sait qu'il n'y en a pas plus. Je sors de cette lecture renforcé dans l'idée que Paul Bourget n'est jamais aussi bon que quand il est dans la littérature "engagée". C'est comme cela, certainement une question de tempérament et aussi parce qu'aujourd'hui, tout le monde se fout des états d'âmes des riches héritières qui n'inspirent plus que des basses écrivailleries pour les torchons de la presse "libre". Une citation quand même : " Etait-ce la peine de réunir des Etats en 89, de prendre la Bastille, de massacrer les innocents Foulon et Berthier, de multiplier crimes sur crimes, d'assassiner le plus débonnaire des rois et la plus gracieuse des reines, André Chénier, Lavoissier, Malesherbes, de mettre l'Europe à feu et à sang, de gagner les cinquante batailles inscrites sur l'Arc de Triomphe, pour installer cette aristocratie *1 à la place de l'autre ?" pp 5-6. Nous sommes effectivement, aujourd'hui encore, nombreux à nous le demander !

*1 : Celle des banquiers.  Haut de Page

 L'Etape - (1902) :

Ce roman peut-être considéré comme l'archétype de l'œuvre de combat. Publié à l'époque de la bataille pour l'enseignement, il prend fermement position pour l'enseignement libre considéré comme la tradition indispensable à la cohésion sociale et à la morale. L'étape, c'est évidemment l'ascension sociale par paliers assurant la continuité de la "race" et permettant de conserver le contact avec les "morts", entendez de garder les valeurs traditionnelles. La religion est, pour l'auteur, la garante de la morale en ce qu'elle lui donne des justifications que la libre pensée ne saurait remplacer. Paul Bourget nous montre la famille du professeur Monneron, une réussite universitaire qui, hélas, selon lui, cache une faille : l'ignorance de la réalité, masquée par les illusions rousseauistes des doctrinaires de la révolution. En matière d'illusions, Paul Bourget sait de quoi il parle car si Monneron, homme de cabinet comme lui, ne voit pas sa famille décomposée, lui, Paul Bourget, a du monde ouvrier une image dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle relève d'une imagerie d'Epinal pour bonnes consciences bourgeoises. "  On comprend à regarder ces individus attablés dans ces débits ou restaurants, que l'ouvrier français ne constitue pas, comme le racontent les boniments des politiciens, une classe à part. Si c'est un jour de chômage, tel que celui-là, cet ouvrier est vêtu comme un bourgeois. Les cigarettes qu'il fume sont celles que le bourgeois achète pour les mêmes trente centimes, dans les mêmes bureaux de tabac. Les portions qu'il mange chez le petit traiteur sont pareilles aux mets que le bourgeois commande à sa cuisinière. Il les arrose du vin que boit le bourgeois, il se procure les mêmes dyspepsies avec le même café et le même petit verre. Les journaux qu'il lit sont les mêmes, les mêmes les embryons d'idées qu'il échange avec ses commensaux. La seule différence est dans le décor. La table du marchand de vins n'a pas de nappe et quelquefois pas de serviettes. Il ne suffit pas de telles misères pour établir entre la blouse et la jaquette cette ligne de démarcation que les socialistes se sont solennellement donné mission d'effacer. " p104 On lira avec intérêt après cette tirade digne de figurer dans n'importe quel florilège de la pensée réactionnaire les descriptions du monde ouvrier des frères Bonneff, trente ans après la fin du second empire la condition ouvrière demeurait en ce début de vingtième siècle des plus précaires et les avantages comme les limitations du travail des enfants étaient obtenus - arrachés - sous la pression des socialistes et du monde ouvrier. Paul Bourget ignore ici de façon tellement aberrante cette réalité de son époque que l'on peut le renvoyer à son personnage Monneron en ce qui concerne ses qualités de sociologue : elles sont totalement obérées par ses principes sectaires. Il n'en demeure pas moins que nombre d'observations relevées dans ce roman sont pertinentes même si elles sont présentées abusivement comme une systématique quasi mécanique, systématique également appliquée à la famille du "bon professeur" - le croyant - image qui pourrait être très écornée par une réalité moyenne de cette catégorie de personnages. La force de Paul Bourget est comme toujours la solide construction du roman, l'art de mener l'intrigue et de nouer les situations, l'analyse des personnages après qu'on ait passé sur les théories selon lesquelles ils se meuvent. Qu'on imagine un Zola nous rabattant les oreilles à chaque page des Rougon-Macquart des théories sur l'hérédité - fausses - qui l'ont conduit dans cette aventure et l'on aura une image de l'Etape, les théories sur "l'hérédité morale" se substituant à celles de Zola et la solidité et l'analyse se substituant aux qualités du poète-visionnaire.

L'enseignement, on lira avec intérêt l'incroyable tirade sur l'Université Populaire : " Aussi ne faut-il pas chercher ici la peinture typique d'une Université Populaire, - en admettant d'ailleurs qu'une telle peinture soit possible, car l'esprit d'anarchie qui a présidé à la naissance de ces incohérentes et éphémères créations se manifeste par d'extraordinaires diversités, où une philosophie superficielle veut voir un indice de fécondité ; elles n'attestent que le pullulement inorganique d'une société qui se désagrège. " p144 Pour Paul Bourget, l'enseignement qui est donné dans ces institutions ne peut que donner des résultats monstrueux, ce qui est d'ailleurs monstrueux, selon lui, c'est d'enseigner le peuple qui en sait bien toujours assez quand il sait trimer pour gagner son pain et que la lecture des journaux ou, pire des livres, va gâcher - Maurras parlera de canaille dans son commentaire de ce livre, pour qualifier les intellectuels plébéiens. On ne peut s'empêcher de penser que les catholiques ne lisent qu'avec d'infinies précautions la Bible qui doit être interprétée et qu'il est imprudent - selon eux - de laisser à l'appréciation du commun des fidèles, c'est pour les catholiques de ces interprétations individuelles qu'est née l'anarchie et il est vrai que le protestantisme, tout sectaire qu'il soit, a ouvert la voie à la libre pensée, parfois, également, à un sectarisme qui ne le cède en rien aux autres. Le crime du professeur Monneron, c'est d'appartenir à une famille qui a trahit ses origines : " Cette famille Monneron a commis une première faute, dans le grand-père, qui était un simple cultivateur. Il avait un fils très intelligent. Il a voulu en faire un bourgeois. Pourquoi ? Par orgueil. Il a méprisé sa caste ce jour-là et il a trouvé un complice dans l'Etat, tel que la Révolution nous l'a fait. Toutes ces lois sur lesquelles nous vivons depuis cent ans et dont l'esprit est de niveler les classes, d'égaliser pour tous le point de départ, de faciliter à l'individu les ascensions immédiates, en dehors de la famille, ce ne sont pas davantage des lois saines et généreuses. Ce sont des lois d'orgueil. A quel sentiment s'est-on adressé chez Monneron, au collège ? A l'orgueil. Dans ses examens ? A l'orgueil. Quand je l'ai rencontré à l'Ecole normale tout son développement était un développement d'orgueil. Voilà pourquoi il n'a pas cru. Il a pensé à l'encontre de notre tradition religieuse. Ce faisant, il a estimé qu'il obéissait à sa raison. En réalité, il s'est fourni des prétextes pour justifier une attitude qui n'était que l'instinct déposé en lui par toutes ces données. Il est un vrai représentant d'une époque dont l'aberration consiste à vouloir que chaque génération recommence la société  ! Son irréligion est comme son radicalisme la preuve qu'il ne vit pas avec ses morts ..." pp24/25

Paul Bourget respecte les personnages qu'il met en scène et dans lesquels il incarne les opinions ennemies. Ainsi Monneron est un rêveur mais noble. Cremieux-Dax, le jeune juif fortuné qui est à l'origine de la Tolstoi - l'Université Populaire - agit sur de nobles sentiments, dans ses appréciations sur lui et ses origines, Paul Bourget ne s'abandonne jamais à l'antisémitisme tellement répandu à l'époque dans les milieux réactionnaires et populaires. Il ne traite pas de la même façon des personnages d'arrière-plan comme le politicien radical dont il fait une franche canaille laissant entendre qu'il n'y a que cela dans les rangs républicains (Il y en avait, beaucoup même, tout comme aujourd'hui, les canailles d'ailleurs ne manquaient pas dans l'aristocratie à l'époque monarchique, ce qui n'empêche pas que tous n'en soient pas, les canailles se répartissent à égalité dans tous les partis au pouvoir, hier comme aujourd'hui !) Le jeune autodidacte Riouffol de l'Université Populaire est quant à lui présenté comme un fou ivre de jalousie et presque de sang. Ayant noué les fils de son intrigue, Paul Bourget a la maladresse de les dénouer en exploitant tout, en rongeant son os comme l'on dit populairement, jusqu'au bout. Cette étude à charge diabolisant les partisans de la libre pensée alors qu'on ne fait même pas une allusion à ces assassins des Ligues qui écumaient les rues de Paris au nom du général couard Boulanger ou de l'antisémitisme catholique à l'occasion de l'Affaire, triste préfiguration des bandes S.A. d'Allemagne, ne peut que choquer et discréditer le propos. Aussi n'est-ce que de l'aveuglement du camp catholique, conservateur et royaliste, que ce roman finit par témoigner, l'outrance du propos se retournant sur l'auteur qui, d'ailleurs, n'hésite en aucun domaine à accuser les autres de ses propre péchés. Ainsi il reproche aux "révolutionnaires" de raisonner par analogie pour, quelques pages plus loin, écrire : " La loi qui veut que pas un atome de force physique ne soit perdu, a sa correspondance exacte dans le domaine moral ..." p413. Il est vrai qu'il nous répondrait qu'ici c'est l'observation de ses fameuses lois naturelles !

Comme souvent avec Paul Bourget, quand l'agacement devant les idées, les préjugés, le sectarisme, apparaît prenant le pas sur l'intérêt pour le roman, il s'efface devant ce témoignage irremplaçable d'une façon de penser et d'appréhender la société qui fut celle des catholiques de l'époque combattante d'une Eglise déjà condamnée par son conservatisme et son lien avec la richesse. Et puis on se dit que si l'on se prend malgré ce décalage intellectuel dû à la faillite des idées qu'il défend, à la lecture de cette œuvre partisane, c'est qu'elle est une des tentatives les plus intelligentes et les mieux faites de défense d'une société condamnée et qu'elle dévoile en les exploitants de façon partisane certes, des tares bien réelles de la société qui s'érige sur ses ruines. Cela étant il faut avouer que l'auteur n'hésite pas sur les moyens même bas, ainsi un article de journal républicain ne peut-être écrit qu'au tripot (p355), cela fait penser à un autre écrivain, de notre époque celui-là, un certain Benoit Dutertre, qui fréquentant certainement assidument les bistrots, sait qu'ils fourmillent d'antiaméricains à un point tel qu'on peut assimiler ces derniers à des piliers des susdits. Il y a là un peu des ridicules des partisans en manque d'arguments ou qui méprisent leurs lecteurs, ceux qui, finalement, pensent comme eux.

La lecture de ce roman de combat, défendant les valeurs d'une société moribonde ou les valeurs moribondes d'une société en pleine transformation, nous donne immanquablement un certain recul sur les valeurs sur lesquelles se construit toute société, qu'on ne peut s'empêcher de regarder avec la condescendance qui convient aux choses éphémères pour lesquelles se battent des hommes que leurs successeurs considéreront certainement avec la pitié qu'on applique aux choses désuètes. Un roman de Paul Bourget tel que celui-ci vaut bien tous les cours d'histoire qu'il permet de comprendre et permet de cerner les enjeux de certains combats passés ou présents.

Ecrivain de combat, Paul Bourget a été traité par ses ennemis aussi durement qu'il les traitait. Ainsi l'article que Jean Ernest-Charles consacre à Un divorce débute-t-il par cet éreintement de l'Etape : " Oh ! non, je ne dirais pas que ce roman me réconcilie avec Paul Bourget. Mais une sérénité assez noble a remplacé dans Un Divorce la brutale virulence qui se manifestait injurieusement dans l'Etape. Je ne crois pas que Un Divorce résiste à la discussion : du moins il la supporte. Le moderne auteur du Disciple se fait de plus en plus l'esclave d'idées caduques, le serviteur de sentiments barbares ; et je demeure stupéfait de l'étrange perversion de cet esprit. Toutefois, ce paladin lourdaud du passé s'efforce à rendre quelque justice aux adversaires dont il a pitié. Il n'est plus tout à fait l'in juste et un peu grossier combattant de l'Etape. Il est loyal dans la lutte qu'il pousse, non sans vigueur pressante, contre des doctrines qu'il prohibe avec une impérieuse horreur. " (Jean Ernest-Charles - Samedis Littéraires - 3ème série p 353)  Haut de Page

En marge de l'Etape :  Dans le domaine des idées et des croyances, on aurait tort de condamner globalement un "ennemi" sous le prétexte qu'il est partisan, ne jamais douter, n'avoir que des certitudes, c'est avoir renoncé à penser et l'ennemi a cela de bon qu'il nous contraint à revenir sur ce que l'on aurait peut-être trop facilement considéré comme définitif. Deux idées au moins qui sont sous-jacentes à la pensée de Paul Bourget méritent examen. La première est l'éternel débat sur la démocratie. Comment ne pas reconnaître, aujourd'hui, temps de démagogie immonde, la vérité de cette réflexion : " ... le nombre ne reconnaît ni ne crée la compétence, et que faire gouverner un pays par les élus du suffrage universel, autant dire par une majorité de charlatans issue d'une majorité d'ignorants, ..." p471 La démocratie est un régime exécrable parce que voué de par sa nature à la démagogie qui y est rarement traquée bien au contraire, tout le monde la pratiquant, ou à la ploutocratie qui, par exemple aux Etats-Unis est la règle, le dieu dollars étant le vrai seigneur des évangélistes et autres sectes d'hypocrites protestants. Si nous y tenons encore envers et contre tout, c'est par défaut, parce que si abominable qu'il soit, quelles que soient les horreurs qu'il ait déclenchées (guerres totales surtout), il nous semble aujourd'hui - aujourd'hui - encore moins mauvais que les autres. Que l'on m'en présente un autre exempt de défauts graves et je m'y abandonnerais avec plaisir, satisfait de me débarrasser de ce putain de régime où la médiocrité toujours l'emporte et le mensonge et la cupidité pour ne pas dire la brutalité et la sottise. Le second point est la nécessité de "cadrer" les idiots ordinaires. Dieu a eu cela de bon et cela seulement de leur donner les bases d'une morale - élastique chez les catholiques pour qui la confession est une confortable machine à absoudre -, le communisme les a fédéré dans un tissu social, associatif, serré autour d'un projet politique lointain ( en France et dans d'autres pays européens), la libre pensée n'est jamais parvenue à élaborer quelque chose de concret pour les natures faibles, la peur du gendarme n'est pas suffisante et qui fera peur au gendarme ? Elle n'est pas non plus acceptable, le remède étant presque aussi détestable que le mal. A coté de cela, Paul Bourget méconnaît trop la force de l'exemple dans l'éducation, il préjuge à tort de l'éloignement que les idées provoquent entre parents et enfants alors que chez les croyants la moindre distorsion entre la pratique et l'idée - inévitable dans une société en mouvement - crée ces mêmes phénomènes d'éloignement et d'aveuglement. (Il est vrai que Paul Bourget prône sinon l'immobilisme l'avancée de l'escargot dont il faut reconnaître qu'il est préférable à la fuite en avant TGV chère aux parvenus). Si Dieu ne donnait qu'une morale aux crétins nous pourrions l'applaudir, hélas, il les met en mouvement de toute autre façon et aboutit inexorablement parce que c'est dans la nature des choses, à la soif de domination sans partage, c'est à dire que le même crétin exécrable électeur quand il est privé de l'idée de dieu peut devenir un assassin totalitaire quand il la possède, livré à d'autres, plus dangereux, démagogues, alors même que le sage libre penseur sans dieu deviendra un croyant raisonnable avec.  Haut de Page

 Un Divorce. (1904)

J'ai toujours apprécié Paul Bourget, cela peut paraître étonnant à ceux qui le connaissent sans l'avoir vraiment lu et qui le considèrent selon sa réputation : un auteur engagé, conservateur, nationaliste et pratiquant une littérature militante, bref, un auteur dépassé de son vivant tout comme Sartre et bien d'autres du même genre. Je souscris sans difficulté à ce jugement. Le Bourget militant, ultra conservateur qui prend sa morale dans le bénitier et qui nous en rabat un peu trop les oreilles, pourrait repousser s'il n'était dans le même temps un écrivain remarquable et un psychologue averti et intéressant. J'aime à rappeler le rapprochement malin que fit justement Jacques Laurent entre Sartre et Bourget dans Paul et Jean-Paul, rapprochement entre deux œuvres d'écrivains engagés, deux œuvres dans lesquelles la littérature ne tient pas la première place. Un Divorce est un des livres où l'auteur prend régulièrement la parole pour asséner ses propres opinions, il le fait sans nuances, me rappelant certains intégrismes chrétiens que j'ai connu dans mon enfance, bien des années après Paul Bourget. Paradoxalement, aujourd'hui, cet aspect de l'œuvre en fait un témoignage unique parce que doctrinaire "illustré". Le premier mérite de Bourget est de savoir écrire, de construire un roman auquel on n'échappe plus dès lors qu'on a été assez lucide pour le lire au second degré, degré auquel il n'a pas été écrit. Hors l'adresse de l'auteur ce mérite de nous rappeler une époque et surtout un milieu dans lesquels les préjugés religieux pouvaient avoir sur les mœurs et les esprits un pouvoir sans pareil n'est pas mince, le romancier qui manipule ses personnages leur donne dans ce roman un maximum de crédibilité échappant en partie au reproche le plus courant opposé à ce type de littérature : le manque d'authenticité des personnages. A une autre époque qui nous voit confronter à l'intégrisme musulman, un des pires qui ait jamais existé, il n'est pas inutile de se souvenir qu'il n'a pas été le premier et qu'il n'est surtout pas le seul. Le divorce est au cœur de la pensée catholique, jetant sur ceux qui l'ont pratiqué l'interdit total, un interdit dont aujourd'hui, personne ou presque ne se soucie, heureusement ! mais qui a été fort il y a un siècle tout comme l'avortement qui est resté chez les fous de Dieu catholiques une hantise sous les couleurs du respect de la vie au nom duquel ils ont si souvent tué des mères *1. Il faut savoir s'abandonner à l'ambiance du milieu évoqué par l'auteur, à ses préjugés dont il essaie de faire des "lois naturelles" incontournables, pour accepter les règles qui tendent le roman et nouent l'intrigue. Cela fait, on ne perd rien, Paul Bourget est un observateur attentif, un analyste pertinent. Il appuie ainsi les actes de ses personnages sur des observations justes même dans des contextes très différents et là, nous montre sa force et nous fait regretter le formidable romancier qu'il aurait été s'il n'avait succombé au militantisme. La situation nécessaire pour illustrer les malheurs du divorce - des divorcés - met en scène deux parents et deux enfants, un de chaque lit de la mère. Bourget exploite l'opposition (beau-)père / (beau-)fils qui n'est perçue à un moment du roman, par le père, que comme un épisode normal de l'opposition père / fils mais qui ira plus loin au nom des lois du sang. Certains critiques de l'époque ont reconnu la place donnée au père athée et la justice qui lui est rendue, procédé pas toujours respecté par Bourget pour affirmer ses opinions et qui facilite grandement la lecture " au second degré " que j'évoquais plus haut. Dirais-je que ce roman n'est pas plus démodé que le Cid de Corneille au théâtre, et qu'il l'est certainement beaucoup moins, les valeurs morales de rejet du divorce défendues par Bourget étant plus faciles à appréhender aujourd'hui que celles que la pièce de Corneille met en jeu ? " Les convictions qui semblent les plus abstraites sont des principes vivants tout prêts à déployer contre des principes adverses une énergie destructrice. Cet appétit de combat arrive bien vite à mettre en jeu toute la personne. En fait, penser d'une manière trop opposée sur certains points essentiels, c'est toujours se haïr, s'aimât-on d'autre part ..." p318 Ceci est hélas vrai, mais c'est un point de vue de croyant - et les croyants dits modérés de certaines religions, chrétiennes et musulmanes par exemple, qui abdiquent cette façon de penser ne sont pas d'authentiques croyants. Pour moi, athée et résigné à la folie des hommes, les idées y compris les miennes ne sont pas des barrières, mais des objets de curiosité, ceci n'est, hélas, pas le cas de tous les athées dont certains agissent en doctrinaires *2. " Sans famille, une femme n'est pas complètement mère, et il n'y a pas de famille hors de certaines conditions inhérentes à la nature même. " Voilà une citation qui illustre le Bourget prétendant appuyer sur des données objectives, scientifiques parce que naturelles, ses positions morales, en voilà une autre : " Les déductions les mieux conduites n'arrivent pas à déduire entièrement l'évidence immanente de certaines lois inscrites par la nature dans les plus secrètes profondeurs de notre personne morale. " p140. Bourget appuie sa démarche " rationnelle " sur des termes parfois amusant, ainsi un salon de lecture devient un " laboratoire intellectuel " (p103) et la lectrice est quant à elle " une ouvrière d'idées ".

*1) Parallèle à l'avortement le célèbre "sauvez l'enfant" que des myriades de connards de pères à qui l'on donnait le choix, prononçaient, assassinant sans hésitation leurs femmes dans les accouchements difficiles beaucoup plus fréquents jadis que maintenant, ensuite les mauvais soins dispensés aux personnes suspectées après une fausse couche d'avortement provoqué, qui allaient jusqu'à entraîner la mort comme ce fut le cas pour ma tante Louise assassinée dans un hôpital parisien par des docteurs et des infirmières catholiques à la suite d'un véritable accident et, enfin, les condamnations à mort - très officielles - par des tribunaux à la solde des préjugés catholiques pas encore vaincus, dans les procès pour avortement, sans oublier les ravages des avortements clandestins auxquels étaient condamnées les femmes, surtout pauvres, voulant échapper à la misère plus profonde dont se foutaient bien tous les curés, évêques et cardinaux chamarrés.

*2) Je ne suis pas athée par conviction, mais par absence de conviction puisque je ne peux avoir en main les éléments qui me permettraient d'en établir une raisonnablement. Haut de Page

 L’Emigré (1907)

On s’en doutera, l’Emigré de Paul Bourget n’est pas le notre, celui qui voyage d’un pays à un autre, mais l’aristocrate demeuré fidèle à ses traditions dans un monde qui n’a plus besoin de lui. Il arrive à Paul Bourget de flirter avec des sujets traités par ses pairs. Le Disciple (1889) reprenait en partie l’intrigue de la séduction par un précepteur, traitée par Stendhal dans le Rouge et le noir (1830), lui donnant une dimension idéologique et morale qu’elle n’avait pas chez le premier. Avec l’Emigré, c’est à une intrigue traitée vingt ans plus tôt par Maupassant dans Pierre et Jean (1888), que se raccroche Bourget. Cette intrigue – naissance illégitime secrète et héritage du père biologique - n’est ici qu’un prétexte à un roman à thèse traitant de l’hérédité, celle des nobles sentiments et des grands principes dans ce contexte très particulier des inventaires. Bourget n’y est peut-être pas plus maladroit que dans le Disciple, pas plus adroit non plus certainement, mais le sujet est bien trop ancré dans un passé mort au moment où il est traité, pour nous accrocher. Avec son insistance habituelle, l’auteur consacre des pages à la glorification de l’ancienne France et de ses traditions. C’est bien là une cause perdue qu’on ne parviendra pas à ressusciter. Il en allait très différemment avec le Disciple dont la problématique se révéla très actuelle dans une société en mutation. L’Emigré de Bourget appartient déjà à un autre monde et faire son panégyrique n’est plus mener un combat mais plutôt trainer un souvenir. L’auteur insiste lourdement sur ces inventaires, reprises de possession des biens de l’église par la république qui donnera lieu entre janvier 1906 et mars 1906 à de violents incidents entrainant mort d’hommes. Comme souvent il fait de ses ennemis un portrait très partisan, mais en y consacrant peu de mots l’essentiel allant aux valeurs « positives » qu’il défend. Malgré ses lourdeurs, son anachronisme et son coté désuet, Bourget peut encore retenir le lecteur qui s’aventure dans ce récit par ce qu’il noue au-travers du personnage central assiégé par des mouvements et des passions contradictoires. L’Emigré n’est pas cependant un grand livre de combat mais bien plutôt une œuvre oscillant entre nostalgie – l’ancienne France – et les circonstances – querelle des inventaires, d’ailleurs terminée lors de sa parution.

Je citerai ce passage dans lequel non seulement Bourget stigmatise ses ennemis, mais où il reprend un couplet qui, s’il avait été appliqué par la troupe en 1914, aurait épargné à l’Europe 8 000 000 de vies ! N’ignorons quand même pas le « plus systématique », constat bien réel qui sous le communisme amènera bien une Terreur autrement effroyable que la première, sans retenir la « race dégénérée » peut-être plus applicable aujourd’hui aux curés qu’aux malheureux ouvriers de la seconde partie du XIXème.

« … les férocités cachées sous les mirages humanitaires du socialisme, - ces prodromes d’une Terreur qui sera pire que l’autre, étant plus systématique, et plus ignoble, étant l’œuvre d’une race plus dégénérée :                      S’ils s’obstinent, ces cannibales,                        A faire de nous des héros,                          Ils sauront bientôt que nos balles                           Sont pour nos propres généraux. »  p 186 (Edition Nelson)

 

 

 

Accueil                           Paul Bourget - Bibliographie