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MARCEL AYME

1902 - 1967

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Brûlebois              Aller-retour                    Les jumeaux du Diable                     La Table aux crevés 

 

La Rue sans nom                     Le Vaurien                 Le Puits aux Images                        La Jument verte 

 

 Le Nain                 Maison Basse               Le Moulin de la Sourdine               Gustalin        

 

Derrière chez Martin                 Le Bœuf clandestin                 La Belle image              Travelingue 

 

Le Passe-Murailles                 La Vouivre               Le Chemin des écoliers               La Tête des autres 

 

 Silhouette du scandale                            Uranus Les tiroirs de l'inconnu

 

Lien : Le site des Amis de Marcel Aymé

 

Pourquoi "étoile ignorée" ? Parce que si Marcel Aymé est bien reconnu par le public, si des fidèles lui donnent bien la place qui lui revient dans notre littérature : une des toutes premières, l'établissement littéraire, lui, traîne des pieds face à cet écrivain original et inclassable qui échappe à ses critères traditionnels.

Il existe une tradition littéraire française de l'humour. Rabelais, mais aussi le Roman de Renard, La Fontaine, Molière, les moralistes, Voltaire, France, Gide ... en sont de prestigieux représentants. Je suppose que cette simple énumération suffira à éloigner de moi la suspicion de tenir pour chose de moindre importance tout ce qui est marqué du sceau de l'humour. J'irais même jusqu'à dire que je me méfie à priori de ce qui se veut trop sérieux. Le sérieux, c'est non seulement l'ennui, mais c'est aussi le manque d'intelligence. René Boylesve estimait la comédie supérieure à tout autre genre littéraire, je pense qu'il avait raison. Le regard que l'on porte sur l'humanité en général et chaque homme en particulier ne peut avoir pour conséquence que le désespoir pour qui ne posséderait pas cette arme supérieure de l'esprit : l'humour, l'ironie qui permet de réduire les choses à leur juste niveau. Il faut d'abord au moins sourire de l'homme surtout de celui que l'on fréquente le plus, soi, pour pouvoir le regarder tranquillement, essayer de le comprendre et finalement l'accepter. Mais dans ce contexte que deviennent l'humour, l'ironie ? Elles sont le masque, l'introduction, le support de bien d'autres choses. La comédie ne serait-elle pas autant une politesse de l'écrivain en direction de ses lecteurs qu'une source de plaisir, peut-être même de jouissance de l'écrivain. Et puis ... il y a tant de gens qui nous bercent de choses sérieuses avec le plus grand manque de sérieux, la plus grande inconséquence, qu'il est salutaire de sourire, sourire et peut-être, quand on en a et la force et les moyens, se taire ... "Chante toujours, beau merle !" disaient nos ancêtres si ma mémoire est bonne.

Marcel Aymé est un des plus prestigieux représentants de cette grande tradition de l'humour, il a su lui donner un ton nouveau et en faire une arme pour appréhender un réel mouvant. Son œuvre, sous toutes ses formes, romans, nouvelles ou théâtre, est celle d'un conteur. Marcel Aymé écrit des contes dont on pourrait parfois tirer une ou plusieurs maximes à la façon de la Fontaine. Une des caractéristiques de Marcel Aymé est de trouver dans ces contes le moyen de faire passer fortement le réel par petites touches au fil de son récit. Marcel Aymé se penche comme un entomologiste sur l'humanité qu'il nous dépeint, il en fait ressentir fortement les émotions, marque les nécessités et les hasards auxquels ses membres sont soumis et trouve pour nous les faire partager des mots simples en formules imagées, fortes, pleines de vie. Il peut être féroce. Si l'on entend par conteur, par opposition à romancier, un auteur qui conte sans entrer dans ses personnages, sans les vivre, un auteur doué qui " raconte " on risque de s'égarer, si l'on se figure qu'un conteur est inférieur à un romancier, on se trompe. Le conteur, Marcel Aymé est un écrivain qui sait faire jaillir des mots une magie de la vie dans le roman, dans la nouvelle aussi bien que dans le théâtre et jusqu'à ce que l'on pourrait qualifier de " noir ". Il nous fait sentir la réalité, aussi complexe soit-elle, de façon simple - simple pour nous - car du coté de l'art rien n'est moins simple. D'une attitude bienveillante, extérieure, il nous conte une histoire très ordinaire à la fois exemplaire et pleine d'éléments inhabituels. Il parvient à évoquer, à faire vivre aussi fortement que le plus engagé des romanciers, aussi fortement que n'importe quel naturaliste épris de vie grouillante, tous les aspects de la vie en leur donnant une dimension mythique qui appartient au conte et la dimension du merveilleux, un merveilleux qui n'est jamais loin sous sa plume le plus souvent sous des formes banales auxquelles les mots donnent un relief surprenant.

La langue de Marcel Aymé est riche d'expressions imagées, justes, populaires sans céder jamais à la vulgarité, autant que savantes. Il est un magicien des mots et des formules, cette magie sert et déborde le contenu, le transfigure, lui donne un relief particulier. Chez lui l'invention est constante sans jamais prendre l'allure d'effets de style ni de système. La langue de Marcel Aymé, son style, parties intimes du récit, sel de l'histoire, de l'œuvre, sont tout au sommet de ce que nous offre la littérature française et trouvent peu d'équivalents dans les autres littératures. Seul peut-être La Fontaine, autre grand humoriste, sut donner à sa langue un son aussi unique et aussi fortement accordé à son propos. Bien loin devant son ami Céline dont le langage déformé n'était plus instrument de communication, celui de Marcel Aymé fait passer plus de choses que les mots n'en contiennent d'ordinaire. N'importe quel lecteur ne peut manquer de s'arrêter périodiquement, étonné, pour admirer et se reprendre face à des textes qui sans en avoir l'air nous emportent dans un monde merveilleux où les choses de tous les jours prennent un autre sens, s'inscrivent dans une trame universelle.

J'entendais qualifier récemment Marcel Aymé d'homme de droite. Certainement qu'un socialo de salon comme il en existe beaucoup par les temps qui courent, se sera empressé de l'étiqueter ainsi pour s'éviter, l'imbécile, de le lire, ayant découvert qu'il avait écrit dans des journaux de la collaboration et défendu Brasillach et Céline. Quand on est un homme libre, on court toujours le risque d'être classé par les crétins qui ont besoin de se rassurer un peu comme les chiens à l'attache quand ils voient passer un loup même si ce dernier est beaucoup plus pacifique et bien moins dangereux qu'eux. Libre, Marcel Aymé l'est autant qu'on puisse l'être et c'est même le qualificatif qui lui convient le mieux. Une gauche intelligente, que la très pétainiste Royal ne tiendrait pas au bout d'une laisse, aurait pu le revendiquer, mais on le sait, les moutons à cinq pattes ne courent pas les prés. Il nous dit dans Silhouette du scandale : " Sous un régime comme le notre où la pérennité des formules cache le mouvement des choses, on ne sait sans doute jamais sûrement si l'on est à droite ou si l'on est à gauche. " Marcel Aymé est un anarchiste qui ne se soucie pas plus des chapelles que des anarchistes et n'a cure des qualificatifs. Il a écrit dans Je suis partout et la Gerbe mais il a également écrit dans Vendredi ou Marianne et bien d'autres journaux, seul compte ce qu'il a écrit, il suffit de le lire.

Je lis sous la plume de Louis Nucéra qu'il y a une tribu des lecteurs de Marcel Aymé, je n'en doute pas, qu'il est un des plus grands écrivains du siècle dernier, j'en suis également convaincu. Marcel Aymé, c'est un miracle permanent, un homme parvient à ce tour de force du fond d'un pessimisme marqué de se réconcilier avec une humanité qu'il regarde sans illusions. A peine peut-on imaginer quelle époque il a vécu, entre et à coté de quelles horreurs. Je crois que ce qui a manqué à Marcel Aymé pour être reconnu comme certains autres, c'est la prétention, la faculté de poser à l'intellectuel. Son œuvre est à son image : simple mais pas simpliste, il s'en faut de beaucoup. Ce serait une lourde erreur de s'arrêter à la simplicité, elle n'est que d'apparence, de ton, de partout elle déborde d'une grande richesse. Marcel Aymé est un homme de vie, un homme qui pèse la vie, la fait ressortir à son poids pour chacun de ses personnages que ce soient d'anciens bourlingueurs reconvertis en ouvriers comme dans la Rue sans nom ou une brave paysanne comme dans la Table aux crevés ou un ancien sous-préfet angélique rêveur alcoolique comme Brûlebois. Son œuvre fourmille d'exemples de ce genre. Aime-il ces hommes pour lesquels il peut se montrer très dur aussi bien que faire preuve de la plus grande indulgence ? Dans la vie il semble qu'il ait été fidèle en amitié, distant et secret même pour ses proches. On ne peut pas dire qu'il ait jamais fait preuve d'une grande sévérité pour ses amis dont il ne partageait aucunement les idées ou dont rien ne montre qu'il ait jamais pu approuver les actes, tels Céline ou Brasillach. Il est vrai que l'humanité telle qu'il la montre, telle qu'elle est réellement, demande si l'on veut survivre à la lucidité beaucoup d'humour et d'indulgence. Beaucoup de héros de Marcel Aymé sont des gens à coté ou qui tentent un instant de se soustraire au destin commun, un instant que seul le hasard a provoqué. D'autrefois il va chercher l'humanité sous le salaud ou l'homme commun. La folie a une grande place dans cette œuvre, une folie faite essentiellement de différence, parfois simplement d'accentuation d'un caractère.

Le texte les Jours de Marcel Aymé, repris dans le Marcel Aymé composé par Pol Vandromme pour la collection de la Bibliothèque idéale de Gallimard, se termine par : " La seule littérature qui compte aujourd'hui en France, celle qui contribue avec les classiques encore imposés à l'école à former les esprits, est Tintin, le reste n'ayant d'importance que dans la mesure où il est utilisable par le cinéma, la presse, la radio, la télévision, les magazines. De tels changements nous font vieillir plus vite que le calendrier. " Au-delà de la dérision, une chose est certaine, l'œuvre de Marcel Aymé devrait être une mine pour un cinéma de qualité capable de restituer sa vision tout en exploitant correctement la richesse des figures qu'il nous offre. Des films tirés de cette œuvre rappelons par exemple Clérambart et Uranus deux chefs-d'œuvre réalisés par des amoureux de l'auteur. N'oublions pas que Marcel Aymé est mort en 1967, il y a quelques jours, j'entendais une pouf déclarer que le groupe "N.T.M" avait renouvelé la langue française ! Rien de moins ! Bien entendu, il est plus facile pour cette idiote diplômée de s'inscrire dans cette nouvelle tradition que dans celle d'un Marcel Aymé ! 

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Certains pourraient s'étonner de l'indulgence de Marcel Aymé pour ceux qu'on appelle aujourd'hui les collabos. Mais il a vécu cette occupation dont nous n'entendons parler que par les moralisateurs. Ces gens oublient de nous raconter la libération. Avec l'occupation allemande commençait en France une guerre civile - elle avait déjà d'ailleurs débuté lors de l'interdiction du parti communiste -. Milice, résistants, collabos, étaient les acteurs principaux devant une opinion muselée mais longtemps largement favorable à Pétain. La France était à Paris et à Vichy, pas à Londres où de Gaulle n'avait aucune légitimité. Il fallait vivre chaque jour. Je me souviens avoir entendu des hommes de gauche dire que si les allemands avaient eu l'intelligence de bien traiter les français, ils auraient gagner la partie - c'est à dire pu vivre une occupation pacifique et "rentable" pour eux. Ils ne le voulaient ni ne le pouvaient. Les atrocités furent durant toute cette période de l'occupation le fait des collabos et des nazis. Lors de la libération non seulement l'heure de la revanche sonna, mais le parti communiste - collabo dans les premiers mois de l'occupation avec Jacques Duclos - voulu éliminer le plus possible de ses ennemis, des collabos silencieux voulurent se dédouaner et se firent soudain résistants, d'autres enfin voulurent se débarrasser de leurs voisins qu'une lettre anonyme à la Kommandantur n'avait pas suffit à éliminer. Il y eut ainsi entre dix mille (estimation très basse) et cent mille morts (estimation haute), la vérité se situant probablement autour de soixante mille. C'est énorme, énorme et totalement injustifié. C'est un épisode horrible de cette guerre, de cet affrontement, qui a été totalement occulté et qui l'est encore aujourd'hui. Pour un témoin tel Marcel Aymé, cela ne pouvait que provoquer un profond dégoût des hommes "nouveaux". Il ne faut pas oublier non plus que les morts jugés et fusillés par les tribunaux gaullistes furent jugés par des hommes - les magistrats - qui avaient quasiment tous servis Pétain auquel ils avaient prêté serment. Les méthodes gaullistes valaient-elles mieux que celles de Vichy ? On a été trop heureux de pouvoir condamner en bloc sous couvert des déportations et massacres des Juifs, cette irrémédiable tare de Pétain et de ses partisans. Le Parti communiste était tout puissant et ses crimes n'ont pas été jugés, ni ceux de la libération, ni ceux commis pendant la guerre contre des dissidents parfois étrangers. Quand est venu son effondrement les "évènements" étaient trop éloignés, il y avait trop d'intérêts à ne pas revenir dessus, le mythe de la libération glorieuse, de la résistance héroïque ne pouvait être revu et entaché des crimes de certains. Denoël, Louis Renault, des morts qui ne seront pas élucidées comme beaucoup d'autres plus anonymes. Brassens quand il chanta les deux oncles fit scandale, il ne se trompait pas en les renvoyant dos à dos, que les amis d'un des deux oncles aient été ignobles ne changeait en rien les propres actes de ces derniers.

 Brûlebois : Premier roman de Marcel Aymé, Brûlebois paraît en 1926 aux Cahiers de France et reçoit le prix Corrard de la Société des gens de lettres. Brûlebois se situe dans une petite ville de province. Les descriptions de personnes se font au fil du récit, intimement mêlées à l'action dans laquelle elles s'intègrent en étant souvent les résultantes, parfois au-travers du regard de l'autre par l'effet produit sur lui. Ainsi celle du cousin Beudot ( Pléiade I, p11). Longue présentation de Brûlebois (chapitre III) dans laquelle des événements de l'histoire du personnage sont mêlés à sa description, en font partie, comme si l'auteur, renonçant à décrire préférait montrer, donner des exemples. Cela fait une présentation du personnage parfaitement intégrée, vivante, qui se lit comme une aventure. Dans Brûlebois, nous trouvons une accumulation de "personnages". La Lune, Rodolphe, Hector Reboudin et son fils, l'ancien capitaine Beudot, accumulation extraordinaire qui semble naturelle parce que chacun de ses personnages est finalement réel, authentique, d'une authenticité d'essence, au-delà de l'apparence habituelle. C'est un univers où il semblerait anormal que se présente un personnage dépourvu de singularité parce que ceux que l'on y rencontre ne font qu'être réduit à la folie intime de chacun et y on cédé. On pressent que sous le regard du narrateur, il ne peut y avoir d'autre vérité, c'est un regard qui déshabille chaque personnage, en prend le coté dérisoire qui lui donne sa dimension véritable, quand même grande, et lui donne la part d'affection qui fait que chaque homme, dans sa faiblesse quasi maniaque, devient sinon attachant, au moins digne de tendresse. Sortant de la lecture des Démons de Dostoïevski, j'ai eu l'impression d'y retourner en entrant dans la vision de Rodolphe, juste avant qu'elle ne sombre dans dans un délire alphabétique digne de Borges. Ces personnages transposés de Marcel Aymé font penser à un autre auteur, qui fut son contemporain, Jouhandeau, chez qui la transposition était d'une autre nature.

Le vin blanc citron l'inclinant à l'indulgence, il lui parut que la méchanceté de ses frères humains était le revers d'une médaille qui pendait au cou du Très-Haut par la chaîne mystique des causes ; revers aussi précieux que l'avers où s'inscrivent les vertus majeures. C'est pourquoi il crut pouvoir conclure à la nécessité qu'il y eut, par le monde, des hommes dévoués aux boissons fortes. ..."

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 Aller-retour : Publié en 1927, ce roman, le second de Marcel Aymé est le premier parisien. Portrait en situation, anecdotique du héros - anti-héros. Après nous l'avoir posé au-travers des actes quotidiens ou exceptionnels d'une vie morne, Marcel Aymé, en un paragraphe, nous décrit sa naissance à la vie, quand souffle le vent de la révolte. " A ce Galuchey de pacotille, il tourna le dos délibérément, le renia, et lui qui n'avait jamais proféré un juron salua l'avènement du Galuchey neuf à haute voix, sans souci de l'étonnement des passants : " Tonnerre de Dieu, tonnerre de Dieu !" Il en était content de ce " tonnerre de Dieu ", s'y complaisait. Ce " tonnerre de Dieu " il l'érigeait comme un phallus de scandale dans sa vie d'autrefois, en giflait Larouselle et l'oncle Suprême. Une lancée de joie lui partait du ventre à la cervelle, en tumulte, joie d'affirmation. Sur ses lèvres, des mots crus se bourraient, aux syllabes gargouillantes de vie grasse qui rigolaient à l'avenir. Et puis, une large colère par tout le corps, la bride lâchée aux invectives, en jalousie de ce qui aurait pu être. D'une claque, Justin enfonça son chapeau melon sur ses yeux et, les épaules remontées en bataille partit dans une rue déserte. ..."  Après Brûlebois, roman provincial, c'est donc à Paris que nous convie Marcel Aymé, près du boulevard Sébastopol pour le roman d'une mutation avortée. L'Aurélie de la Table aux crevés se suicidera parce qu'elle a trouvé la terre molle en tombant, ici, Justin sortira de sa soumission médiocre à la suite d'une réplique qui se voulait attentionnée : " Cà fait quatre francs de fichus. " Cette mutation de Justin qui va en découler aura des conséquences pour d'autres dont le père Blanc, chef de service qui sera désarçonné et renoncera à sa petite carrière de tyran. Exemple d'utilisation originale des mots par Marcel Aymé : " Justin était devant l'église de la Trinité, tout amidonné dans sa gêne. Malgré qu'il s'efforçât, raide dans son complet neuf, à mettre le jour du Seigneur au ras des autres jours, Justin gardait un air des dimanches. C'était dans le pli de son pantalon aussi bien que dans l'expression de son visage sur lequel s'ajustaient des reflets dominicaux. Il avait beau s'essayer à plus d'aisance dans le maintien, ses souvenirs, ses habitudes de toujours étaient là, à fleur de peau, qui obligeaient sa physionomie à exprimer le calendrier. " De beaux morceaux d'anthologie comme l'éloge de l'avarice par l'oncle Suprême : " Il est remarquable disait-il à ses amis, qu'on ait toujours méconnu le caractère essentiel de l'avarice qui est d'être esthétique et spéculatif - et j'entends spéculatif au sens faible du mot qui est à dire philosophique. ..." pp141/142. Ou le mécanisme des événements de Monsieur Rasselène : " Dans le mécanisme des événements l'obsédait la présence des causes infiniment ténues capables d'en modifier la marche. Pour négligeable qu'il parut, il n'était pas un menu fait qui ne prît à ses yeux une importance exagérée dans l'ordre du monde ; il lui apparaissait comme une composante des forces universelles. ..." pp 143/144 (le battement d'aile du papillon). C'est encore l'oncle Suprême qui nous offre le développement d'une idée qui réapparaîtra dans la dernière pièce de Marcel Aymé : le droit de tuer, ici pour les gens riches. " Il est des crimes qui sont agréables à Dieu et il faut croire que les crimes passionnels sont entre ceux-là ... Je vous le dis, les temps sont proches où, identifiant la vertu et la richesse, le monde imposera des conditionnels au Code pénal. Et ce sera tant mieux. Songez à quelles admirables simplifications nous allons : le brevet de vertu ne sera plus un vain mot, votre percepteur vous le délivrera ; et vous pourrez lire dans le journal des entrefilets ainsi rédigés : " Nécrologie. - M. X... propriétaire des Galeries, dont l'exposition de blanc attire un public considérable, nous prie d'annoncer la mort de son amie Léonie Z... qu'il a égorgée cette nuit dans une minute d'énervement. " p157/158 Un peu de malice également quand l'auteur fait dire à un de ses héros : " On gagne de la galette et puis, je deviens philosophe." Justin observa qu'en effet le Bombé avait un visage de prospérité où marquait un peu d'abrutissement. " p178 Qu'adviendra-t-il du jeune et médiocre employé qui s'est d'un coup transformé en conquérant ? Laissons aux lecteurs de Marcel Aymé la surprise.   Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Les jumeaux du Diable :  Ce troisième roman ne connut pas le succès espéré auprès des critiques et Marcel Aymé ne le fit pas rééditer. Le sujet en est la destinée de chaque homme et ce qui peut la déterminer. Deux hommes, absolument identiques se trouvent lancés dans la vie dans les mêmes conditions, un naufrage, comment évolueront-ils, que deviendront-ils à partir d'un patrimoine commun ? Le point de départ de la divergence : une goulée d'eau avalée par l'un des deux avant d'être récupéré. Quelle philosophie se dégage des aventures de ces jumeaux qui demeurent liés à leur entrée dans la vie ? La première jeune-femme un peu mystérieuse, Marie du Môle, le premier homme rencontré, Nimbu, demeurent ainsi que chacun pour l'autre l'environnement qui déterminent leur destin, un destin susceptible de connaître certains revirements à l'intérieur de ces influences mais qui aboutit au prévisible. Le cercle de chaque vie est étroit, chacun en fait sa prison, l'illusion y tient une place importante et l'auteur met là-dessus une certaine dérision, moins que dans la plupart de ses romans. Noter la description de la banlieue des fortifs en début de chapitre V : " ... ils dominaient tout un paysage de banlieue immédiate, un paysage bâclé en ciment armé, en cheminées d'usines, avec des maisons basses collées à la terre. Dans l'horizon rouillé, les perspectives dures refoulaient la nature galeuse. De cette cité où la vie battait sur le rythme de la force suée, il semblait que l'âme fût en quarantaine. " p 1124 ou, à la suite, celle du " double égoïsme " : " Ils vivaient l'un pour l'autre, c'est à dire chacun pour soi avec l'autre, car dans le tas de leurs égoïsmes mis en commun, ils savaient où reprendre leur bien respectif quand viendrait l'heure. " Les Jumeaux du Diable est résolument un conte, peut-être est-ce pour cela que la critique l'accueillit fraichement mésestimant ce type de récit qui n'est pourtant pas inférieur par essence au roman et dont Voltaire, par exemple, fut un auteur éminent. Dans ce conte, si Caïn tue Abel ce n'est pas par vice, comme je l'ai dit plus haut, les deux frères interagissent et le sort qui favorise l'un au départ détermine tout autant l'autre. Abel se demande justement s'il n'est pas une partie dont son frère est le complément. Ni bien, ni mal par essence, même quand le Diable semble mener la danse, c'est le hasard qui tranche et la faiblesse émotive de l'homme.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 La Table aux crevés : Quatrième roman de Marcel Aymé, après les Jumeaux du Diable qui ne connaîtra qu'une édition et ne sera repris que dans le premier volume des oeuvres romanesques complètes de la Pléiade, la Table aux crevés, est une grande réussite. Dès les premières pages, ce ton unique de Marcel Aymé, cet humour appliqué à des gens simples, durs, travailleurs au travers d'évidences qui se révèlent à eux comme celles qui saisissent l'Aurélie quand elle tombe dans la terre molle, qui l'amènent à mettre de l'ordre dans son ménage, ajuster son chignon, se recommander "non sans aigreur" à Dieu avant que de se pendre. Meursaut des années plus tard, tuera pour un rayon de soleil, mais l'Aurélie, entre sa terre molle et sa vie de durs labeurs est bien plus dans le réel que lui, le roman est chez le conteur. Rentrant de la foire où il a été échanger son cheval, le mari découvre en même temps sa femme pendue et que sa nouvelle jument est panarde du devant. Il y a là une force qui colle ces gens à leur rôle, une dérision qui n'efface pas la tendresse. Quand Truchot, le voisin, cherche une phrase de consolation, il ne trouve que : " C'te pauvre Aurélie, c'était une femme bien convenable que le travail lui faisait pas peur. On peut dire que t'as pas de chance" Dans le dialogue, la langue est populaire, stylisée, précise, langue de communication, d'évidences. On notera les intéressantes descriptions du troupeau paroissial par l'abbé qui en a la charge ou du milieu politique de Cantagrel, le village du roman. La tirade de Coindret : " Les curés, dit-il, c'est des gens heureux. Un curé, il ne sait pas ce que c'est que de se sentir la tête paresseuse à cause d'une femme qu'à des yeux et tout. Les curés, ils croient que d'aimer ce n'est rien qu'une envie de la chose, une envie qui tient bon, mais qu'on use sur des oraisons comme une lame sur une meule. Oh, si, ils croient ça. Un cœur de curé, ça n'est pas de même usage qu'un autre. Nous autres de la terre, on ne veut pas ce qu'on veut. Hier soir elle est entrée. Moi je finissais de nettoyer mon fusil, assis à c'te table. C'est toi Jeanne ? que je lui fais. Elle me dit " oui, c'est moi ", mais avec un si drôle d'air que j'ai tout de suite compris qu'elle ne s'en irai pas. Mais je me disais ça : " tout de même non ", je me disais ça. Elle s'est assise là devant moi. Vous avez vu comme elle est blonde, monsieur le curé. Taisez-vous donc, vous n'avez rien vu du tout, moi je l'avais jamais vue comme elle était hier soir. Je la regardais, elle me dit : " Le Frédéric est pour te tuer. " A un autre moment, j'aurais crâné comme on fait, j'y ai pas pensé, je la regardais. " Oui, c'est décidé, il t'enverra un coup de fusil. Mais moi je ne veux pas. " Comme vous disiez, monsieur le curé, c'est rien qu'une enfant. Elle est belle, je ne veux pas qu'il lui arrive rien. Elle m'a pris les mains, je pouvais seulement pas causer. Elle m'a dit : " Je viens coucher avec toi. " Un mouton que c'est. Moi j'ai peur d'être pas bien beau ..." La table aux crevés est une vendetta paysanne réduites aux choses simples, élémentaires. Comment des amis en viennent par un simple enchainement d'événements et de malentendus à se trouver face à face fusil à la main. L'histoire est contée au-travers d'une peinture satyrique d'un village rural aisé où cohabitent plutôt paisiblement cagots et laïques malgré les coups de fusils des bucherons d'un hameau voisin.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 La rue sans nom : Voici un roman dont le caractère social qui marquait déjà les précédents ne peut échapper à personne tant il est présent tout au long du récit. Le monde du prolétariat le plus pauvre dans ses maigres joies, dans ses préjugés, dans ses querelles. Un roman noir où la méchanceté triomphe mais ne parvient pas à vaincre une solidarité née très loin de lui, nouée par l'aventure, la haine et certainement le crime. Disons-le, des quatre premiers romans de marcel Aymé, celui-ci est avec La Table aux crevés le plus attachant. Il contient de remarquables descriptions comme celle du départ des travailleurs le matin au début du chapitre II. " Entre cinq et six heures, la rue bruissait de voix mornes et de semelles traînées ; les hommes sortaient des maisons, engourdis de chaleur, pour arriver dans les usines du lointain à l'heure où le jour se lèverait. La paupière lourd encore de sommeil, résignés aux habitudes nécessaires, ils s'en allaient à la peine monotone qui faisait pain pour tous les jours ..." p363.  Un peu plus loin, celle des Italiens : " Maçons ou terrassiers, ils travaillaient dans les fondrières désolées à construire une ville triste, prévue pour des nombres, un vaste hangar de main-d'œuvre. Ils habitaient dans les dernières maisons de la rue, les plus délabrées ..." p364. Nous les retrouvons, ces Italiens, dans la fête : " On reconnaissait à ces étrangers un rôle nécessaire dans le plaisir. Les après-midi du dimanche, quand le vin et la bière coulaient sur la fatigue de la semaine, il n'y avait personne comme les Italiens pour réjouir une saoulerie. Ils riaient de la gorge et de l'accordéon, disaient des voyelles de soleil qui paraient la chair des femmes. Alors du ventre des bouteilles il montait des chansons, la fumée du tabac faisait un ciel dense sur les buveurs de chez Minche ..." p365. Minche, le cabaretier indicateur, a de la religion, il a même eu la révélation de Dieu : " Enfin, Minche a de la religion. Il ne va pas à la messe, parce que cela ferait causer, mais il croit qu'il y a un Dieu ; depuis la dernière grève des usines Té. Avant, déjà, il s'en doutait. La certitude lui est venue certain après-midi, alors que les grévistes causaient chez lui autour d'une bouteille de bière qu'ils buvaient à cinq ou six. Il était derrière son zinc, assis à coté de la servante, dont il jouait à caresser les genoux en regardant les buveurs et il a été illuminé tout d'un coup. ... Minche s'est contenté de murmurer à la bonne en égarant sa main dans les jupes : " Tout de même, hein, si on est peinards. " qui est à dire, comme " Deus nobis haec otia fecit ..." p373.   Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 

 Le Vaurien : Le père de l'autre est meilleur. Deux jeunes révoltés s'échangent - presque - leurs pères tandis que le père du premier, fraichement élu député, couche - sans le savoir - avec la légère petite amie de son fils. Grelin meurt de la tuberculose en rendant visite hebdomadairement à sa garce de femme, morte, au Père Lachaise. Il s'y entretient avec elle, tente de négocier sa survie. L'intrusion du merveilleux est ici très nette avec la quatrième fleur bleue du papier qui disparaît quand un des protagonistes s'en saisit pour devenir invisible pour un autre. Le surnaturel est dangereux, la croyance en une fleur bleue amène Bernard a casser la tête de son ami soupçonné de la lui avoir dérobée. Marcel Aymé fait usage du privilège de l'écrivain pour mettre dans la bouche d'un de ses personnages des propos qui font réagir, pas forcément des propos fantaisistes, simplement des propos qui peuvent ne pas aller dans le sens le plus commun. Il en est ainsi de la vision de la spéculation du père Jiquiaud de ce roman. " Où irions-nous si les hommes n'avaient plus rien à attendre que de leur travail ? Vous auriez le spectacle d'une humanité prévoyante et désabusée qui rognerait dans la nécessité. Heureusement la spéculation apporte l'espérance à tout le monde, elle supplée à cette providence divine qui paraît de plus en plus débordée. Ne me dites pas que les petits joueurs sont toujours les victimes. Qu'est-ce que cela peut faire ? Il leur reste l'espérance, c'est une joie qui ne s'use pas. La spéculation voyez-vous, c'est le surréalisme dans les affaires. ... Entre deux variations d'une même valeur s'inscrivent toutes les chimères, les belles illusions qui gonflent le cœur des imbéciles. ..." "Bernard, que c'est beau la spéculation ! Quelquefois, la baudruche aux illusions éclate avec un grand bruit. Quel plaisir ! Quoi qu'il arrive, moi, je suis toujours content. " Combien le personnage de Marcel Aymé a raison ! J'ai personnellement connu un homme qui riait devant les résultat d'une spéculation qui le ruinait, il s'agissait de plusieurs dizaines de millions de dollars, il disait : "C'est la troisième fois que cela m'arrive, je m'en remettrais ..." et il avait soixante-dix ans ! Nous sommes là, très loin des imbéciles actionnaires d'Euro tunnel qui syndiquent leur sottise pour récupérer le coût de leur cupidité ! S'ils avaient gagné les millions qu'ils espéraient, croyez-vous qu'ils se syndiqueraient pour rendre aux usagers la part qu'ils leur auraient alors volée ? Monsieur Jiquiaud rejoint l'Oncle Suprême d'Aller-retour cité plus haut, avec plus de réalisme dans le propos. Ce serait une erreur de prendre systématiquement au second degré les assertions de ce genre de Marcel Aymé ! L'humoriste se double d'un observateur attentif ou d'assez d'imagination pour atteindre à une réalité qui peut ne pas être évidente à tous. Le narrateur, Bernard, finira dans la peau d'un homme auquel il s'est indirectement heurté au début du récit, attendant la sortie de prison de son père de substitution, heureux et satisfait de son sort.   Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 Le puits aux images : Premier recueil de nouvelles de Marcel Aymé, ce livre est publié en 1932 et regroupe des nouvelles écrites entre 1927 et 1931. Le Puits aux images, la première nouvelle du recueil qui lui donne son titre est une courte histoire de suicide par rêverie. Pessimiste comme tout ce que nous venons de lire de Marcel Aymé on y trouve cependant une  douce poésie de la vie qui côtoie un simple désespoir. La seconde nouvelle, La retraite de Russie, nous laisse sur un immense éclat de rire en nous révélant une vérité du Maréchal Ney, à laquelle nous ne nous attendions pas ! Avec la troisième, Les mauvaise fièvres, nous naviguons entre héritages manqués, emprunt russe, mort prématurément déclarée qu'il faut bien dès lors provoquer et sortie vers un étang ; la suivante Noblesse est une petite histoire de cinéma sur le thème de l'habit fait le moine ; toutes deux ont en commun que la parole ou le qualificatif déterminent ou influencent le réel. Dans A et B nous suivons la constitution et l'affrontement de deux partis dans une classe qui aboutit à une certaine façon de considérer le réel. Pastorale est la plus longue nouvelle du recueil. " Des commissions furent instituées au sein des Chambres et travaillèrent activement. En vingt ans elles eurent arrêté un programme. " p 739. Marcel Aymé nous dit la nécessité des poètes, surtout dans des gratte-ciels ruraux qui font penser aux futures Monades urbaines de Robert Silverberg ( 1971 ) comme la maladie de langueur qui touche la population de Dulcène nous évoque celle qui frappe les bénéficiaires de l'immortalité dans Zardoz de Boorman ( 1974 ). Les Clochards, eux, n'ont ni Bourse ni loteries pour rêver un illusoire avenir meilleur, alors les mots leur tournent la tête et ils se ruent à la recherche d'une illusoire fortune. L'individu qui vit les difficultés d'une difficile cohabitation avec un locataire heureux et bien élevé finit par se laisser aller au bonheur d'une paternité difficile face au voisin haï. Au clair de la lune nous dit ce qui distingue une fée d'une femme et comment elles meurent quand on casse leur baguette. " Miracle ! Je sens l'orthographe s'insinuer dans mon être comme une infusion enivrante ! Déjà je connais mon erreur et que " piano " s'écrit sans x ni t. Ah ! madame, votre charme vient de m'ouvrir mille carrières magnifiques. Mon ignorance de l'orthographe me condamnait à embrasser la profession d'écrivain ; désormais, je puis prétendre à être employé de banque, rédacteur dans un ministère ou secrétaire particulier d'un sénateur ... Il n'existe plus de borne à mon ambition !" La lanterne de Diogène fait un détour par Athènes, nous savons dès lors qu'une lanterne n'est qu'un falot.   Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

La Jument verte : Les précédents livres de Marcel Aymé avaient été plutôt bien accueillis, La Jument verte, elle, fut un succès et révéla l'auteur au grand public. " Dès lors, Claquebue connut une activité nouvelle et saine. Les hommes labouraient d'une main plus profond, les femmes employaient avec à propos les condiments dans la cuisine, les garçons pourchassaient les filles, et chacun priait Dieu qu'il voulut bien consommer la ruine de son prochain. " p833. " Il eut la chance qu'on le surnommât " Cul d'oignons", ce qui peut suffit à donner, pour toute une vie, soif de considération, d'honneur et d'argent. " p834 Ce roman diffère des précédents romans ruraux de Marcel Aymé par son parti pris résolument fantastique dès le départ. La jument est verte, le village compte de nombreux centenaires et nonagénaires et c'est, rapidement, la jument qui effectue le récit. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer en raison de la réputation de cet ouvrage, la Jument verte n'est pas le livre le plus truculent de Marcel Aymé au niveau du langage, comme si l'auteur avait voulu compenser le coté lubrique par un cadre plus classique, lubrique est d'ailleurs vite dit, car ce roman l'est beaucoup moins que sa renommée pourrait le laisser supposer. Si la langue y est moins "paysanne" que dans la Table aux crevés, l'invention n'y est pas moindre. Le décalage vers le fantastique est léger, la jument verte et son tableau qui doit sa vérité et son pouvoir à une touche particulière et qui devient porte bonheur désignant par sa possession celui qui réussit dans la famille Haudouin, quelques morts qui parlent le langage des vivants dans un cimetière. Il y a dans la Jument verte beaucoup de descriptions par exemple de relations entre familles ou notables locaux qui relèvent bien du roman de mœurs et le sujet principal est bien les mœurs, la sexualité libérée mais pas forcément sans tabous, la sexualité provocante de ceux qui la vivent naturellement. " Dans le fond ( il ne le disait pas, il parlait même sévèrement à Adelaïde de l'insuffisance de ses fesses ), il l'aimait parce qu'elle était comme ça. Il n'allait pas se tourmenter pour un peu de poitrine qui manquait par ici, pour un peu d'autre chose qui manquait à l'arrière. Il y avait bien de quoi. C'était à lui d'en rajouter au bon moment et si maigre qu'elle fût, quand il la tâtait dans leur lit, Honoré trouvait toujours moyen d'en avoir plein les bras. Parfois, il pensait qu'il avait de la chance d'avoir une femme comme Adelaïde qui allait lui faire les trente ou quarante ans qu'il avait à vivre, comme autant pour elle ; une vraie chance aussi qu'il avait de l'aimer solidement, sans même sentir le besoin de la tromper ; une chance à n'y rien comprendre. Mais la plupart du temps, Honoré n'y pensait pas. Il sifflait sur la plaine en poussant sa charrue, puis s'arrêtait pour pisser, reprenait, crachait à gauche, chantait, parlait à ses bœufs, les caressait à lisse et à contre-poil, riait tout haut, taillait dans le bois vers un quinet pour ses garçons, dans l'écorce un sifflet, riait encore, tirait droit son sillon et s'émerveillait qu'il fit aussi bon vivre. " pp868/69 Une belle phrase, de bon français, peut réjouir tout autant que des expressions colorées forgées par l'auteur : " Il imaginait qu'elle subissait avec dégoût les assauts furtifs de ce mâle honteux qui, avec des précautions irritantes, faisait prendre l'air à ses envies malingres, enfermées dans un sentiment fétide des convenances. " p871 " Dans l'esprit d'Honoré, un mâle généreux ne pouvait être calotin, non plus royaliste ou bonapartiste ; il fallait avoir bien peu de tempérament pour rester insensible à une République large du bassin et si bien en chair. " p879. Dans ce roman, l'opposition entre deux familles représentant chacune un parti, religieux et républicain double l'opposition peut-être plus forte entre deux frères, le coincé qui réussit et le naturel qui vit d'une vie forte et pleine. La vie rurale y est un arrière plan sous forme d'une réalité simple et forte qui justifie autant qu'elle cause la liberté de la famille Honoré. La première place c'est peut-être cette famille d'Honoré et sa façon d'être libre, façon qui à une époque où une certaine France était "coincée" est bien exemplaire. Marcel Aymé penche pour une façon d'appréhender la vie. Trente ans après, le très pétainiste ordre des médecins suspendra encore l'un des siens dont le crime était de militer activement en faveur de l'éducation sexuelle des lycéens. Honoré est très avancé dans le domaine des mœurs, sur lequel la bonne société française reste à l'époque d'une hypocrisie remarquable mais qui n'est pas forcément partagée par le vrai peuple certainement plus nombreux chez les ruraux que dans ces villes où l'espace et le contact de la nature manquent trop - Marcel Aymé nous le dit quand il fustige la sexualité malingre des citadins. Encore une fois je reviens sur la langue de Marcel Aymé et une invention permanente qui en fait non seulement un langage riche mais qui est un plaisir fort de lecture. Marcel Aymé, c'est un Céline positif, un Céline débarrassé des hantises nauséabondes qui le conduisent à l'impasse tant du langage que des idées où il se situe aux antipodes. " Pour Alexis, Gustave et Clotilde, le dimanche ne présentait qu'un intérêt négatif, celui de ne pas aller à l'école. Autrement, c'était un jour vide et de perfection, une mauvaise copie des autres jours, triste comme les premiers jours de la Bible quand on était pas encore abrité du Bon Dieu qui vous observait du coin d'un nuage, ou en posant son oeil dans un triangle. " p969  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Le Nain : Ce second recueil de nouvelles s'ouvre sur la nouvelle éponyme : Le Nain. Quand un nain grandit ce n'est plus un nain. Ainsi au cirque Barnaboum, le Nain qui faisait son numéro avec l'homme serpent devient une sorte d'infirme quand il prend quatre-vingt centimètres à trente-quatre ans. La canne de feu l'oncle de Madame transforme son mari, mais il n'assumera pas bien longtemps son nouvel emploi. Encore une histoire qui, comme dans Aller-Retour, montre, au quotidien cette fois, une vaine tentative de sortir de son rôle. Si l'on disparaît de la liste, on n'existe quasiment plus tout comme l'homme que l'on fait disparaître. Un léger décalage vers le fantastique, mais est-on dans le fantastique ou bien tout simplement dans une amusante parabole ? La dialectique est fort utile, elle sauvera de façon inattendue, ce rentier pécheur à la ligne quand il se verra obliger de décider du sort de deux pauvres victimes. Rue Saint Sulpice on trouve un Christ, mais on n'endosse pas ce rôle sans risques ? Une fable que le cinéma italien reprendra bien plus tard ... sans référence à Marcel Aymé, peut-être d'ailleurs sans connaître cette nouvelle. Dans Bonne vie et mœurs, on découvre comment dépuceler la fille du maire peut faire retrouver sa vertu quand on est un sacripant, cagot, fainéant et ivrogne.  Satyre des romans à détectives à la Sherlock Holmes, l'Affaire Touffart débouche sur une autre et inattendue victime de Marcel Aymé. " Entre-nous, je suis même persuadé que la précaution de ligoter les victimes était superflue. L'Etat aurait très bien pu les décerveler sans qu'aucun d'eux n'esquissât le moindre geste de défense. Mais je vous l'ai dit, l'Etat n'était pas pressé il tuait le temps comme il pouvait. ..." p92 Le mariage de César, nous montre l'établissement sérieux d'une jeune fille vertueuse, fille d'une marchande de couronnes mortuaires, ce qui compte dans le commerce, c'est d'être à l'abri des modes. Trois faits divers, marque avec humour, le bonheur d'être cocu. On ne change pas sa nature et l'armure que commande le roi, n'en fera pas un connétable ... Avec Sporting on découvre que si une élection s'achète il reste bien la difficulté de savoir qui il convient d'acheter. La clé sous la paillasson voit le gentleman cambrioleur faire l'expérience qu'il est aussi difficile d'être vertueux que de retrouver son nom. Enfin, Martin, l'éternel coureur qui nourrit un espoir insensé finit avec son guidon. Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 Maison basse : Les maisons et leur âme ou l'absence d'âme. Le vrai communisme n'est-ce pas le village rural où tous se connaissent, savent ce que fait l'autre, comment il sent, comment il travaille, où la maison est la face affichée de l'homme qui ne cache rien ? (Chapitre V, discussion entre Jalamoi et un patron, propriétaire de la maison basse. Dans ce roman, Marcel Aymé aborde le thème de l'habitat moderne, la grande maison impersonnelle en contrepoint de laquelle, regardée par tous les habitants de ces maisons sans âme, la Maison Basse et ses volets verts. Marcel Aymé nous peint les habitants, appartenant aux classes moyennes, de l'immeuble dont a hérité un épicier communistes du quartier des Enfants rouges. Roman polyphonique Maison basse est de ces romans dans lesquelles les personnages humains ne constituent pas la trame du récit. En fait tout y est habilement imbriqué sans donner l'impression d'habileté, sans que l'on prenne garde à cette construction littéraire qui se situe si loin du travail bâclé des architectes sans imagination et sans conscience, fricards immondes, fabricants de cage à poules, que Marcel Aymé voyait déjà à l'œuvre et qui ont continué si longtemps, surtout en France leur travail de sagouins. C'est un roman attachant, les personnages qui y ont du relief, comme l'Ingénieur suicidaire ou l'épicier, propriétaire communiste qui veut communiser son immeuble. La part de l'ombre y est représentée par un maquereau paternel et un gérant de société dont l'objet est la recherche des héritiers. " La maison n'avait jamais été emplie par la rumeur des locataires, et quand un concert de voix s'y faisait entendre, on ne pouvait douter que ce fut la T.S.F. " (p177) " L'escalier qu'elle montait et descendait sans but, n'était plus un chemin de communication, mais le cercle de l'oubli, et de la peur sans objet. Il lui sembla perdre la notion des volumes, des masses, de la vie. Elle essaya d'imaginer l'existence de ces magies harmonieuses, et gémit d'impuissance. Enfin, comme elle passait sur le palier du cinquième étage, M. Josserand ouvrit la porte et une vive lumière l'éblouit ..." p217 On peut également cité de la même page un paragraphe précédent : " Souvent, déjà, elle avait éprouvé une résistance de l'immeuble à ses efforts de sympathie. L'espace semblait n'y avoir aucune solidarité dans ses parties, les événements se disloquaient entre les étages. Parfois, aux heures de relâche où les habitudes de l'esprit laissent passer les initiatives du corps, et plus souvent au bord du sommeil, il lui arrivait de se sentir flotter dans le quartier des Epinettes sans pouvoir s'y situer nulle part. " L'efficacité, la précision et la justesse des critiques de l'auteur font de cette œuvre une sorte de pamphlet sous forme - encore une fois très efficace - de roman. Rien n'y est oublié même pas l'environnement de la crise qui montre que la population victime de cet urbanisme sauvage est une population privilégiée. On ne saurait parler de ce roman sans évoquer Jules Romains mais au-delà des influences, il ne faut pas ignorer une sorte de nécessité technique portée par le sujet. Comment illustrer le thème de l'habitat dépersonnalisé sans mettre en scène des personnages que le hasard favorable ne parvient pas à lier ? Au milieu de ces personnages, obsessionnelle, la Maison basse qui symbolise l'habitat "humain". Les deux premiers personnages de l'immeuble à entrer en scène ne se rencontreront-ils pas ailleurs que dans ce dernier ? Beaucoup plus tard, voulant chanter une ville et ses lumières, Dos Passos reprendra cette technique de Jules Romains et d'aucuns s'esclafferont devant le résultat en criant au miracle littéraire américain !   Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Le Moulin de la Sourdine : Après le succès de la Jument verte, la réussite incontestable de Maison basse, on pouvait attendre l'auteur. Le moulin de la Sourdine qui aborde le thème de la respectabilité "acquise" des notables ne déçoit pas. Ce roman marque un retour à une forme et un contenu plus habituels (je préfèrerais ce terme à classique inapproprié ici). Une société provinciale qui voit cohabiter le quartier haut - des notables - aves ses extensions laborieuses des travailleurs "à une main" en face du quartier bas, populaire de la Malleboine. Entre les deux, la figure intéressante du brigadier Maillard, protégeant les premiers des seconds mais jugeant sévèrement ces derniers et rêvant parfois de revanche. La différence de vue sur la justice, c'est presque l'affaire Dreyfus, ici inversée dans la représentation. Au coupable parce que Juif donc paria, innocent, se substitue un coupable notable réputé par principe innocent. La Malleboine rêve de justice, le haut quartier respecte les siens. C'est le coupable qui dit : "... Ces gens là avaient la passion de la justice ... mais ce qu'on appelle les gens d'un certain niveau, ceux qui peuvent s'enorgueillir de ne travailler que d'une main, je ne vois pas qu'ils aient un amour bien farouche de la justice. Pour la beauté du fait, je regrette un peu de n'être pas le criminel : j'aurais pour complices la moitié de mes concitoyens." p490. Même coupable le Notaire conserve "l'amitié" de ses pairs. De Phillipon, le maire, Marcel Aymé nous dit : " Philippon était trop honnête homme pour se résoudre à étouffer l'affaire sans un déchirement préalable de sa conscience. Ce fut seulement après le départ de Rigault qu'il conclut à garder le silence. La première raison qu'il se donna était d'utilité. Il y avait péril à dénoncer le notaire car c'était rendre à Fourchard une chance sérieuse de plaider avec éclat. L'autre raison qui fut peut-être plus décisive, le maire se défendit d'en faire aucun cas, mais il ne lui échappait pas combien les maisons respectables de la ville, qu'elles fussent de droite ou de gauche, étaient intéressées à l'honneur de Me Marguet." p476 Ainsi il suffira d'un petit paragraphe au maire pour apaiser cette conscience qui l'a contraint quand même à attendre le départ de celui qui venait lui livrer le coupable ! Au début du roman, les sentiments de Rigault quant au salut du notaire est un petit chef d'oeuvre. (p353) Au rang des figures insolites, plus que le monstre de la ville basse, l'organiste, Crépel, avec son périscope pour observer la rue. La prière du notaire (p358/9) est intéressante. Description de l'état politique de la ville : " Dans les journaux de Paris, il n'était question que de communisme, de fascisme, de bagarres, d'appels et de rappels, mais sur tout le territoire de l'arrondissement il n'y avait rien de tout cela. Les communistes, dans cette ville ouvrière, étaient une poignée et ils n'avaient même pas un drapeau rouge, les croix de feu, une quinzaine, les royalistes quatre ou cinq gamins de vingt ans.  Les pauvres consentaient à la richesse des riches et au chômage menaçant. Les riches ne haïssaient les pauvres qu'à la réflexion. La méchanceté, la rage, la jalousie, au lieu d'éclater, de chambarder, suintaient à l'intérieur des familles, se ravalaient sans bruit. ..." p372.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Gustalin : Avec Gustalin, Marcel Aymé aborde l'opposition ville / campagne ou, plutôt, l'attirance de la ville chez des ruraux contrebalancée par un retour de professeur à son village natal et un renoncement à la carrière d'ingénieur chez un fils de paysan. Si Gustalin est de toute évidence le paresseux rêveur, Marthe, elle, est bien la demie-paysanne - elle est fille des bois - déçue dans son désir d'évasion. Marcel Aymé avait déjà dans Brûlebois marqué l'opposition entre bucherons et paysans, elle est acquise pour le lecteur. Il y a également dans ce roman le rêve de la femme à coté de l'homme, l'ambition à coté de la sagesse. Plus que dans les romans précédents peut-être, on prend conscience dans celui-ci de l'économie de moyens de Marcel Aymé. Au-delà du style et de la langue qui demeurent riches, les choses sont en effet montrées, ressenties, fortement au travers d'un quotidien banal soigneusement sélectionné. Il y a dans cette rupture de la vie quotidienne subie depuis des années par la femme, l'intervention de plusieurs facteurs qui s'articulent comme autant de données venant déclencher ce qui aurait dû demeurer dans le cadre d'une très faible probabilité. Comme d'autres personnages des romans précédents de Marcel Aymé, Marthe échouera dans sa tentative d'échapper à son destin.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Derrière chez Martin : Dans la première nouvelle, Martin écrivain, Marcel Aymé évoque plaisamment les mésaventures du romancier, de ses personnages et ... des autres en nous contant la genèse d'un succès d'édition. La seconde nouvelle nous fait suivre la descente jusqu'à "là où plus rien n'arrive" d'un employé de banque soumis et ... renvoyé. Dans son équipée vers la chute, le héros passe devant un clochard : "Aberdame sentit une petite peur voluptueuse lui courir sur la peau, et il poursuivit son chemin, en songeant à cet étrange regard qui ne redoutait plus de surprises." p701. L'élève Martin prend un moment l'allure d'une affaire Dreyfus de collège avant de se terminer dans un grand étonnement de cancre. Le temps mort nous dit la malheureuse vie amoureuse d'un homme qui ne vit qu'un jour sur deux. Le cocu nombreux est une autre nouvelle fantastique où le réel donc le normal, n'est plus le notre. L'âme de Martin frise le fantastique mais ce n'était qu'un mauvais tour du Diable toujours prêt ... Le conte de Noël nous permet de découvrir la bonté de l'adjudant et la Statue la difficulté de cohabiter avec sa propre gloire même partielle. Je reviendrais sur les deux nouvelles résolument fantastique de ce recueil. Elles sont toutes deux basées sur un postulat "décalé". N'exister qu'un jour sur deux pour l'une, vivre dans deux corps pour l'autre et explorent les conséquences de cette situation sans abuser du procédé. N'est-ce pas là une façon de refuser ou de mettre en doute cette normalité que nous étendons trop facilement à tous les domaines en feignant, souvent par paresse, de croire que ce qui est habituel est normal donc raisonnable et quasi obligatoire. Dans la seconde de ces nouvelles, les fous sont ceux qui pour nous sont normaux. La construction de toutes ces nouvelles est la même, fantastique ou pas, elles tournent toutes ou découlent d'une sorte d'argument. Le goût de faire mourir ses personnages pour l'écrivain Martin, l'acceptation de sa médiocrité et de la nécessité pour la banque de le renvoyer pour l'employé Martin, la naïve illusion d'être défendu pour l'élève Martin à la certitude de la culpabilité du cancre pour le surveillant dans l'élève Martin, l'existence un jour sur deux pour le Temps mort, l'habitation dans deux corps pour le cocu nombreux, la certitude d'avoir perdu son âme - perdu au sens propre pour l'Ame de Martin, la bonté de l'adjudant pour le Conte de Noël et la relation avec sa propre statue pour l'inventeur Martin. A chaque fois Marcel Aymé explore les conséquences de l'argument, sérieusement même quand la fantaisie est là. Ce recueil de nouvelles est au demeurant assez pessimiste. La décennie des années trente est celle de la crise. Marcel Aymé observateur de son époque s'en échappe par l'imagination tout en témoignant de ce qu'il voit, jusqu'à l'acceptation de la misère finale par certains de ses personnages, cette misère qui fait revenir les putains au trottoir quand l'angoisse les prend parce que "là" comme à la cloche dans deux nouvelles, "on ne risque plus rien." A une époque où tous les conformismes s'affrontent Marcel Aymé tente d'ouvrir des portes en forçant le rationnel visible. L'homme silencieux ne se perd pas dans le monde, il le porte en lui et le fait vivre. Cet homme qu'on a souvent décrit "absent" est certainement l'écrivain le plus présent dans son œuvre, pas à la façon habituelle des écrivains qui se racontent, mais parce qu'il nous montre le monde qui vit en lui. Les nouvelles sont à cet égard plus révélatrices parce qu'elles offrent plus d'aperçus de cette richesse.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Le boeuf clandestin : De ce roman, Michel Lécureur nous dit que son argument est mince. Marcel Aymé nous dépeint les avatars d'une famille parisienne, bourgeoise aisée et de quelques personnages secondaires qui apparaissent dans son entourage. La fille, Roberte, est le symbole du bon sens raisonnable de ce milieu. Elle aime un parti pour sa solidité et non pour les émotions. Un vieux général en retraite, libertin généreux, introduit dans ce monde une fantaisie mesurée. Le monocle y apparaît comme un remède au ... mariage à condition d'être utilisé comme il convient. Dans ce monde d'apparences, perdre la face peut-être fatal à l'autorité, c'est ce qui arrive au père qui échappe cependant aux tentations. Personnages tranquilles de la comédie humaine, ceux-ci sont ceux à qui rien n'arrive et dont la vie n'est réussie qu'à cette condition. " Ainsi qu'il le disait parfois à sa femme, il comprenait bien que que des administrateurs francs-maçons fussent mis en défiance par un zèle excessif pour la religion. C'était humain. D'ailleurs, Monsieur Berthaud ne regrettait pas trop d'être privé de la messe, car il ne croyait pas en Dieu. Depuis son adolescence, il se doutait que Dieu n'existe pas et, devenu homme, il avait vu la chose confirmée dans un livre remarquablement écrit. Dieu c'était bien vrai, n'était qu'une invention, mais la plus belle et la plus utile dans un monde égaré par la grossièreté des appétits, et les hommes d'un certain rang, d'un certain niveau, d'une certaine situation, instruction, éducation, distinction, se devraient de la soutenir avec toutes leurs forces. " pp805/806 Toujours le sens de la formule : " ... il avait beau avoir de grands yeux noirs et une paire de cils comme des ramasses miettes. " p806 ou " La grand mère parla de son utérus avec beaucoup de sentiment et réussit à lui donner une certaine présence. " p826 C'est toujours une dangereuse tentation de vouloir reconnaître l'auteur dans un de ses personnages. Cependant comment ne pas penser que Marcel Aymé a mis un peu plus de lui dans le personnage de Lardut quand il en écrit : " ... la conversation de Lardut était terne. Quand, par malheur il essayait d'être brillant, il tombait dans la vulgarité prétentieuse, et cependant il y avait en lui, parfaitement disponibles, un calme bon sens et une merveilleuse intelligence et intuition des mathématiques lui donnant la clé d'harmonies complexes, d'une délicatesse infinie. " p822 Nous avons déjà d'ailleurs, rencontré au moins un personnage féru de mathématiques, le poète du Vaurien. Lardut reste un paysan après qu'il ait décidé de se marier il se confesse à un ami (p 843/844). C'est sa future femme, Roberte, qui découvre " il n'y a pas de famille sans politique et la vertu doit être discrète. " p851, ce qui est une reconnaissance des solides valeurs bourgeoises. Une oeuvre à l'argument bien mince mais consistante à la lecture.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

La belle image : Ce livre d'une grande richesse, dont l'argument relève du fantastique, s'intéresse en fait beaucoup plus à la raison qu'à ce dernier. Venant après le Boeuf clandestin, la Belle image semble sur un plan, en reprendre partiellement le sujet, la métamorphose fantastique tenant ici lieu de beefsteak clandestin. L'auteur étudie le rapport de force dans la famille, ici, le couple et la belle santé de ces bourgeois que rien ne peut perturber durablement. Mais la Belle image va plus loin, si, comme dans le Boeuf, tout rentre dans l'ordre la vague de l'événement passée, et ici, il est beaucoup plus important, le personnage principal va avoir eu l'occasion de porter sur lui un regard autrement plus profond, plus dur, plus pertinent. Il s'interroge, quel est le rôle de l'apparence, fait-elle le caractère et la sensibilité ? Son seul souci quand il est victime de la métamorphose qui bouleverse sa vie, est de la rafistoler, d'entrer dedans comme si rien ou presque ne s'était passé. " Dans deux ou trois ans, quand je me serais fait une situation lucrative, digne de tenter une mère prévoyante et que, redevenu sous un autre nom le mari de ma femme, je réintégrerais le quatrième étage, tout serait comme si rien d'étrange n'était survenu. " p27   Dès qu'il revient à la normale il constate qu'il n'a pas été digne de ce cadeau que lui offrait l'événement. La Sarrazine - symbole de l'aventure, des nouveaux possibles - passe sans qu'il ait le courage de la saisir. Sa métamorphose ne parvient pas à le faire vraiment bouger, il joue avec une possibilité qu'il ne sait pas prendre. C'est sa première réflexion quand il retrouve son aspect normal. " Ma métamorphose m'apparaissait comme une aventure glorieuse, une attention providentielle que j'avais été incapable de mettre à profit. Dieu avait eu pitié de mon abrutissement, de l'existence insipide à laquelle j'étais voué. Il m'avait offert une chance de me ressaisir, une chance prodigieuse, telle que les hommes n'osent pas la rêver, et à aucun moment je n'avais reconnu l'appel de l'aventure. ..." p114. Des opportunités qui se présentent à lui, il ne parviendra qu'à perdre définitivement sa secrétaire qui aurait encore pu redevenir sa maîtresse. A la fin du livre, quand tout est rentré dans l'ordre, le personnage principal et son meilleur ami examinent le phénomène, pas une seule fois ils ne posent la question : pourquoi ? Ce qui les intéresse, c'est les conséquences de la métamorphose, leur façon d'accepter l'intrusion du fantastique dans leur rationalité. Ils sont des bons bourgeois rationnels dont la tranquillité passe avant tout. Julien Gauthier dit à son ami : " Ce qui a contribué à me rendre le prodige plus croyable, c'est qu'il n'était plus actuel et qu'il se situait déjà dans le passé. Je me trompe peut-être, mais ce qui me paraît bouleversant dans le prodige, c'est sa présence, sa proximité, parce que je suis alors obligé d'en prendre ma part. Je suis exposé à le rencontrer, à le voir entrer dans ma vie ..." p 131 Mais qu'à cela ne tienne : " si j'avais éprouvé le besoin d'être convaincu, je me serais arrangé ..." p132 Pour Raoul Cérusier, victime de la transformation elle est vite reléguée : " je ne pense pas que le souvenir de ma métamorphose tienne une grande place dans ma vie. ..." p132 dit-il quelques jours après qu'il ait retrouvé son aspect habituel. Devenant l'amant de sa femme et vite résigné il tire une leçon de renoncement : " Le bonheur d'un ménage est au prix d'un aveuglement réciproque, d'une volonté paisible de se méconnaître mutuellement. Les époux sont comme les rails de chemin de fer, ils vont l'un à coté de l'autre en respectant l'intervalle et si jamais ils se rejoignent, le train conjugal fait la culbute. " p65. Quant à l'acceptation du fantastique, de l'absurde, elle est fragile, quand l'oncle farfelu qui en avait été capable commence à douter l'auteur nous dit : " Il n'y avait plus rien à espérer. La foi à l'absurde est une sorte d'état de grâce auquel on parvient comme par l'opération d'un charme. Le charme rompu pour quelque cause que ce soit, tous les efforts de la raison ne peuvent rendre la foi. " p97 Un de ces bonheurs d'expression qui font aimer Marcel Aymé : " Chère petite Renée. Le soir du bouquet de violettes, elle était émue et l'âme lui venait si bien à la face que la table en était toute familiale et que le bon Dieu flottait dans la suspension. " p138 - le bouquet était destiné à une autre.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Travelingue : Pour qui remonte chronologiquement l'œuvre de Marcel Aymé, ce livre fait naturellement suite au Bœuf clandestin et à la Belle image. Continuant l'exploration des moeurs  bourgeoises, nous arrivons après les cadres supérieurs et les petits patrons à la grande bourgeoisie. La famille Lasquin est prise au moment où meurt le père, choc sans grande gravité qui parvient à peine à remuer le train quotidien. La découverte qu'elle était "cocu" intéresse prodigieusement la veuve qui y voit l'aventure, elle est hélas rapidement déçue. Le solde de son compte qui pourrait l'inquiéter plus sérieusement, étant garanti inépuisable, l'inquiétude disparaît et la mort du mari et du père peut-être oubliée. Le beau-frère récupère la maîtresse et la garçonnière. Autre événement d'importance : le Front populaire. Rien de bien grave, pas de quoi affoler la famille. Tout juste des problèmes de conscience pour l'écrivain de la famille, Pontdebois, (Mauriac ?) qui voudrait bien signer les manifestes de droite comme de gauche, contraint pour ne pas mécontenter les uns comme les autres, de se replier sur les bonnes vieilles valeurs universelles, heureusement qu'elles existent ! La politique ? Elle se fait dans la boutique d'un obscur coiffeur, préfiguration de l'Alessandrovici de la Tête des autres, ce dernier bien plus glauque - "libération" et récupération gaulliste des larves du marché noir et de la collaboration affairiste oblige ! La dérision de Marcel Aymé s'exerce sous l'angle du naturel, ainsi quand il nous dit : " Ce genre de correspondance ne l'embarrassait pas et sa plume courait légère, servie par les leçons prévoyantes des Dames de l'Assomption qui lui avaient donné autrefois une éducation parfaite, permettant de devenir du jour au lendemain une veuve accomplie. " p160 on sent très bien que ce qu'il nous dit de ces Dames de l'Assomption - cela ne s'invente pas - est la juste réalité, que l'essence de leur action est bien de faire des femmes qui puissent devenir des veuves "accomplies". Encore une fois, le style de Marcel Aymé est tel, si bien ajusté, rendant une essence si particulière, qu'on a l'impression que chez lui le mot fait l'écrivain, qu'il fait et précède la pensée. " En trois ans, ma femme a fait sept fausses couches avec deux intervenions. Il y eut un murmure admiratif. Avec la main, l'acteur eut un geste tranchant et ajouta : " A la dernière, on lui a fait sauter les trompes. " Le rêve contre-révolutionnaire de Malinier et sa fin, pp 187/188, le naufrage dans une histoire de torchons brûlés à l'eau de javel. " L'échec d'une entreprise aussi modeste que celle qui consistait à calotter l'homme au melon, l'avertissait de sa solitude en face des événements politiques. Il se vit, passant timide, s'effaçant sous un porche de la rue de la Condamine pour laisser passer une meute de chiens hurlants et bavants, dans lesquels il était aisé de reconnaître les dirigeants du front populaire. ... "Quelle saleté, ma pauvre Zabeth. Ces cochons-là nous mènent à la ruine. - C'est sans importance, répondit-elle gaiement, nous n'avons pas le sou. " p189 Le portrait du grant'écrivain de la famille avec ses inquiétudes, sa tartuferie, sa recherche de gloriole et sa peur permanente et générale est particulièrement réussi. " C'est que vous venez de m'entendre dans l'exercice de mon saint ministère. Je suis un grand écrivain, Noël, un penseur. Je pense comme je respire, sans y penser ..." p207 La tirade de Chauvieux sur la morale, page 214 : " Je ne suis pas l'homme pervers et démoniaque qu'il vous semble peut-être. Je voudrais simplement vous délivrer, vous apprendre à considérer la morale comme une nécessité de la vie en commun, sur laquelle il est inutile de raffiner. ..." La bonne tirade du père Ancelot, caricature de sa famille, de lui même par son discours mais qui recèle une vérité à laquelle fait d'ailleurs écho le discours désabusé du fils quelques pages plus loin. "(pp 232/233 et fils 237) Vérité que Chauvieux contestera puis reprendra en conseillant de ne pas se mépriser. " Il ne faut jamais se mépriser soi-même. C'est la pire des misères. On descend au-dessous de l'animal. " p238. L'excellent cyclope à lunettes, p251. Ce roman est plus dur que les précédents, les personnages y sont plus prisonniers de leur condition, leur réalité est artificielle, frelatée. Le décalage donne à certains le recul nécessaire à une relative maitrise de leur destinée, ce sont les marginaux heureux. Le pédéraste, le beau-frère, le jeune boxeur qui sera rattrapé par sa condition, ils portent un regard plus ou moins externe sur ce monde étonnant.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

Le Passe-Muraille :  Cinquième recueil de nouvelles de Marcel Aymé après les Contes du chat perché, le Passe-Muraille est largement ouvert sur le fantastique. Un fantastique qui prend un nouveau tour dans l'œuvre de l'auteur, car s'il découle bien d'une particularité comme dans les œuvres précédentes, - passer à travers la muraille, l'ubiquité, les jours supprimés ou le saut dans le temps - il n'est plus exploré en fonction du réel, de la difficulté à s'y adapter, mais bien en lui même. Ce recueil contient la nouvelle qui, jeune, me réjouissait le plus dans l'œuvre de Marcel Aymé : Légende Poldève. L'histoire de cette dévote, confite en patenôtres et bonnes actions, qui doit, pour gagner le paradis, entrer en croupe sur le cheval de son voyou de neveu comme la catin du régiment est d'une irrésistible drôlerie. Problème crucial pour tous les cagots : et si les sacrifices consentis leur vie durant étaient inutiles ? Si les " voyous ", les ripailleurs, les libertins, tous ceux qui prennent du bon temps quand il en est temps, avaient raison ? S'ils allaient entrer au paradis dans les bagages d'un de ceux-là qui aura la bonté de les faire passer pour des complices de ripailles ? Les deux nouvelles concernant le temps : La Carte et Le Décret, se passent pendant l'occupation. Dans la Carte Marcel Aymé nous parle du marché noir, les riches s'en tirent mieux, certains parviennent à vivre plus de jours qu'il n'en existe dans le monde réel. Voilà un fantastique bien réaliste ! Le Percepteur d'épouses comme la légende Poldève a une chute remarquable. " Quelle admirable discipline chez tous ces braves gens, fit-il observer. - En effet, murmura le ministre. J'en suis même très frappé." Je ne peux pas ne pas citer cette magnifique tirade des Bottes de sept-lieues : " Au moment où une dame reçoit sa monnaie au comptoir, on lui prend les billets des mains et, avant qu'elle ait eu le temps de s'indigner on est déjà rentré à Montmartre. S'emparer ainsi du bien d'autrui, c'est très gênant, même à l'imaginer dans son lit. Mais avoir faim, c'est gênant aussi. Et, quand on n'a plus de quoi payer le loyer de sa mansarde et qu'il faut l'avouer à sa concierge et faire des promesses au propriétaire, on se sent tout aussi honteux que si l'on avait dérobé le bien d'autrui. " p449. La nouvelle En attendant qui défile les clients d'une file d'attente devant une épicerie de la rue Caulaincourt durant la guerre de 39-72 est un pur chef-d'œuvre. " Un fonctionnaire à son guichet, c'est le chien des riches et des grossiums. Quand il voit du pauvre , il montre les dents. " p 476 Quand vient le tour du Juif de dire ses malheurs, il dit simplement : " Je suis Juif ". Dans la nouvelle, La Carte où les écrivains n'ont le droit de vivre qu'un jour sur deux, nous lisons : " Céline était dans un jour sombre. Il disait que c'était encore une manœuvre des Juifs, mais je crois que sur ce point précis, sa mauvaise humeur l'égarait. En effet aux termes du décret, il est alloué aux Juifs, sans distinction d'âge, de sexe ni d'activité, une demi-journée d'existence par mois. " pp 371/372 Ce qui est moquer l'obsession antisémite de son ami, mais également faire preuve d'optimisme puisque au terme du vrai décret, les Juifs, n'avaient plus le droit d'exister. Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

La Vouivre : Voilà bien le roman fantastique le moins fantastique que je connaisse ! Le personnage même de la Vouivre est tiré d'une vieille légende comtoise mais quel que soit le plan où l'on situe l'œuvre de Marcel Aymé, la Vouivre y tient le rôle d'un révélateur. Cette œuvre, parue en 1944, c'est à dire durant l'occupation allemande nazie, est une œuvre à tiroirs. Nul doute qu'au-delà du monde rural qui en est le cadre, ce monde soumis aux nécessités de la nature que rien ne peut agiter bien longtemps qui n'en remet pas en cause le cours - même pas l'occupation allemande - la préoccupation principale semble bien en être métaphysique ou, plus précisément, l'impact religieux, métaphysique, dans ce monde. La Vouivre c'est le paganisme avec son innocence face au christianisme ou, plus précisément encore, à l'Eglise telle qu'elle fonctionne dans ce milieu rural. La convoitise (du rubis que la Vouivre déroba jadis à un chef teuton vaincu ) dans ce livre n'est que le fait soit de rebus comme Requiem, ce fossoyeur pochard et rêveur et d'un Beuillat, parasite qui se rêve citadin, ou d'une désespérée, Belette, l'enfant qui voudrait être femme ou la femme qui ne veut plus être enfant. Le fond de l'œuvre, c'est à dire le monde paysan se déroule entre des oppositions douces, amorties, celle, ancestrale et molle, de deux familles, celle de deux frères et enfin du curé et du maire. Face à la Vouivre, libre et aux désirs flous, Belette la femme enfant et la Dévorante, la femme goule font un arrière plan féminin tourné vers la chair - il y a encore Juliette, le souvenir d'enfance, la fille du maire : l'avenir matériel. C'est finalement le sentiment le plus ambigu et le plus délicat, celui qu'il éprouve pour Belette, l'enfant à son service, qui entrainera - on ne révèle pas comment et où - le héros véritable de l'œuvre : Arsène. Les références religieuses sont nombreuses : les serpents sont le symbole le plus présent, gardiens dangereux du trésor de l'insouciante Vouivre. Quelques citations qui illustrent ce roman : " Pourtant, Arsène hésitait à se croire amoureux. Il ne retrouvait jamais la ferveur adorante de son enfance. L'amour de ses treize ans restait dans sa mémoire comme un sommet impossible à rejoindre. Son amour d'homme n'en était qu'un reflet, un ressouvenir indécis qui n'allait jamais sans regrets. " p571. Page 581, la première crise religieuse du Maire radical face au Curé : "C'étaient les sueurs horribles d'un brave homme de radical, antibondieusard, anticlérical, bon ouvrier de la laïcité, qui voyait tout à coup le Diable entrer dans sa vie, dans le beau grand domaine de sa raison, et y faire le chemin à Dieu le Père et à son Fils. Les paroles du curé achevaient de l'éclairer. Il était dans une situation à se prosterner dans la poussière en criant aux quatre points cardinaux qu'il voyait, qu'il croyait ... .... Converti, ouvert à la vérité du Christ et comme autant dire les doigts dans les plaies du Sauveur, il renonçait aux fontaines heureuses du paradis pour rester fidèle à son député et à son idéal de laïcité." Quand le curé propose à la demande du maire, en remède au surnaturel une grande procession, il en tient pour une petite que le curé rejette. " On ne gagne rien à tricher avec le ciel et on risque de tout perdre." p 582 " La procession, y en aura pas." p583 Elle aura lieu bien plus tard, en grand, et on y entendra le Maire radical chanter d'une voix grêle : " Je suis chrétien ". La relation du Maire à son député est mystique et l'intrusion du merveilleux dans sa commune sous les traits de la Vouivre l'amène à la rupture : " A la fin, moi, j'en ai plein le dos !" - " Avec vos conneries, vous finirez par me faire tout manquer. " - " Vous m'emmerdez, Monsieur Flagousse. C'est moi qui vous le dis. " et dans la cour le coq se met à chanter faisant trembler le rasoir dans sa main et sur sa gorge. p635. Il a cependant des retours, ainsi, après la mort de Beuillat : " Tandis qu'il cheminait dans la forêt, ses angoisses de l'au-delà se trouvaient reléguées par la menace des menées cléricales et Dieu lui-même n'était plus qu'un degré haut placé dans l'échelle de la clique réactionnaire. " p652. La Vouivre d'ailleurs n'appartient pas au Diable : " Le Diable n'était surement pas de la fête et Arsène dut en convenir. A ses yeux cette innocence n'arrangeait rien et la lui faisait apparaître plus étrangère et moins humaine que si elle eut appartenu au démon, lequel est tout de même un peu de la famille. " p586  Les fortes interventions de La Dévorante donnent lieu à des tirades de choix : " La Dévorante se laissa retomber sur sa chaise. La poitrine se gonfla jusqu'au milieu de la table et exhala un soupir qui rabattit une moustache de Noël contre son oreille et alla dresser les poils du chat dans un coin de la cuisine. " p630. " Vers le bas de la descente, le curé revint à la médiocre réalité. La Vouivre n'était qu'un pauvre mythe défraîchi que sa présence charnelle, constatée, ne parvenait même pas à reclasser. Les ennemis de la foi valent ce qu'elle vaut elle-même. Avec ses campagnards qui se mouvaient à ras de terre, il n'était pas de surprise possible. Si Dieu lui-même venait habiter la maison commune avec son tonnerre et ses légions, les gens s'y habitueraient au bout d'une semaine comme ils s'étaient habitués au voisinage de la Vouivre. " pp640/641 Un pauvre mythe défraichi, des légions auxquelles on s'habitue ... en 1944 ! Intéressant ce passage où Marcel Aymé nous décrit Arsène portant sur son frère un regard désabusé parce qu'il n'est pas capable d'accepter que la vie est complexe et contradictoire : " Arsène, survenu à cet instant, considérait avec une pitié malveillante les efforts de son frère, pauvre cervelle avide et inquiète, n'ayant plus, bien sûr, ni compartiments, ni cloisons, devenue incapable de supporter le voisinage de deux idées contradictoires et cherchant l'unité comme un alcool. " p648. L'éternité est odieuse, elle est le mal qui empêche de vivre. Marcel Aymé nous la peint à plusieurs reprises : " L'éternité de cette existence de fille qui n'avait à compter ni avec la vie, ni avec la mort ni avec le hasard, lui donnait un peu de vertige et d'écœurement. " - " ... il avait eu la sensation ignoble de l'éternité et la Vouivre, qui incarnait soudain cet infini nauséeux lui était apparue comme un être difforme et dégoûtant. " p669 La Vouivre elle-même cherche ce qui la distingue des hommes, ce qui l'empêche de vivre et plus tard, elle interroge Arsène : " ... Vous y pensez souvent, vous autres, à la mort ? - Encore assez, dit Arsène après un temps de réflexion. Je crois qu'on y pense tout le temps, même quand on n'y pense pas. ... Je croirais même que ceux qui savent le mieux y penser, à la mort, c'est ceux qui savent le mieux faire leur vie aussi et ranger tout ce qu'il y a dedans. " p683 C'est dans ce roman que Marcel Aymé examine le mieux le christianisme sans esprit de satyre, ainsi sous le rapport de l'infini et de l'éternité : " Peu porté sur le Christ, Arsène ne pensait pas à l'homme-Dieu, commune mesure entre la vie et l'éternité, échelle humaine de l'infini. " p690 Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 Le chemin des écoliers : Ce roman frappe tout d'abord par un changement de ton, la langue n'y est pas aussi brillante qu'à l'habitude comme si Marcel Aymé voulait marquer que le temps des mots est passé. Michel Lécureur parle ici d'influence possible de Camus, cela est effectivement possible mais Marcel Aymé n'a pas attendu Camus et les existentialistes, ainsi que je l'ai fait remarquer pour La Table aux crevés, l'Aurélie qui se pend parce qu'elle est tombée dans la terre molle offre déjà un avant goût de Meursault. Pas besoin d'influence littéraire pour justifier le désespoir en ces années d'après guerre. Le quotidien sordide du marché noir, de la chasse aux Juifs, la milice et les gestapistes français, la libération et les résistants de la dernière heure, leurs crimes, les femmes tondues, l'arrivisme enfin la révélation des camps, les premières utilisations de la bombe atomique, la plongée dans la guerre froide, rien vraiment qui permette d'être optimiste. On ne retrouve pas dans ce livre la chaleur qui sauvait l'homme dans les autres. Les années d'occupation y portent leur poids quotidien d'infamie, de petites choses qui rendent un son triste et presque sordide. Les notes de bas de pages ouvrent un oeil généralement sur l'avenir, l'après guerre, toujours noir, la libération, tout comptes faits pas vraiment meilleure. Dès les premières pages, un des héros nous dit : "  Du reste, quelle importance ? Nos petites infamies fourrées de silence et les autres, c'est notre modeste partie dans le concert de la grande infamie, celle des hommes, des nations, des troupeaux. Et ce monde là, c'est fait, il va crever, il est entrain, il se tortille dans les affres. Sous un ciel bas, plombé d'épouvante et de résignation imbécile, on l'entend hurler son agonie, râler ses fureurs suicidaires, pousser au cul de la mort en rythmant les sanglots de son De Profundis hystérique, et c'est bien reposant de penser que l'humanité s'est condamnée sans espoir. " p707. Le chapitre IV nous montre par des personnages un monde où les Juifs sont devenus proies, les Francs maçons sont traqués, où un gestapiste français parce qu'une femme se refuse à lui, la viole et la livre à des complices qui la tuent ... Quand Michaud parle, Marcel Aymé en fait un naïf - comme il devait y en avoir beaucoup, qui refuse de croire aux exterminations, parce qu'un homme sensé ne peut penser que " Il est impossible que les Allemands fassent cela !" Michaud, d'ailleurs est gaulliste, il le dit " ... parce que je ne veux pas de ce monde là que je suis gaulliste. Je crois à la liberté. Je suis avec de Gaulle pour que chacun soit libre d'être contre lui, pour que le colonel ait le droit d'aller à l'institut allemand, pour que tout le monde puisse choisir d'être pro-anglais ou pro-allemand ou ..." p739 Dans le chapitre V, il pose une autre question : les tortionnaires sont-ils responsables ou des dégénérés ? Certes au-travers d'un enfant sadique qui brule les yeux des poules après les avoir plumées vivantes ... Dans le chapitre VI, nous trouvons en Malinier la guerre civile en une personne. Partagé entre sa haine des Allemands, des boches, et son admiration pour l'ordre, l'antisémitisme ... il fait rire. " Depuis des mois qu'il y réfléchissait, Malinier oscillait entre deux pôles impossibles à rapprocher, qui ne lui posaient même pas une alternative. Sa haine de l'Allemand et sa gratitude pour les bienfaits de l'hitlérisme étaient plantés dans sa dure tête comme deux bornes. " p 769 Il fait rire avant de faire pitié plutôt qu'horreur, par son choix et ses raisons. Notons quelques perles telles que : " Je ne crois d'ailleurs pas que ce soit une bonne chose de faire écrire des lettres aux enfants. On ne peut que leur apprendre à mentir et a écrire pour ne rien dire, ce qui est encore plus grave. Ils écrivent déjà bien assez comme cela à l'école. Au fond, les gosses ne devraient pas apprendre à écrire avant l'âge de quinze ans. Ecrire, c'est se ratatiner, c'est user la vie et l'avenir. On écrit trop, on lit trop et on parle trop. ... Ce dont l'humanité aurait le plus besoin après la guerre, ce serait de silence et de recueillement. " p798 (Discours de Michaud). De la part de Marcel Aymé, le grand Silencieux ! " ... il n'avait jamais été autre chose qu'un père nourricier dont les radotages berçaient les rêves de ses enfants. " p805 Quel bonheur d'être cela et uniquement cela ! En discutant entre eux, Michaud et Lolivier, les deux associés, disent parfois des choses très intéressantes : " En fait un garçon qui étudie jusqu'à vingt-cinq ans est un petit monsieur qui capitalise sa jeunesse au lieu d'en faire un usage normal, immédiat. Pour s'assurer des agréments dans son âge mûr, il accepte d'être relégué pendant dix années en marge de la vie ..." p807 " Tu débloques et tu sais que tu débloques, La vérité toute simple et tu la connais aussi bien que moi, c'est qu'il faut des ingénieurs pour faire marcher les usines, des architectes pour bâtir des maisons, des officiers d'artillerie pour les foutre en l'air et des professeurs pour leur apprendre à les foutre en l'air. " p807/808. Ecoutant Michaud développer ses idées sur l'éducation sexuelle des jeunes gens, Tiercelin, le tenancier de boite de nuit pense : " On s'étonne qu'avec leur instruction, ces gens-là ne soient que des paumés, mais comment est-ce qu'ils pourraient se défendre, quand ils sont habitués à se poser autant de questions pour une pauvre petite histoire de caleçon ?"  Dans ce roman cependant, et c'est bien dans l'air (littéraire du temps - Michel Lécureur a raison ) l'Autre est [presque] toujours la Prison. Ainsi d'Yvette et de son ami Paul pour Antoine; de sa femme, de son associé et de ses fils pour Michaud, de sa femme, vieux débris, de son fils dégénéré et de ses parents, lamentables fantômes en injuste sursis pour Lolivier. Ils sont la prison en révélant les limites, en empêchant cette fuite permanente par laquelle chacun essaie de vivre ou survivre : l'illusion. Néanmoins, c'est l'individualisme qui prévaut : " J'ai beau me dire que le monde est en feu, la vie, pour moi, c'est d'abord cette besace de boue et de malheur que je traîne dans mon tunnel. " p810 Encore lui, l'individualisme quand Michaud, désabusé et tenté nous avoue : " Etre né riche, ou avec le don de faire de l'argent et se donner tout entier aux filles et aux plaisirs, c'est traverser l'existence bien tranquillement, quoiqu'en disent un tas de moralistes rhumatisants ..." p835 Résignation de Lolivier : " Je suis une espèce de privilégié, je n'aurais pas su ce que c'était que la guerre. Elle n'aura rien ajouter à mon poids de misères. ... " p866, sauvé par le cynisme quelque pages plus loin : " Ne faisons pas fi de l'argent. Celui qu'on met dans sa poche, c'est autant qui manque à autrui pour nous maltraiter et nous humilier. " p870 La grande erreur de l'histoire, c'est de ne retenir que le mouvement dit général qui n'est guère, quel qu'il soit, que le frémissement de la peau de l'humanité, la vie, elle continue à l'intérieur, passagèrement troublée peut-être, mais à peine, si peu ... Nous sommes ici, avec des citadins qui, en cela, ressemblent aux paysans de la Vouivre. Remarquable et amusante la tirade de la ponctuation et de la faillite menaçante à cause ... des trois points et des points d'exclamation dont d'aucuns croient utile de truffer leurs écrits ... (p816/817) Personnellement j'ai été saisi, happé au vol, par cette petite note en passant, de celles qui créent une complicité avec l'auteur : " Des hommes, au contraire, surtout des hommes seuls, il lui semblait qu'il fussent venus là pour s'informer de la vie et lui arracher quelques secrets. " p837 Combien de fois en effet, à une certaine époque, à l'issu de ces veilles de la nuit, penché sur une femme inconnue, rencontre d'un soir qui s'abandonne toute, n'ai-je pas interrogé en vain je ne sais quoi ou qui comme si d'un corps offert dans son intimité, une vérité pouvait apparaître ! Illusion vaine d'une vaine quête qu'en quelques mots Marcel Aymé ravive car comme l'écrivain écrit avec, le lecteur lit avec son expérience. A noter également cet extraordinaire clin d'œil : " Bientôt, la dispute dépassa en violence celle qu'ils avaient eue à la fin du chapitre II. " qui semble encore affirmer la complicité du romancier et de son lecteur. La force d'indulgence de Marcel Aymé l'emporte cependant et les dernières lignes du roman viennent rompre et contredire la noirceur épouvantable du dernier chapitre. Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

La tête des autres : Cette pièce, certainement la plus célèbre de Marcel Aymé eut des années et bien après la mort de l'auteur l'honneur de susciter l'ire de la justice et des officiels. Refus d'un sous préfet borné d'assister à une fête d'école où des élèves la jouaient et autres réactions aussi intelligentes disent assez quel impact elle a pu avoir pour une corporation qui reste la honte de ce pays mais pas seulement. On le sait, en France comme dans beaucoup d'autres pays, la justice est par excellence le corps irresponsable qu'aucune sanction ne vient jamais frapper quoi qu'il fasse ou peu s'en faut. Marcel Aymé écrit la Tête des autres après que la totalité de la magistrature française se soit honteusement vendue à Pétain et ses amis nazis puis ait, tout amour propre ravalé, servi bassement les fous de l'épuration après la libération ce dont l'auteur se souvient. Bien entendu, cette absence totale de sens moral et de dignité dans un corps qui devrait idéalement lutter pour se maintenir au-dessus de tout reproche s'agissant de "juger" tâche douloureuse et, surtout, de défendre l'innocence est on ne peut plus inquiétante. Cette magistrature lâche, opportuniste, Marcel Aymé nous la montre dès le début de sa pièce sous les traits d'un procureur sans scrupule et carriériste qui se félicite d'avoir obtenu contre toute attente la tête de l'accusé contre lequel il ne possédait aucune preuve formelle. " C'est bien simple, je suis claqué. Vingt fois, j'ai cru que l'accusé sauvait sa tête. Je le sentais m'échapper, me filer entre les doigts. Chaque fois, j'ai réussi à donner le coup de barre qui le faisait rentrer dans l'ornière. " dit le procureur et son interlocuteur de répondre : " L'ornière de la justice. " Scène 2 p 284 ( Pour le théâtre, nous nous référons à l'édition du théâtre complet de Gallimard - 1 vol - 2002 ) Cette pièce ne peut se résumer et il serait dommage de multiplier les citations tant il est nécessaire de la lire.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 Silhouette du scandale : Si Marcel Aymé est un homme de droite, cette phrase de son seul véritable essai sonne étrangement : " En effet, que ce soit dans la famille, dans la société, dans la république, notre existence se règle sur des usages plus ou moins anciens, lesquels, au mieux qu'on en puisse dire, retardent toujours sur les besoins et les possibilités du moment. Nous nous conformons à ces modes de vivre parce qu'ils sont des habitudes, autant par paresse que par timidité. Mais vienne un jour où l'incommodité et le danger d'une habitude apparaissent de façon éclatante, et la question se pose de s'en débarrasser. Or ces inconvénients n'apparaîtront jamais avec plus d'éclat qu'à l'occasion d'un scandale. " Disons-le tout net, si une gauche pouvait faire sienne cette phrase, elle serait très différente de celles que nous connaissons ! Homme libre, grand observateur de la chose sociale, Marcel Aymé nous livre ici une réflexion non dénuée de malice mais d'une justesse évidente. Cet essai est selon lui, un pensum commandé par un éditeur, dommage qu'on ne lui en ait pas commandé d'autres. Il faut noter les observations très paradoxales qu'il fait concernant l'Affaire Dreyfus. " A se demander si 'Affaire Dreyfus n'a pas été quelque chose comme des grandes manœuvres de la " conscience humaine " pour tant d'intellectuels qui devaient, plus tard, se dévouer à la tâche de soutenir le " moral du combattant "; " Devenue libre - des théologiens - la philosophie eut bientôt liquidé ce bazar d'espérances et de sensibleries. Seules les vérités raisonnables lui ont paru dignes de l'occuper. L'homme peut crever d'ennui et de désespoir, ce n'est pas son rayon. Aussi le public se désintéresse-t-il de cette pucelle glacée et de ses entreprises de faiseuses d'anges (sans compter qu'elle n'est pas commode à suivre, avec ces façons qu'elle a de dire les choses). Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 URANUS :   Quel plaisir de revenir à Marcel Aymé et par un tel roman ! Dès les premières pages on retrouve le même bonheur d'écriture même si le ton est devenu un peu plus grinçant. C'est que Marcel Aymé a vécu la guerre, plutôt l'occupation et la libération puisque ce sont ces deux temps qui ont marqué la guerre pour la France, deux temps de guerre civile dont on oublie trop vite aujourd'hui, bourrés des images de la propagande officielle volant au secours de la France éternelle, ce qu'ils furent vraiment. Je l'ai déjà écrit ailleurs sur ce site, la libération c'est de soixante à cent mille morts assassinés par les soit disant résistants. Cela ne correspond pas à l'imagerie officielle. Soit pour qu'il y ait cent mille exécutions la plupart hâtives et sommaires il a fallu que la France soit un véritable repaire de collabos actifs, soit ce n'est pas le cas et les français ont vécu dans la souffrance en parfaits patriotes qui détestaient les allemands et étaient prêts à l'héroïsme à chaque instant, et on ne peut pas avoir eu cent mille personnes à fusiller ! Oui, mais voilà, on a fait cohabiter dans l'esprit des français, de force, l'image pieuse du patriotisme et la réalité des crimes de la libération que l'on a de toute force tenté d'occulter - tout comme cette saloperie de république bourgeoise s'était accrochée aux vingt victimes de l'ignoble Commune passant sous silence les soixante-dix-mille assassinés de l'armée des lâches, celle de la déroute de 1870, qui massacrait les parisiens sous les yeux stupéfaits des garnisons allemandes et de Marx et Engels *1, qui n'en espéraient pas tant. Marcel Aymé n'a pas accepté cela. Il rétablit dans Uranus une vérité que tous ceux qui ont vécu cette période connaissent : si les allemands n'avaient pas fait l'erreur de s'aliéner la population française par les privations ils en auraient tiré ce qu'ils voulaient, le sentiment anglophobe étant assez fort pour emporter l'adhésion après une déroute voulue par la bourgeoisie pro-hitlérienne (ou anti front populaire ce qui revenait au même), et une classe ouvrière écœurée des errements communistes, un jour pro hitlériens, le lendemain anti après avoir saboté le Front Populaire. La vérité est que l'immense majorité de la population avait subi l'occupation en adhérant au pétainisme comme à la seule possibilité de survie dans l'orage et que la libération fut une guerre civile dans laquelle les voyous, les dénonciateurs, les assassins de tout poils et les idéologues rancis se lancèrent joyeusement. C'est tout ce petit monde que nous montre Marcel Aymé dans la petite ville de Blémont, bombardée dans les derniers mois de guerre et à moitié détruite par les avions américains ... chut, il ne faut pas le dire, tout le monde sait que ce sont les allemands qui ont bombardé Blémont ! Il se trouve que j'habite une de ces villes dont une partie fut détruite par un largage prudentiel de bombes américaines ou anglaises après un raid, les bavures ne coûtaient rien aux pilotes, c'était le principal ! Elle pouvaient même dans certains cas préparer l'après guerre, on l'a vu avec les trois cent mille morts de Dresde *2. Il fallait beaucoup de courage pour publier un tel livre en 1948 ! Thorez n'a quitté le gouvernement qu'en mai 1947, et le Parti Communiste est le premier parti de France avec plus de vingt-huit pour cent d'électeurs, même si en septembre 1947, on passe de l'après guerre à la guerre froide.

Ce qui frappe dans ce roman c'est l'absence de manichéisme mais la sévérité de l'auteur pour les voyous FFI. Watrin, le professeur dont les visions nocturnes donnent le titre de l'œuvre, est là pour nous rappeler la beauté de l'homme, de la nature. Il porte sur les hommes le regard indulgent envers les faiblesses humaines. Gagneux le communiste en pendant de Loin le fasciste sont tous deux ouvriers et employés, ils se connaissent, tous deux ont recherché une sorte d'épanouissement dans la famille politique et leur choix a été déterminé par des caractéristiques privées. Les gendarmes comme la justice qu'on ne voit pas directement, tremblent devant les résistants et le parti, c'est qu'ils sont des vrais collabos qui ont tout à faire oublier. Les autres, représentant l'immense majorité, comme l'ingénieur Archambault, qui n'ont rien à se reprocher, ne se sentent pas tout à fait bien dans l'époque qui vit sur le mensonge.

S'il faut prendre au sérieux Watrin, le doux rêveur professeur de mathématiques - cela a son importance -, deux choix sont possibles quant à l'auteur. Soit il est un incurable naïf qui veut à tout prix pouvoir admirer l'homme, centre de la création, soit il est un philosophe pour lequel la vie est au centre de l'univers humain et pour qui rien n'est plus sacré. Sacré d'une religion souriante, bonne enfant. Pour cette vie cependant il peut devenir actif et voler au secours d'une victime comme Brasillach quels que soient les reproches qu'on puisse lui adresser. La France de la libération vit sur imposture, celle de la France quasi unanimement résistante ayant subie un quarteron de collaborateurs fascistes, assassins et malfaisants. Les armes sont dans la rue, elles parlent vite. Le parti communiste qui croit en la possibilité de la conquête du pouvoir, qui doit faire oublier qu'il a compté parmi les premiers collaborateurs - avant même l'occupation -, tue et terrorise (Louis Renault, Denoël ...) jusque dans les prisons sous l'œil complaisant des gaullistes qui ne songent qu'à l'user et qui mettent à l'abri - comme tous les alliés - des trafiquants riches, des fonctionnaires collabos qui n'en seront que plus dociles (Papon et ces patrons de presse, futurs magnats de la presse nationale, les juges et procureurs qui jugeront les collaborateurs et le feront fusiller avec le même enthousiasme qu'ils ont mis à le faire pour les résistants). Rien de bien réjouissant, la France ne s'assume pas, au nom de sa gloire elle plonge dans la guerre civile justificatrice, elle fait chez elle la guerre qu'elle n'a pas su faire à l'ennemi, cela rappellerait l'après 1870. Il aurait fallu du génie et du courage pour faire face, elle n'a eu que de Gaulle dont l'obsession est justement l'imposture d'une France guerrière, victorieuse à imposer aux Alliés. Sans prendre le temps de souffler cette nouvelle France se lancera dans les grands massacres coloniaux, on fait les guerres que l'on peut, mais là encore, elle ne sera pas capable de faire face et la dernière triple trahison sera encore gaulliste. (Trahison vis à vis de la république par la manipulation du coup d'état fomenté de 1958, trahison vis à vis de l'Algérie française que les gaullistes utiliseront effrontément pour l'abandonner, trahison vis à vis des "braves" algériens qu'elle appellera avant de les abandonner et qu'elle laissera massacrer par ces autres assassins du FLN à laquelle elle offrira l'ancienne colonie, tout comme elle abandonnera sans vergogne et dans le déshonneur ses soldats algériens et leurs familles et tout cela dans la même imposture de la Grandeur. La France ne se remettra jamais vraiment de cette malfaisante légende gaulliste à la hauteur de sa lâcheté profonde enveloppée dans les plis du drapeau et du mythe de la grande puissance et ne trouvera pas le courage de se regarder et de s'analyser *3. Marcel Aymé en publiant en 1948 ce livre courageux ne parviendra pas à faire œuvre de salut public, les mythes ont la peau dure quand un pays veut l'oubli. Pire, la plupart de nos concitoyens ignorent le nombre de victimes de cette guerre civile dont la libération fut le grand règlement de comptes et pensent que l'affaire a été limitée à quelques dizaines de victimes, tous vrais salopards du genre de ceux de la rue Lauriston.

Dès la première page, Marcel Aymé nous montre un de ses personnages écoutant sa fille jouer du piano. Il entend du Chopin et en est ému, elle joue une chanson de Piaf. "... il eut une désillusion et douta de la qualité du plaisir qu'il venait de prendre en écoutant Marie-Anne. L'ineffable ne pouvait-il se passer d'un état civil ? ... ce qui compte maintenant, ce n'est pas ce qu'on sent, ce qu'on pense ou ce qu'on aime, mais avec quelles références et avec qui. " p 1043 (Pléiade TIII) Plus avant nous apprenons comment Loin est devenu fasciste, en somme, à cause d'une lavallière. La vieille qui a donné asile au collabo recherché se dénonce parce qu'elle sait qu'elle sera mieux en prison que dans la cave où elle a trouvé refuge après le bombardement de la ville. " Autrefois on aurait pas osé penser à ça, mais maintenant qu'on a vu arrêter tellement de personnes bien, on n'aurait plus honte. " p1083. Même détournement du réel chez le fils de l'ingénieur, Archambault, qui a assisté à des exécutions : " Et la mort d'un homme n'était rien de plus important qu'un épisode de cinéma. Le spectacle fini, on en faisait quelques commentaires, on épuisait le frisson et puis personne n'y pensait plus. " p1080 L'opposition entre Gagneux l'ouvrier et Jourdan le professeur, tous deux communistes : " A l'entendre la classe ouvrière devenait une divinité mille pattes apparaissant à la fois comme une théorie de martyrs extatiques, une armée haillonneuse de paladins assoiffés d'héroïsme et une procession d'archanges à culs rouges. " p1091 Pas de certitudes en ce monde : " Mais dès qu'on s'écarte de deux et deux font quatre, les raisons ne sont que la façade des sentiments. " p1115 Si l'ingénieur Archambault voyait toutes les nuits, comme le professeur Watrin, la solitude glacée d'Uranus perdu aux confins du système solaire, il verrait le monde autrement et  " En regardant son propre fils, il penserait avec un sourire attendri : dire qu'il a en lui de quoi faire un assassin, un voleur, un traitre, un satyre, et qu'il sera très probablement un brave type comme tout le monde, et peut-être un héros ou un saint ... " p1116 Presque du Paul Bourget quand l'auteur fait dire à son ingénieur, Archambault : " C'est tout de même une chose qui compte de se sentir d'accord avec le sol où on est accroché. J'y pense souvent et pour me dire que c'est peut-être là l'essentiel. Mais dans mon village, j'ai eu le tort d'être un bon écolier consciencieux. Le Maître m'a poussé dans l'engrenage des écoles et un beau jour la machine à fabriquer des ingénieurs m'a déposé dans un bête de pays que je n'aime pas, où je regrette mes montagnes et un autre genre d'existence. " p1120-1121 Le fasciste, sait qu'il sera pris mais regardant le trafiquant qui a fait fortune avec les allemands et qui s'en sort très bien il : "... ricanait tout-bas. Sa vengeance était de penser que le trafiquant n'avait rien perdu à la victoire gaulliste. " p1138 Le jeune Archambault, regardant le communiste et le socialiste s'engueuler se dit qu'il se verrait bien communiste. " Il pressentait l'agrément qu'il peut y avoir à disposer d'une armature et d'un voulu efficace pour servir ses exécutions. Il arrive trop souvent que les haines et les antipathies, pour n'avoir pas su trouver une pente commode, restent des sentiments timides et honteux et finissent même par se dissiper. " p1157 D'ailleurs il faut penser bien : " Mais le fait est que j'ai peur. Il me semble toujours que les gens me soupçonnent de ne pas haïr ce qui doit être haï, de ne pas adorer ce qui doit être adoré. " p1167 Le professeur communiste, obsédé par le parti, humilié dans ses tentatives avortées d'action, pense : " Le rire, la tendresse, la poésie, voilà les vrais ennemis du peuple. Il nous faut un prolétariat en proie aux seuls sentiments de haine, de tristesse et d'ennui. " p1210 C'est encore Archambault, le petit bourgeois français qui a été pétainiste sous Pétain, qui dit, après la mort du cabaretier Léopold : " Je n'ai pas eu le courage de m'élever contre l'arbitraire dès sa première arrestation et quant au meurtre, je me sens tout prêt à me solidariser, par mon silence, avec les assassins. Mais j'ai déjà commis tant de crimes de ce genre que je n'en suis plus à un près. " p1231

Ce roman, l'avant dernier de Marcel Aymé est au-delà du constat un peu désabusé, un authentique acte de bravoure.

*1) On le sait, ces deux sinistres abrutis se réjouissaient du succès de leurs idées assuré par les baïonnettes de l'armée française, le massacre après la victoire prussienne signifiant la disparition des doctrines socialistes françaises qu'ils combattaient de toutes les façons possibles, surtout les plus basses. Philosophes à croquenots cloutés et casques pointus.

*2) Les alliés ne bombardèrent pas les camps d'extermination dont ils connaissaient l'existence pour ne pas tuer les Juifs qui y étaient parqués. Ce faisant ils laissaient les nazis faire leur œuvre de mort tranquillement et amener chaque jour des trains entiers de nouvelles victimes. Que n'eurent-ils de pareils scrupules envers les populations civiles françaises qui, elles, n'étaient pas vouées à la mort et qu'ils ambitionnaient de libérer ! On le sait les usines du nord de l'Italie furent épargnées bien que travaillant à plein pour la guerre et pour l'Axe, en raison des intérêts de certains actionnaires d'outre-Atlantique.

*3) Qu'on s'entende bien, je n'ai aucune sympathie pour l'Algérie française, mais je pense qu'un peu de courage aurait permis de régler bien mieux le problème et permit de faire cohabiter dans une Algérie indépendante européens et algériens pour le bénéfice des uns comme des autres.   Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 URANUS AU CINEMA

Marcel Aymé a inspiré le cinéma qui le lui a bien rendu. Nul autre de ses romans ne se prêtait peut-être aussi bien au grand écran que celui-ci. La réalisation de Claude Berry a été fidèle au roman au-delà de quelques aménagements mineurs qui ne le trahissent absolument pas. Les acteurs choisis pour incarner les personnages de l'œuvre sont tellement entrés dans leurs rôles qu'on les voit flotter au-dessus des pages du livre pendant la lecture, à l'exception peut-être de madame Archambault que Berry a choisie plus avenante que celle de Marcel Aymé. Léopold est remarquablement incarné tout comme Watrin et Archambault ou Jourdan et Gagneux ou Maxime Loin et Monglat ou Rochard. Personnages d'une France malade, personnages de comédie qui fabriquent des drames ou qui les subissent selon leur nature, leur origine et leur condition. La scène de réception des prisonnier avec l'arrivée du train dans la gare pleine de parents, décorée, où donnent la fanfare et les flonflons, avec un arrière plan qui lui donne un caractère si particulier nous touche bien plus que ne le devrait une simple scène de comédie. Les dialogues du roman y sont repris mot pour mot, Marcel Aymé est un romancier qui sait faire parler ses personnages et le cinéma s'en trouve bien. Ce film permet de passer cette réalité que Marcel Aymé a voulu fixer, hélas peut-être un peu distanciée par l'exceptionnel jeu des acteurs.

 LES TIROIRS DE L'INCONNU

Dernier roman de Marcel Aymé après la longue absence en ce domaine ayant suivi Uranus (1948-1960), ce roman est avant tout celui de la dérision. Dérision du capitalisme qui ne croit plus en lui et se sent investi même s'il est personnifié par deux être odieux qui s'efforcent d'être fidèles au modèle ; dérision des idées avec Porteur qui n'agit qui est un mythe, malgré lui, se contentant d'exister - comme existentialisme -, banalisation du crime avec un assassin si peu assassin, un Martin, ou sous couvert d'une abomination mystérieuse dont on ne saura rien sinon qu'elle est suffisante pour mettre à genoux un Directeur Général magouilleur et combattif. Les employés sont dévoués à des patron odieux, on se demande pourquoi, ils agissent par fidélité au modèle comme les patrons. L'amour dans ce roman n'est que coucheries assez tristes, vagues désirs fugitifs satisfaits en passant dans lesquels se dissolvent des sentiments qui n'ont pas le temps d'exister, mais est-il autre chose dans la réalité et n'est-ce pas bien ainsi ? Sous un ton plutôt banal dans son œuvre, Marcel Aymé ne semble pas s'être vraiment remis de ce qui l'a amené à écrire Uranus. Un humoriste n'est jamais un optimiste. Contentons-nous de vivre au jour le jour, l'univers des personnages de ce roman est le leur, étroit, immédiat, dépourvu de projets réels. L'ancienne génération est représentée par les Bouvillon, Sonia, vieille folle qui radote interminablement les mêmes histoires et l'auteur de la preuve de l'existence d'un Dieu qu'il est préférable de ne pas révéler de la sorte, l'espoir demeurant préférable aux certitudes et les curés étant déjà assez insupportables. Michel Lécureur dans sa notice de l'édition Pléiade évoque le Nouveau roman, évidemment, comment ne pas y penser en lisant ce roman à l'intrigue floue qui part en tous sens et, par exemple, cette commode, objet froid qui conserve son mystère ajouté. Il évoque également Gide, cela me va mieux, les Tiroirs comme les Faux-monnayeurs demeurent des romans et sont lisibles, ni l'une, ni l'autre de ces œuvres ne tombent dans la poubelle des théories fumeuses d'écrivains impuissants. Martin demeurera le fil conducteur du récit, peu touché par son crime commis en un instant d'agacement, il n'évoluera pas beaucoup plus dans son quotidien entre ses deux femmes, celle qui est là et celle qui le veut parce qu'elle sait vouloir. Pourtant, il comprendra son frère, ce frère qui a couché avec sa fiancée quand il se montrera indifférent à ce que son attachement du moment se partage avec lui. Dans l'ébauche de son dernier écrit, Porteur, ce frère, entreprend de décrire un monde étrange ou l'amour pourrait être encore plus banalisé. Ce pourrait être, dans le domaine, le thème d'une œuvre de même nature que la Convention Belzébir mais consacrée à l'amour au lieu de l'assassinat. Michel Lécureur nous fait une petite revue de presse, Bernard Frank massacre llivre, qui se souvient aujourd'hui de lui ? Presque personne, heureusement ! D'ailleurs personne n'est condamné à l'intelligence, surtout pas dans ce France Observateur qui fut l'ancêtre du Nouvel qui ne vaut guère plus.

Définir une chose, c'est écarter d'elle les innombrables significations qu'y pourrait y attacher notre ignorance et, c'e, à son propos, en finir avec l'infini. " p1403 "... il est des mots dont il est vain de vouloir limiter le sens et qui débordent toutes les définitions. Ce sont les plus beaux et les plus dangereux de la langue, ceux qui agrandissent notre univers mais nous font facilement divaguer si nous ne prenons pas garde que leurs contours sont des plus vagues. " p1403 " En amour, les personnes du sexe, faut pas se tromper, c'est social d'abord. " D'une part, cette note correspond encore assez bien à la réalité de l'époque, d'autre part, n'y a-t-il pas toujours, pour tous, une dimensions sociale dans l'amour comme dans toute relation privilégiée entre deux êtres ? Pour la verve : " Mon père, il voyait rien, il savait rien. Maman aurait pu porter douze paires de couilles en sautoir que même en mettant ses lunettes par-dessus son monocle, il aurait encore rien vu. " p1421 Le cousin Bouvillon, réminiscence de Watrin d'Uranus : " Petit, c'est une bonne chose que tu aies commis un crime. Et c'est encore une bonne chose que tu aires été en prison ... Il y a comme ça des signes un peu partout qui donnent bien des espérances. Tenez c'est comme en Algérie, toute cette misère, tous ces gens qui souffrent, qui ont peur et ces soldats qui tombent des deux cotés. C'est une bonne chose aussi. Ah ! oui, une bonne chose. Le monde se tortille, le monde prend conscience. Mon idée, Sonia, c'est qu'on a encore une cinquantaine d'années à tirer qui vont être dures, je dirai même très dures, mais on s'en sortira. Oh ! bien sûr, on n'en sortira jamais complètement. C'est qu'il ne faut surtout pas. " p1488 " C'est en l'écoutant qu'une fois pour toutes, j'ai compris que les gens riches, les meilleurs, les plus bienveillants, les plus sincèrement chrétiens sont intimement convaincus qu'ils appartiennent à une espèce à un point différente de la mienne qu'il n'existe pas, dans leur esprit, de commune mesure entre elles. C'est comme si la possession de l'argent suffisait à les persuader qu'ils ont du sang bleu. Du même coup, j'ai peut-être compris pourquoi je n'étais pas communiste. Je reconnaissais dans ce sentiment profond de supériorité bourgeoise celui du militant communiste à l'égard du non-initié qu'il regardait souvent de haut avec la forfanterie d'un gaillard qui a compris. De même que le bourgeois riche d'argent et d'honneurs, l'homme enrichi de certitudes marxistes ne se reconnaît plus dans l'homme tout court. " p1499-1500 Que faut-il penser de cette phrase que Marcel Aymé met dans la bouche de Faramon, l'auteur du texte des tiroirs ? " Je dois vous dire que je me suis toujours intéressé à la littérature et qu'en dépit du plaisir que j'y ai trouvé, elle m'a beaucoup déçu. Alors que Marx et Freud nous fabriquent des kilomètres d'histoire, la simple littérature n'engrène pas sur la vie. On se récite un poème de Baudelaire comme on prend un cachet d'aspirine ou on lit un romancier pour s'isoler dans un monde déjà dépassé, dans une espèce de paradis artificiel. C'est pourquoi j'ai imaginé la littérature appliquée. Pour moi l'oeuvre littéraire commence au moment où je l'ai terminée. " p1545 A une époque de littérature engagée - Sartre, Camus, Bernanos ... - il y en eu d'autres - Barrès, Bourget, Maurras ... - Faramon ne répond-t-il pas à ce courant en même temps qu'il donne une clé du mystère du roman : il a mis en littérature un possible qui a manifestement débouché par une enquête faite par et à la demande d'un autre, sur du réel. Je décris un crime, le situant assez vaguement dans un milieu et l'on en trouve un correspondant.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page

 LE CONFORT INTELLECTUEL : Ce vigoureux pamphlet qui eut lors de sa publication un certain retentissement, met face à face dans un long dialogue, un défenseur de la bourgeoisie traditionnelle, M. Lepage et un écrivain artiste qui se révélera finalement assez utilitariste dans une autre perspective que le bourgeois. M. Lepage attend de la littérature qu'elle lui apporte le confort intellectuel, qu'elle serve à quelque chose, qu'elle soit précise dans l'emploi de la langue qui est un instrument de communication. L'écrivain qui peut passer pour l'auteur mais n'est certainement pas lui, défend plutôt le droit de l'écrivain à être en dehors. La cible de M. Lepage, Baudelaire en tant que représentant du romantisme se voit attaqué pour sa façon de tromper les lecteurs par l'emploi de mots sonores dans le flou et l'imprécis, l'outrance. Il y a bien entendu dans cette veine, les surréalistes et d'autres qui ne conviennent pas du tout à M. Lepage. A l'opposé, l'écrivain défend dans le dernier chapitre le droit de l'écrivain à être l'écho de son époque de la façon la plus novatrice possible. Il en fait une condition de survie de la littérature face au cinéma et autres modernismes. On sait que c'est là une thèse de Céline, ami de Marcel Aymé. Cependant la façon dont s'exprime l'écrivain, si l'on y réfléchit, n'est pas beaucoup plus attirante que celle de M. Lepage. Ce livre a été publié en 1949. A cette date, une certaine littérature était déjà massivement engagée alors même que la recherche de l'effet pour des raisons purement mercantiles était bien établie. Même les surréalistes se faisaient les chantres du réel et d'un réel assez nauséabond. Quand on se retourne aujourd'hui sur cette époque et celle qui va suivre, il faut bien reconnaître qu'elle n'est plus l'époque glorieuse de la littérature, cette dernière entre dans une grande agonie même si quelques grandes œuvres s'en dégageront encore. Marcel Aymé, écrivain indépendant, libre, survivra, on ne peut en dire autant de Malraux, Sartre et d'autres pratiquant d'une littérature prétentieuse, d'idéologues dont les œuvres ont bien vieilli et ne nous donnent même pas une véritable image de la réalité de leur époque. Mais le choix n'est pas entre le formalisme bourgeois et la recherche systématique de nouveautés pour faire pièce aux nouvelles formes d'expression et un pamphlet est presque toujours une systématisation abusive. Marcel Aymé convainc ici plus, c'est certainement son but, dans l'opposition à la littérature "utile" plus qu'engagée, que dans la défense d'une autre littérature de pointe, novatrice à tout prix, mais l'image de la bourgeoisie que renvoie M. Lepage ne fait-elle pas penser à celle du procureur de la Tête des autres, personnages bien réels, hélas. Chaque lecteur fera son choix s'il a encore le loisir de le faire ... mais ce n'est pas une obligation, il n'est pas nécessaire d'assigner un but à la littérature ? Tout grand lecteur sait que même s'il n'a pas d'attirance pour une école donnée, il y trouvera des écrivains qu'il admirera et s'il les admire, ce n'est pas pour des raisons théoriques, mais bien pour des affinités de nature souvent très diverses dont il sera conscient ou pas. Très symbolique, l'écrivain est prié à la fin de l'ouvrage de quitter l'établissement où il loge parce qu'il a une "tête de collaborateur", même si l'on sait qu'il n'en n'est pas un ! Je défends dans les pages de ce site, aussi bien un Panaït Istrati qu'un Paul Bourget, certes je ne trouve pas les mêmes choses chez l'un et l'autre, je n'ai pas les mêmes affinités avec les deux, cela n'empêche nullement de reconnaître certains talents en dehors de toutes considérations utiles ou idéologiques. L'homme littéraire ne peut pas être mu par des doctrines.  Retour bibliographie             ou Accueil           ou Haut de Page