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ANDRE BAILLON

1875 - 1932

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L'existence la plus simple a des ressorts cachés : il est intéressant de les découvrir. Mais voilà, c'est plus dur ! Il faut vouloir travailler et fouiller jusqu'au fond à s'en casser les ongles. "

André Baillon, Le Thyrse 15-5-1901 ( Cité par Roger de Lannay )

 

Né le 28 avril 1875 à Anvers, André Baillon s'est suicidé à Saint-Germain en Laye le 10 avril 1932 à l'âge de cinquante-sept ans. Cet écrivain belge d'expression française figure dans l'Histoire de la littérature prolétarienne de langue française de Michel Ragon ( récemment rééditée par le livre de poche ) dans la rubrique " écrivains paysans " ce qui ne semble pas très juste pas plus que le label " écrivain prolétarien " pour un écrivain qui ne l'est ni d'origine ni de fonctions et dont l'importance dépasse de beaucoup une école. Il n'est pas totalement oublié en France puisque le Bordas de la littérature française lui consacre une très courte notice et que le Laffont - Bompiani traite de son roman : Le Perce-oreille du Luxembourg. Le Robert l'ignore alors que Larousse lui consacre encore deux ou trois phrases exactes. En Belgique un mouvement existe autour de cette oeuvre ainsi qu'en témoignent les Nouveaux Cahiers André Baillon et les nombreuses thèses qui lui sont consacrées.

Orphelin de père à un mois et de mère à six ans, André Baillon est élevé chez son grand-père par sa tante, tante Autorité, il va au collège puis à l'Université de Louvain. Sa vie privée se déroule entre quatre femmes, Rosine Chéret, peut-être le mauvais oiseau, avec laquelle il dilapide, Marie Vandenberghe, la Marie de l'Histoire d'une Marie, qu'il épouse en 1902, Germaine Lievens - la Germaine Lévine du même livre puis la Claire de Un homme si simple, et Marie de Vivier, écrivain comme lui, dont il fera la connaissance en 1930. André Baillon est un auteur très autobiographique qui nourrit ses livres de sa vie et de son entourage. Il y explore ses doutes, ses interrogations et des obsessions qui y introduisent une autre dimension. Ses derniers livres relatent ses expériences personnelles en rapport avec la psychiatrie après un séjour à La Salpêtrière.

René Baillon n'est pas un esthète, cependant sa littérature où le style épouse et sert admirablement l'objet l'amène à un ton nouveau. Le récit est toujours d'une grande efficacité et se conjugue avec un contenu qui pourrait sembler naïf pour une partie de l'oeuvre s'il n'était aussi authentique. Il y a entre les Flaubert, Zola et autres et un Baillon la différence qui existe entre ceux qui vivent par l'imaginaire et ceux qui ont vécu - subi - et elle est infranchissable pour les premiers qui doivent, quels que soient leur talent et leur génie, remplacer l'authentique par le dramatique voire le pathétique. André Baillon a nourrit son oeuvre de sa vie, elles sont indissociables, au milieu des innombrables tourmentes on peut y reconnaître la difficulté d'être dans une société moderne ou autre. Rarement certainement une oeuvre n'aura autant été marquée par la vie de l'auteur, imprégnée à un point que dès que l'on connaît un peu André Baillon on le ressent douloureusement à chaque mot, à chaque ligne. S'il est indéniable que cette oeuvre possède de grandes qualités littéraires, elles s'effacent toutes devant la force du vécu qu'elle dévoile.

Liens :         Présence d'André Baillon

                   André Baillon : Service du livre Luxembourgeois

 

Le lecteur, une rencontre : Quelques mots dans l'Histoire de la littérature prolétarienne de Michel Ragon, André Baillon, écrivain prolétarien " paysan " , un titre : " Histoire d'une Marie ", retiennent mon attention, le titre ne m'est pas inconnu, il évoque une idée de chef d'œuvre ou de livre rare, méconnu. Je cherche dans ma bibliothèque, je ne le trouve pas. Quelques lignes dans un dictionnaire de littérature attisent ma curiosité, l'aventure du lecteur commence. D'abord, la quête du livre. " Livres anciens ", une commande, quatre jours, la Marie est là. Edition Rencontre, collection des prix Rencontre, cette collection que j'ai failli faire il y a plus de quarante ans, manquant ainsi, entre autres, la rencontre avec Baillon. Une préface de Maurice Nadeau, puis premier contact avec l'homme Baillon, le livre. Si j'en crois ce que j'ai maintenant lu de cet auteur, et ce qu'écrivent ses biographes c'est l'œuvre autobiographique dans laquelle il apparaît le plus tard. Il faut attendre la seconde moitié du livre pour voir entrer en scène, au moment où l'on se demandait si l'Histoire de cette Marie, si prenante, n'allait pas tourner à la Justine rurale, Henry Boulant, incarnation de l'auteur, Marie étant à peu près celle de sa femme. Mais dès ce moment on prend conscience d'avoir affaire non seulement à un écrivain, pas plus prolétarien que paysan, mais à un formidable biographe de lui même, qui va, inlassablement, se mettre en scène, en question serait peut-être plus juste, au fil d'une œuvre qui se confondra avec sa vie. On entre dans cette œuvre comme en religion, on ne peut se soustraire à la fréquentation d'un auteur qui force notre intimité en nous livrant la sienne au travers de différentes incarnations tellement nourries de lui que, contradictions, inventions romanesques, tout passera pour donner l'image d'un personnage : l'auteur tel que construit par lui pour ... pour qui ? Pour lui, pour son œuvre, pour le public, pour la postérité ou pour conjurer les fantômes qui... finalement auront raison de lui ? L'aventure qu'est pour tout lecteur, la découverte par delà les différences, d'un auteur de sa famille, commence. Une page sur Internet, trop tôt certainement, mais le besoin est là et la possibilité, de faire connaître sa découverte, son plaisir de lecteur. Baillon, ce sera pour moi, l'aventure de la fin de l'année 2005 qui reléguera bien loin cette connerie médiatico-politicarde : la révolte des banlieues.

( 4-1-2006 )

 

 

 

Bibliographie :

- Moi quelque part     1920 ( Réédité en 1922 sous le titre : En sabots )  

- Histoire d'une Marie        1921

- Zonzon, Pépette, Fille de Londres        1923

- Par fil spécial         1924

- Un homme si simple        1925

- Chalet 1            1926

- Le Perce-Oreille du Luxembourg        1928

- La vie est quotidienne            1929

- Le neveu de Mademoiselle Autorité            1930

- Roseau            1930

- Délires            1931

- Pomme de Pin            1933

- La Dupe            1944

- Le pénitent exaspéré         1944

- Correspondance André Baillon - Jean-Richard Bloch 1920 - 1930    2009

Sur René Baillon :

Périer (G.D.) : André Baillon, 1931

Vivier (M.de ) : La vie tragique d'André Baillon, 1946

                          Introduction à l'oeuvre de André Baillon, 1950

                          L'Homme pointu (roman qui met en scène : André Boulant )

De Lannay (R.) : Un bien pauvre homme, André Baillon. 1945

Doppagne (A.) : André Baillon, héros littéraire, 1950

Hankart (R) : La vie tourmentée d'André Baillon, 1951

Cahiers André Baillon, N° 1 : 1935.

Frans Denissen :  André Baillon. Le Gigolo d’Irma Idéal        2001
 

Les Nouveaux cahiers André Baillon : N° 1,2 et 3  ( 2003,2004,2005 )

 

Histoire d'une Marie :

André Baillon ne nous raconte pas la vie de Marie N.., mais l'histoire " d'une Marie ", une quelconque, une parmi d'autres. Cela ne nous empêche nullement d'être sensibles à son personnage, ce dernier a de la consistance et malgré la sobriété extrême de la description de la mort de sa petite et de sa courte vie, on se sent triste de la disparition de sa fille, Suzanne. La perspective selon laquelle Baillon nous présente son personnage est celle de l'inéluctable. Elle pourrait tomber sur d'autres compagnons, sur un autre patron, atterrir dans d'autres villes, qu'importe ? Tout la conduit là où elle va. " La faim fait du courage aux femmes qui travaillent. " Dîne sur ton premier type. " Mon bon monsieur, regardez cette femme qui vous montre la jambe parce que la faim habite dans son ventre : elle sera bien gentille. " Mais en général, ce n'est pas la faim qui fait le sort de Marie, non, il faut manger, la vie est dure à la maison, chez ses parents, mais ce sont les occasions qui se présentent et le manque de certitudes morales qui la livre. Il n'y a pas d'intrigue, il arrive simplement des choses qui s'enchaînent pour faire une vie à cette fille assez sympathique qui, si elle n'a pas une grande assise morale pour la guider, n'en est pas moins honnête et attachante. André Baillon nous parle à la troisième personne, une troisième personne qui devient parfois, aux moments des choix, particulièrement impersonnelle. On peut lire au travers de son trajet un tableau assez effrayant, sans que l'auteur en rajoute, de la situation de la femme dans les couches sociales défavorisées. Nous sommes loin de Zola, mais nous sommes chez les personnages voisins, ceux-ci sont des gens modestes, sans grands vices, sans grandes tares, non remarquables et le traitement de leur vie est au quotidien puisqu'il n'y a pas de drame au-delà du seul vrai : la misère. Pas d'aventures, des banalités qui prennent leur sens parce que situées socialement. Baillon écrit bien et traite son sujet avec une grande pudeur et simplicité tout en nous faisant sentir l'essentiel. Nous sommes aussi loin du roman intimiste que du roman épique du réalisme. Le " il " de l'auteur n'est pas celui de l'omniprésence et de l'omniscience d'un auteur de droit divin, le personnage ne le permet ni ne le nécessite, enfermé qu'il est dans son destin élémentaire. Il faut parler des bonheurs d'écriture de André Baillon qui sont certainement pour beaucoup dans l'attachement du lecteur à ce qu'il lit. La trame du récit est faite des petites choses, l'amour en est également une.

Après la rencontre d'un Henry Boulant, un p'tit Homme, Marie qui devient une bonne épouse, une maman sans enfant autre que son homme, passe presque au second plan et l'on s'attache à ce double de l'auteur qu'il dépeint sans concession. La seconde partie du roman devient donc le livre du couple, d'un couple déséquilibré fait d'une femme simple, dure à la tâche et aimante et d'un homme égoïste, tourmenté par des aspirations artistiques qu'il ne parvient pas à concrétiser. Il me semble que l'écriture de Baillon y prend des formes nouvelles, des sortes de raccourcis très efficaces pour dépeindre les situations. Le chapitre sept de la seconde partie, par exemple, description d'un hiver à la vraie campagne, est un petit chef d'œuvre. La vision de l'homme est triste, on le voit presque par les yeux de sa Marie aimante et naïve, docile et fidèle. Il y a des accélérations d'écritures pour passer les moments décisifs qui correspondent bien à la volonté de ne pas trop personnaliser. Là encore, c'est l'inéluctable qui frappe et les sujets s'y résignent quelle que soit leur position.

On notera comment, en quelques mots, André Baillon sait transmettre une émotion, une joie :

" - Nous dînerons à la campagne, voulez-vous?

La campagne! De la joie qui s'ajoute à votre joie. Voici les arbres, voici les blés, voici un coquelicot tout rouge, voici l'omelette appétissante et jaune, comme le cœur des marguerites. Et, ces oiseaux, écoutez donc, comme ils chantent; et votre bonheur lui aussi, comme il gazouille, timide au fond de votre cœur, comme il monte à votre bouche, comme il sort par vos lèvres, et cela fait un baiser. Vienne alors le soir : il y aura sur un banc, près de vous, un jeune homme, sa main qui vous caresse, sa jambe qui vous frôle, tout son désir autour de vous, comme le vôtre autour de lui. "

Naturellement, la sensation amène à l'acte, c'est en quelques lignes l'aventure de l'abandon, la séduction de situation. Les clichés n'en sont qu'après qu'ils aient été réutilisés, ici, il y a une écriture volontairement attachée à quelques éléments, pauvres, de séduction qui, malgré leur pauvreté, vont entraîner l'héroïne. C'est une sorte de poétique de la dérision qui marque la fatalité sociale. C'est aussi une âme simple qui marque simplement par des choses simples l'amour de ce qui s'approche de la campagne.

Révisant la liste des Prix Goncourt sous forme d'un Prix Rencontre ( du nom de la maison d'édition de Lausanne ), Maurice Nadeau, Robert Kanters, Olivier de Magny, Jean-Louis Curtis et Gilbert Sigaux ont choisi ce livre pour l'année 1921 qui vit attribuer le Goncourt à René Maran pour " Batoula, véritable roman nègre ", certainement très loin de le valoir.

Un homme si simple :

Un malade arrive dans un hôpital psychiatrique, il nous donne des confessions qui résument sa vie et ses hantises. Ce n'est pas un roman psychologique, mais le roman de ce qui pèse sur la vie d'un homme qui veut créer. La vie d'André Baillon est la matière de ce livre. Au travers des délires du héros, ce sont ses obsessions qui sont dévoilées. Celle du silence impossible que demande le créateur. Celle des femmes, celle qu'on quitte et celle qui arrive avec l'impossible ménage à trois, celle de la fille de la femme. Le héros voudrait exister, on ne le perçoit qu'au travers de ce qui l'en empêche. L'essentiel c'est Michette, la fille de Claire, son amie. Michette qu'il faut sauver. Baillon nous montre de " l'intérieur " le délire, le récit est prenant, fort jusqu'à la Salpêtrière.

" Que dire des automobiles ? J'ai vécu à la campagne où il n'en passait pas, puis dans une ville où il n'en passait guère. Ici, il en passait trop. Si je sortais, je le savais d'avance, à peine sur le trottoir, j'en verrais une, j'en verrais dix, j'en verrais cent, je serais happé. Vous êtes fiers d'avoir inventé ces machines ! Ces secousses qui vous remuent dans le ventre, ce tonnerre de ferrailles, cette fumée qu'elles ont raison de souffler par derrière, car elle n'est rien moins qu'une haleine : vraiment vous auriez pu trouver autre chose à verser dans leur moteur. Et leur cri comme un renvoi d'ivrogne en pleine figure ! Il me tournait le cœur. Depuis quatre ans, j'aurais voulu passer un jour sans les entendre. J'ai essayé de tout : me réfugier dans vos rues les plus étroites, me planter au beau milieu de vos parcs, leur bruit me rattrapait, monsieur ! ..."

Voyager si loin en tête à tête avec Michette ! J'en fus heureux à cause de Michette, furieux parce qu'elle verrait Dah, peiné parce que je duperais Claire, triste parce que ce dangereux bonheur, je le devrais à Delpierre. Je dis " Oui ", puis aussitôt au fond de moi : " Non "."

L'écriture qu'André Baillon met en œuvre dans ce livre sera reprise vingt ans plus tard, ici elle sert un vécu dense. " Je vous donne les idées des mauvais jours, celles qui mènent à la Salpêtrière. " car le lecteur ne peut ignorer que rien n'y est gratuit. Voici un extrait représentatif de cette écriture qui, ici, n'est pas détournée et sert le admirablement le sujet : " Hum ! Se raser, se vêtir, prendre le tramway, sauter dans le métro, s'ennuyer chez des gens qu'on ne connaît guère, sans Michette, j'aurais autant aimer rester à Bourg-la-Reine. Je réglai tout d'avance. J'acceptais : seulement, à neuf heures trois quarts, je tirerais ma montre : " Déjà dix heures !" et vite au galop, je regagnerais ma chambre. Je m'habillais là. Avez-vous compter les gestes qu'il faut, par exemple pour changer de chemise ? On la choisit, on l'étale comme une chasuble un pan levé, on plonge de la tête, on vise une manche, on ne rate pas l'autre ... Soixante-dix-neuf gestes, monsieur. Et encore ! La tête là-dedans, j'eus en bouche une cigarette : je dus la retirer, souffler les cendres, la déposer, la reprendre, tourner à la recherche d'une sacré boîte d'allumettes. Ensuite, mes bottines : douze crochets mal ouverts à chacune ; le faux-col et ses boutonnières serrées comme une vierge ; la cravate dont on ramène un bout vers la droite, puis vers la gauche, puis vers en haut, puis vers en bas ..."

André Baillon n'a pas écrit que l'Histoire d'une Marie et ce livre, qui dans l'histoire de sa vie, lui fait suite annonce et confirme avec force, autre chose au plan littéraire.

Zonzon, Pépette, Fille de Londres :

Ce livre appelé roman, est en fait une succession de courtes scènes, des sortes de nouvelles, qui tissent la vie d'une prostituée à Londres au début du XIXème et que lient les personnages et une chronologie qui va de la mort de l'héroïne suivie d'un retour dans le temps jusqu'à l'après mort immédiat.. André Baillon ne sacrifie cependant pas vraiment à la couleur locale, les anecdotes rapportées sont celles de la vie. Elles sont certainement tirées du séjour à Londres de Marie Vandenberghe sa première femme qui y apparaît rapidement dans la première scène ainsi qu'un autre personnage secondaire, d'Artagnan alors qu'on cite Zonzon dans l'Histoire d'une Marie. Ce livre est ainsi que En sabots, un développement, annexe ici, d'un passage de l'Histoire d'une Marie.

Le neveu de Mademoiselle Autorité :

André Baillon nous raconte la jeunesse de Henri Boulant. Le récit est plus " classique " que les autres œuvres de l'auteur. Il est divisé en trois parties qui ressemblent à des marches que l'on descend. La première, c'est la famille proche, la mère puis les siens, une enfance heureuse même marquée du décès de la mère. La seconde marche, c'est la prise en mains par la famille bien pensante. Ambiance stricte, absence de fantaisie. La dernière marche, c'est ce que l'auteur appelle : " la jésuitière ". De la façon dont il nous annonce l'enfermement de l'enfant dans ce lieu, de huit à dix neuf ans, on frémi et on se dit : onze années de prison. Onze années pour quelle faute ? Il se peut que je surprenne mais de tous les livres de Baillon que j'aie lu à ce jour, celui-ci me semble le moins autobiographique. Bien entendu, c'est bien son enfance que l'auteur nous raconte et certainement pas du tout  romancée - le terme " roman " ne figure pas en tête de cette œuvre -, ce qui donne ce sentiment c'est l'absence de sensation de drame comme si l'auteur de l'Histoire d'une Marie, mais aussi d'un Homme si simple, de Chalet 51 avait prit ou s'efforçait de prendre une sorte de recul - définitif - avec l'enfant qu'il a été. Défense ? Mademoiselle Autorité a été édité en 1930, deux ans avant le suicide de l'auteur. La sensibilité est pourtant là et l'auteur nous montre bien les ruptures qui l'ont exacerbée. Une anecdote rapportée sobrement est significative : celle du hoquet. ( chapitre II, troisième partie, p 134 de l'édition originale ). Un père jésuite lui fait peur pour lui faire passer le hoquet, il a la fièvre durant deux jours.

Le pénitent exaspéré :

Voilà certainement un des livres les plus surprenants de André Baillon. Publié après sa mort, il est selon l'écriture, son premier roman "achevé". Quand il écrit ce texte, André Baillon a quarante ans, il a rencontré Marie Vandenberghe depuis quinze ans. Le narrateur qui se confond assez facilement avec l'auteur, nous emmène dans une vision intérieure du monde qui l'entoure. Pour qui connaît l'œuvre, on a l'impression de pénétrer dans l'intimité d'un chapitre de l'Histoire d'une Marie jusqu'au moment où le récit "dérape" et où le narrateur nous entraîne dans le fantasme de la femme captive. Prostituée sauvée, beauté, objet d'amour et de culte, Jeannine, victime consentante découvre le désir de tuer de son amant geôlier. Simulacre d'étouffement dans une armoire, le narrateur observe sa victime et vit par elle sa lente agonie au travers d'une glace jusqu'à l'évanouissement final. Chance de se sauver, la victime choisit après hésitation de s'offrir à son destin. Le narrateur est là, voyeur ignoré. Le style d'André Baillon n'est jamais aussi utile dans sa concision, dans son art d'évoquer, que dans les scènes qui vont suivre le meurtre. Là tout nous est suggéré en des mots qui rendent la réalité entre vision poétique et récit sans jamais sombrer. Il fallait tuer Jeannine pour accéder à l'art, le narrateur est calme après le sacrifice. Dans la vie réelle, ce n'est qu'en quittant, si difficilement, sa femme pour une "artiste" que l'auteur reviendra vraiment à son œuvre. Le terme pénitent fait assez le lien avec l'éducation de l'auteur. Certains chapitres font penser à Baudelaire, un Baudelaire qui aurait changé ses mots "Dans un coin de l'espace, entre la limite de ces murs qui la défendent contre les Temps et les Hommes une volonté s'est affirmée..." et "Cette chose qui s'obstine sur mon lit et s'y décompose, je la croyais pourtant sculptée dans la matière incorruptible de mon rêve..." L'auteur parle de rêve et il a l'art à un moment d'égarer son lecteur, quand, dans le dernier chapitre, à la première ligne des trois derniers paragraphes, le narrateur se réveille. Il a rêvé se dit-on, il va nous le dire renvoyant dans l'ailleurs ce crime sacrificiel, et non ! Le narrateur se réveille : il reconnaît sa chambre, ... la chasteté claustrale de son lit ... l'œuvre est terminée et Jeannine partie. "

Enfin, on ne peut clore un commentaire sur ce texte sans s'arrêter à la date, aux dates, que l'auteur place à la fin du manuscrit : 21 juillet - août - 1915. La Belgique est occupée par une armée allemande déjà dure. Les hommes meurent et la vie humaine ne représente plus rien. En France un sinistre con, Joffre, sera nommé maréchal pour avoir mené à l'abattoir 300000 hommes durant le seul premier mois de guerre et on honore encore près d'un siècle plus tard cet ignoble crétin. On ne voit pas la fin de la tuerie folle où l'Europe meure. Qu'est-ce que la vie pour un homme de quarante ans à la sensibilité exacerbée, sorti des abrutissoires religieux, ruiné par une vraie prostituée, materné par une ancienne, qui l'aime vraiment, ivre de beauté, de pureté, à la recherche de son art et qui, déjà, parle de folie : " Seule l'indulgence scientifique du docteur m'octroierait peut-être la grâce d'un cabanon. " ?

Marie de Vivier dit de ce texte qu'il , " n'est qu'un pâle rêve sadique, " voire ... Elle fait une critique sévère des deux premiers chapitres, ils ne le méritent pas et leur lyrisme n'est pas si maladroit que cela qui nous prend dès la première ligne.

La Dupe :

J'ai dit le bien que je pense du premier récit inédit de Baillon paru après sa mort, Le pénitent exaspéré. La Dupe, publié en même temps par Labor ( Archives du futur ) après avoir été révélé en 1945 par la Renaissance du Livre qui en possédait le manuscrit a été commencée en 1896. Le début du récit sera repris et développé dans le Neveu de mademoiselle Autorité. Pour la suite, il nous donne l'aventure de l'auteur et de sa première maîtresse Rosine Chéret. Je note quelques bonheur d'écriture : de sa tante Louise, il nous dit : " Solennelle, en cheveux blancs, elle portait une orbe brune, mal faite, où pas un bouton ne riait. " Des demoiselles chez qui le héros prend une chambre il dit : " Elles furent enchantées de le voir, s'informèrent de mademoiselle Louise, qu'elles auraient bien voulu connaître, et, l'une très courte, boitant un peu, l'autre élancée avec la mine sérieuse, elles l'étourdissaient des deux oreilles à la fois. "

 Chalet N° 1 : Compte rendu de cette œuvre par Henri de Régnier dans Le Figaro du 4 mai 1926 :

"C'est loin du Montmartre de la Petite Chiquette et de Louis l'Indulgent, loin des chansons de Louis Codet, loin des Cadences de M. Pierre Camo (*1), que nous conduit M. André Baillon. Suivons-le cependant à ce Chalet n°1, où le pauvre Jean Martin, homme de lettres, est amené pour y soigner un dérangement d'esprit qui nécessite un internement curatif. Oh ! Jean Martin n'est pas fou, il est simplement "malade de la tête", et il appartient à la catégorie des "petits mentaux". Jean Martin a dans l'esprit des bizarreries, mais des bizarreries mais ses bizarreries personnelles ne l'empêchent nullement d'être bon observateur de celles de ses compagnons de cure. Jean Martin se trouve dans un milieu où les sujets ne lui manquent pas à exercer sa faculté d'observation. Le quartier de la Salpêtrière, où il est enfermé, contient de curieux personnages et Jean Martin ne résiste pas au plaisir de nous les décrire. Il tient un "journal" comme un simple Goncourt qui aurait pour "grenier" le Chalet n°1, et c'est ce journal qu'a transcrit pour nous M. André Baillon et qu'on ne peut lire sans une poignante émotion et une douloureuse pitié. Son Jean Martin a beau être un homme de lettres, un romancier, il ne mêle nul romanesque à la réalité qu'il décrit avec une terrible et peut-être insouciante exactitude. M. Baillon n'a donné à son livre aucune couleur dantesque et ne l'a orné d'aucun fantastique à l'Edgar Poe. Il a dit la vérité. C'est tout et c'est assez pour en faire un beau livre. Il l'a fait."

*1) Les œuvres et les auteurs traités par Henri de Régnier dans la première partie de sa chronique.

 

 

Mod 9-1-2006

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