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ALEXANDRE JARDIN

Un regard sur Notre souffrance

 

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Des Gens très bien ( Grasset - 2010 )

Je viens de refermer le livre d'Alexandre Jardin, Des gens très bien, il y a quelques minutes, j'en lisais les dernières lignes, celles, en petits caractères, dans lesquelles il remercie l'historien Jean-Pierre Azéma. J'ai déjà écrit trois comptes-rendus de ce livre et je me remets au clavier de l'ordinateur, aucun des trois ne me satisfaisant. En interrogeant ou en s'interrogeant sur son grand-père, Secrétaire de Cabinet de Laval du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, l'auteur remue notre passé le plus douloureux, l'insupportable. Jean Jardin était un salaud tout comme Pierre Laval, tout comme Philippe Pétain ... Oui, mais ... peut-on se dispenser de tenter de comprendre ce qui a fait agir ces hommes ? Peut-on comprendre Drieu la Rochelle au point de retrouver en lui quelque chose de soi, même si ce quelque chose n'est ni l'antisémitisme, privé et tardif, ni le collaborationnisme, bien entamé sur la fin, en refusant d'examiner ce qui a poussé dans la voie de la collaboration active, des crimes, les hommes de Vichy ? Difficile pour deux raisons. La politique juive d'abord, impardonnable, une excuse de Vichy pour bien des choses aurait été de la refuser, d'accepter certaines exigences allemandes pour refuser de ce coté, ils ont fait le contraire, choisissant le déshonneur et de vendre leurs concitoyens. Mais ils étaient eux-mêmes furieusement antisémites parce que l'antisémitisme collait à leurs options politiques catholiques foireuses. La seconde était bien ces opinions politiques. Vichy représentait, derrière Pétain, non le fascisme au sujet duquel j'ai déjà dit pour quelles raisons il pouvait tout le communisme apparaître comme nécessaire voire salutaire aux hommes sortis des tranchées de 14-18, dans une Europe totalitaire, mais la vieille visqueuse et gluante droite catholique de Travail, Famille, Patrie, celle de l'Affaire Dreyfus, celle de la réaction la plus éculée, celle de l'hypocrisie, une droite qui avait toujours, entre autres, reconnu le Juif coupable de tous les maux. C'est cette droite qui a vendu les Juifs de France comme c'est elle et elle seule qui les a persécutés. Non, me direz-vous, il y avait les fascistes, les héritiers laïques ou religieux de cette droite, les activistes, les admirateurs de Mussolini et de Hitler, les transfuges du communisme et du socialisme pour certains, Doriot et Déat, mais ceux-là n'étaient pas au pouvoir.

Faut-il comprendre ? Faut-il se demander ce que Hitler pensait, tenter de savoir pour quelles raisons ce monstre a fait massacrer huit millions de personnes pour leur race qui n'était qu'une croyance religieuse qui même non pratiquée méritait la mort ? Si oui, alors, il faut cesser de penser, la pensée est inutile. Evidemment la simple affirmation : Hitler était fou ne me suffit pas. Derrière cette folie je vois l'écho de deux mille ans de luttes, puis de persécutions catholiques des Juifs ou de mille six cents ans de persécution. Une persécution qui n'avait rien à voir avec  "Aimez-vous les uns les autres" ou avec la charité chrétienne dont se font forts certains propagandiste de cette misérable foi ! Comme je vois derrière la main de Ravaillac, la même église catholique, ne reculant devant rien, celle qui brûlait les siens comme les autres : "Dieu reconnaitra les siens !".

Ne pas être juge ? Mais il ne s'agit pas de les juger. On ne peut pas faire le crédit à Pétain et à sa clique d'avoir voulu de quelque façon que ce soit, utiliser la politique antisémite pour obtenir des contreparties des Allemands. D'abord parce que leur propre politique les incitait à l'extermination. Bien entendu, ce n'était pour la plupart qu'une bande de lâches, déjà Pétain crevait de peur en 14-18, celui que les poilus vénéraient - il avait été un général économe de vies sauf en ce qui concerne les fusillés pour l'exemple méthode qui définit déjà ce salaud - le Général La Pétoche, n'allait pas organiser lui-même le massacre, non, ces fous de nazis s'en chargeraient, nous, on envoyait les wagons, tout simplement. Un voyage, c'est tout, un simple voyage en Pologne, sans ticket de retour ! Ensuite parce qu'ils n'ont rien obtenu dans ces illusoires et imaginaires marchés.

Alexandre Jardin est pris dans l'horreur comme tout un chacun, dans le tissu serré des mensonges familiaux qu'il veut défaire. Une famille française. Ce titre conviendrait peut-être à son livre qui est celui que cachait Le roman des Jardin.

Nous ne sommes responsables ni de nos ancêtres, ni du passé de notre pays, soit, mais nous en héritons quoi que nous fassions et il est des héritages difficiles à porter. En ce qui concerne la France, je me reconnais dans la lignée de mes ancêtres, qui a subi, qui a été persécutée, qui a été rebelle. Il y a du romantisme là dedans, une lignée mythique qui repose sur des constatations : elle était athée et révolutionnaire - communarde -, athée au point que Dieu était un mot sans signification aux oreilles de mon père comme de sa mère, un mot inexistant. Je me souviens de mon père serrant la main de mon vieux curé alsacien, brave homme parmi les braves, et de son sourire bienveillant pour un homme "bien" aux drôles de croyances, celles de ma mère. Alexandre Jardin est taraudé par une question : quel rôle a joué le Nain jaune, son grand-père, homme d'influence, chef de cabinet de Laval, dans la rafle des Juifs ? Dans leur ignoble déportation ? Pour s'en sortir, il s'est presque fait Juif, je le comprends, c'est un réflexe que nous sommes beaucoup à partager, nous accrochant parfois au presque rien qui peut justifier une telle option, Juifs, pas de religion, mais Juifs tel que les antisémites peuvent nous voir, Juif digne d'être persécutés parce qu'il est plus supportable à nos yeux - mais qu'en savons-nous ? - d'être persécutés que bourreaux ou fils, petits fils de bourreaux. Nous ne sommes pas l'un - persécutés - et nous ne serons je l'espère, jamais l'autre : bourreaux.

L'ennui avec les regards d'après la bataille, c'est qu'ils sont les regards d'après la bataille, d'un autre monde aux autres valeurs. Nous pouvons juger les actes, mais les hommes ? Nous sommes gênés de devenir Juges. Juge, le mauvais rôle car soit il se joue dans les grands principes, dans la rigidité des militants heureux qui ne se posent pas de question et sautent à tout propos sur leur Zémour, soit il comporte une part d'injustice car on ne rend pas la justice en entrant dans la compréhension des hommes mais en examinant froidement leurs actes.

De tous ces hommes qui ont trempé dans l'extermination des Juifs et des Tziganes, je ne peux dire qu'une chose : ils ont définitivement sali, compromis, l'homme quelles qu'aient été leurs raisons et je me sens sale d'appartenir à la même espèce qu'eux dans quel que rôle que ce soit. Alexandre Jardin restera seul face à cette réalité horrible comme nous le sommes tous et la filiation n'y ajoute ou n'en retranche rien.

 

Le roman des Jardin ( Grasset )  Un petit malin !

Si le grand écrivain est capable de suggérer, si son art est de faire sentir le non dit, alors Pascal Jardin n'en est pas un et il en est même le parfait contraire ! La splendeur déviante des Jardin occupe la moitié du livre, plutôt, la moitié du livre est consacrée à nous convaincre que ce que l'on nous raconte est le fait d'extraordinaires gens d'ailleurs, des double-rate, des " pas comme les autres " mais vraiment extraordinaires ! Evidemment, il y a aussi des clins d'oeil, Alexandre Jardin a écrit un roman, assez souvent il parle de rêve et de réalité, où est l'un, où est l'autre, où commence le vrai, ou finit-il ? Ne sommes-nous pas seulement dans le rêve d'Alexandre face à sa famille ? Quoi qu'il en soit, nul ne peut ignorer que l'auteur - le narrateur auteur - est issu d'une longue lignée d'originaux dont on voudrait nous faire de vrais monstres sympathiques. Le style est enlevé, entendez qu'il n'y a pas vraiment de style mais une cadence, un mouvement indispensable pour nous entraîner dans cette suite de courts récits et faire passer les affirmations répétées d'extraordinaire de la famille et de ses proches.

Alexandre Jardin connaît son métier - mais quel est-il ce métier ? L'Arquebuse, Le nain Jaune, le Zubial ... nous sommes dans une fabrique de clichés proprement étiquetés et mis en valeur. L'auteur connaît son métier, en va-t-il de même des critiques qui crient au chef d'oeuvre ? Car enfin pour " marcher " au pas de l'auteur, il faut beaucoup de bonne volonté ! Tout cela reste dans le ton du vaudeville ! Le découpage est fait pour les courts voyages en métro, si vous manquez un chapitre, cela n'est pas grave. Ce livre serait-il couronné du Goncourt que ceux qui ne lisent que ce prix seraient ravis, sauf peut-être quelques électeurs du vicomte qui, puisqu'on leur dit qu'il y a scandale, crieraient au scandale, encore que dans ce milieu, Vichy, années quarante, ne soit pas vraiment une tare !

La promotion des Jardin est excellente puisque l'on a même vu un cousin venir protester pour " l'honneur " de la famille "! Alexandre quant à lui se produit sur les plateaux de télévision où l'on reçoit volontiers les auteurs de confessions diverses de crimes ou viols familiaux, il a l'air sombre nécessaire non sans, là encore, quelques clins d'oeil, après tout l'écrivain a le droit de se moquer, de se jouer des autres surtout de ceux qui ne le volent pas, l'écrivain est un mythomane de droit. Si Alexandre Jardin a versé dans ce genre, je tiens à le saluer, son livre alors est un peu une oeuvre de salubrité.

En conclusion : un roman - UN ROMAN - vaguement ou plus autobiographique, léger, que l'on veut nous faire prendre pour le chef d'oeuvre de l'anormalité ; que l'on peut lire sans trop se lasser mais en ayant quand même une assez forte sensation de perdre son temps ! Encore une fois, Messieurs les critiques, je me trouve mal d'avoir prêter l'oreille à vos discours dans lesquelles les vessies n'en finissent plus de passer pour des lanternes !

Cela vaut quand même mieux que du Houellebecq ou - horreur ridicule - du Dantec !

Septembre 2005 ( mod 12-10-2005 )

 Chaque femme est un roman (Grasset)

Alexandre Jardin récidive ? De ce nouveau roman, il nous dit qu'il s'agit d'un roman foutraque. " La vérité n'est qu'un puzzle de menteries sur lequel tout le monde s'accorde. " pp20-21, "... en amour, la liberté de l'autre est induite par notre propre regard. ", " Aimons-nous des êtres réels ou bien l'opinion que nous nous faisons d'eux ?" p37. Voilà de bien sympathiques propositions ou questions, pas très original, sur lesquelles tout le monde sera d'accord ou presque. On ne peut les manquer puisque l'auteur, conscient de l'imbécilité de ses lecteurs ou de leur manque de temps, les offre en italiques. A la page 75, il nous rappelle : " Je resterai toujours un farceur, méfiant à l'égard du fumet lyrique des mots. " Une question encore : peut-on vivre la vie avant de l'écrire ? (p83) Personnellement j'en suis à la page 90, l'auteur s'est bien donné du mal pour trouver un petit fantastique, décidément tout à notre époque est au rabais. Cela me suffit, comme souvent les livres pour distraire, me deviennent des lectures à vide, donc à charge, pourquoi dès lors continuer ? Alexandre Jardin serait-il avec ses aventures qui n'en sont pas le romancier des bobos déculturés ?

Mai 2008

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