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I Pauvre putain que j'ai trouvée un soir d'orage ! Sur le vieux port, Où dans cette eau qui sent la mort Bouge indéfiniment le reflet des bateaux, Toi qui rêvais aussi de faire un beau voyage, Pauvre putain ! Tu m'as montré timidement ton brun visage Et tu m'as touché le bras d'une crasseuse main, Pauvre putain que j'ai trouvée un soir d'orage...
II Et puis tu m'as conduit dans la ruelle obscure Où ce beau jupon rose était pendu là-haut;
.Je me suis accoudé - ô la triste aventure ! A ta fenêtre impure... On voyait le ciel vert et les mâts des bateaux.
On entendait aussi les filles de Marseille Qui riaient dans la rue...
Coiffées de fleurs et de rubans, de rubans rouges Elles riaient devant les portes de leurs bouges, Et les hommes passaient. lentement, lentement.,. Peinte, coiffée de fleurs, décolletée, vermeille, En jupe courte et bottines à haut talon, Chacune était assise, ou à califourchon, Devant une boutique ouverte, Où l'on voyait la lampe et le lit impudique...
Et les hommes passaient, passaient, passaient toujours Dans cette ruelle sordide, Entre ces boutiques d'amour... Je croyais voir un bas faubourg de Rome antique. Parfois entrait un matelot, - beau matelot ! Un matelot, dont le cou rond comme une tour Sortait hors de son grand col bleu comme la mer ...
Parfois entrait un matelot, - beau matelot ! Et la femme, alors, précipitamment, Rabattait les grands panneaux de sa boutique Derrière le col bleu du matelot galant...
III Et moi, pauvre putain, j'ai fermé ta fenêtre ; Tu m'as donné ton corps, Je m'en souviens encor... C'est mourir, - n'est-ce pas? - C'est mourir et renaître Pauvre putain, ce soir, sur ta peau souple et mate... J'ai compris que le coeur de l'homme est un pirate Que le cœur de tout homme est un sale vaurien... Car nous nous sommes presqu'aimés... On le sent bien.
Chausse, mon compagnon, tes espadrilles blanches ; II fait grand jour, et la montagne nous attend !... Nous passerons le pont tremblant, le pont de planche Nous irons vers ce lac que l'on voit miroitant.
Dépêche, il fait grand jour... Que la montagne est verte ! La sapinière a tant d'arôme ce matin !... Nous aurons chaud, là-bas, dans la gorge déserte Où sont les éboulis et les coteaux de thym...
Dépêche-toi !... Déjà toutes les femmes lavent; Tous les bergers sont loin : entends-tu les troupeaux ? Hardi, hardi ! Prenons nos sacs et nos chapeaux !...
Je vois un vieux pêcheur marcher au long du gave, Et dans le pré deux petits gars, en reculant, Font monter au ciel bleu leur rouge cerf-volant. Au premier acte, elle fut toute de sourires. En déshabillé rose, avec ses bras fardés Et ses ardentes mains comme des roses thé, Sa chair semblait tantôt en fleurs, tantôt en cire.
Au deux, elle criait comme l'ange du bruit, Fouaillée par l'aurore jaune de la lampe Où elle s'allongeait, en silence, indolente Comme un ver lumineux dans un énorme fruit.
Elle surgit, moulée en de noires dentelles, A l'acte trois, - les yeux fuyants, traînant ses mots, Et ses bras paraissaient, pâles serpents jumeaux, Se relever parmi des herbes de ténèbres.
Au dernier acte, elle mourut en haletant. Sur sa figure peinte on vit couler son âme. On vit avec lenteur dans ses grands yeux béants, La mort tomber comme la nuit dans la campagne.
Théâtre en vérité bizarre !... Aussi joyeux Qu'un esclave ébloui par des perles brillantes, J'ai senti tout un soir l'actrice palpitante Comme un grand papillon épinglé sur mon cœur. 1900 |