PONCTUATION

JEAN-CHRISTOPHE RUFIN

et

la PHRASE SYNCOPEE

 

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Y a t-il un terrorisme de la phrase courte ? Certains auteurs n'acceptent-ils pas de syncoper leur texte pour échapper à la dictature des ringards céliniens à la Sollers ? C'est une question que l'on peut se poser quand on trouve, par exemple dans un roman de Jean-Christophe Rufin publié chez Gallimard (*), une phrase détruite par la ponctuation :

"Kate fut soulagée de constater qu'elle ne connaissait personne dans le groupe. La majorité, ici comme dans toute la population, était composée de gens âgés. Dans la terminologie en vigueur, on avait le devoir de les appeler les « personnes de grand avenir ». Certains avaient d'ailleurs dépassé le siècle. Mais tous faisaient de leur mieux pour rivaliser de dynamisme et de bonne humeur."

Nous avons dans le texte de l'auteur, cinq phrases là où une seule suffisait. A-t-on réussi à persuader Jean-Christophe Ruffin qu'il était trop con pour construire des phrases "longues", à plusieurs propositions, ou bien, au contraire, l'a-t-on convaincu que c'est le public actuel qui est bien trop con pour lire de telles phrases ? Ce qui est certain c'est qu'une telle prose se lirait fort bien avec une ponctuation différente, le lecteur qui, comme moi, découvre son texte en suivant ces petits signes que l'auteur glisse entre des groupes de mots et qui lui donnent non seulement sa musique, mais aussi son sens, en liant entre elles les choses qui doivent l'être est certainement gêné, je le suis, dans sa lecture au point même d'avoir parfois envie d'abandonner le livre pour cette seule raison ! Il est certain que cette façon d'écrire relève d'un grand mépris du public que l'on suppose à priori incapable de comprendre deux propositions données dans un seul élan. Fort bien, mais comprendre le compliqué qui n'est jamais qu'un ensemble de choses simples, c'est un exercice et si l'on cède d'entrée à la dictature des imbéciles en pensant à eux quand on tient le porte plume, comment ces braves gens s'éduqueront-ils ? A moins qu'on ne suppose que les livres sont lus dans le métro et que la phrase syncopée soit destinée à permettre au lecteur de s'arrêter n'importe où, mais alors comment justifier des mots comme "mais", "certains", en tête de phrase ? Comment justifier l'emploi de "ici", "les" quand le référent est dans une autre phrase ?

" Kate fut soulagée de constater qu'elle ne connaissait personne dans le groupe ; la majorité, ici comme dans toute la population, était composée de gens âgés ; dans la terminologie en vigueur, on avait le devoir de les appeler les « personnes de grand avenir » ; certains avaient d'ailleurs dépassé le siècle, mais tous faisaient de leur mieux pour rivaliser de dynamisme et de bonne humeur. "

(Je concède des points virgule là où ils ne sont peut-être même pas vraiment indispensables !) Quand je lis les cinq phrases, j'ai l'impression qu'on me prend pour un imbécile et je suis gêné par ce découpage qui semble faire des idées des propositions séparées qui n'ont aucun lien entre elles. On avance des choses "comme cela", sans lien, c'est une destructuration de mon " espace intellectuel ", une invitation à penser con, fragmentaire, cela me rappelle l'incapacité d'aligner deux idées que je constate avec inquiétude chez de nombreux adolescents !

Je prends une autre phrase, au hasard, en feuilletant le livre, page 130 : " Puis une autre et finalement s'épuisa à déraciner le tronc lui même. " Comment justifier ce " Puis une autre " en début de phrase ? Nous sommes là dans le saugrenu le plus pur ! Le "et" lie en réalité, non seulement ce " Puis une autre " élément perdu de la phrase précédente, mais cette phrase précédente et la dernière proposition qui aurait dû en faire partie comme le "finalement" le voudrait ! On peut passer à ce crible tout le livre, c'est dommage et affligeant, qui, chez Gallimard, exerce le métier d'éditeur ? Je comprends mieux dans ce contexte pour quelle raison un Richard Millet, lui aussi chez Gallimard, a échappé à tous les prix avec les deux meilleurs livres de l'année... mais un prix à ce prix, pour pouvoir être lu par les analphabètes des jurys littéraires, ce serait bien trop cher payé !

(*) Globalia, €21,-

La Ponctuation

Il y a, bien entendu, en français, des règles de ponctuation, ces règles comme beaucoup d'autres, varient selon les auteurs et les écrivains, j'ai donc choisi, en tant que lecteur, ma règle que j'entends imposer à "mes écrivains", étant entendu que ceux qui ne veulent pas s'y soumettre sont rejetés, en ce qui me concerne, dans l'enfer des " mauvais écrivains ". Voilà, me direz-vous, une position bien prétentieuse et une exigence bien déraisonnable ! Peut-être, mais c'est que ma règle est naturelle et n'est, en fait, que le simple respect du lecteur. J'attends d'un auteur, qu'il m'aide à lire son texte, qu'il m'en donne le rythme de lecture. Dès lors, comme on le voit, le problème de la ponctuation n'en est plus un. Quand il n'y a pas de ces petits signes, par exemple dans Le Parc de Sollers,  je joue comme l'auteur semble m'y inviter et je détermine moi même mon rythme, voire les différents rythmes, de lecture, ce jeu ne m'amuse que quelques pages et, quand j'en ai assez de ce jeu stupide, je fous le livre au fond d'une bibliothèque d'où seul les hasards d'un déménagement pourraient le sortir. Quand il y a une ponctuation je la respecte parce que je n'ai pas l'intention de réécrire le livre que j'ai sous les yeux ; je ne la respecte donc pas pour m'amuser ou parce que je cultive le respect des auteurs, mais parce qu'elle est partie du texte, parce que l'auteur me dit par son intermédiaire les pauses (poses), me permet de reprendre mon souffle, me donne le sens de certaines propositions ou de groupes de mots qui isolés ou accolés prennent des sens différents. Comme on le voit, il s'agit là d'une partie vitale du texte, de la partie qui lui donne vie.

Si la ponctuation a pour résultat de transformer ma lecture en épreuve, qu'elle est source de " dissonances ", qu'elle m'oblige sans cesse à rattraper les liaisons entre les groupes de mots ou à revenir sur un groupe en raison d'un sens faussé par une virgule malencontreusement positionnée, j'abandonne ; j'ai l'impression que l'auteur se moque de moi ou qu'il appartient à une autre famille, qu'il pratique une autre langue. On comprendra ainsi aisément la quasi haine de la littérature contemporaine que je nourris en face d'énergumènes incapables de faire cohabiter dans une même phrase deux propositions ou une idée secondaire avec la principale ! Ma mère qui a quatre vingt-cinq ans, qui a quitté très tôt l'école, quand elle raconte, ponctue beaucoup mieux son texte qu'eux, ses incidentes par exemple nous font faire autant de détours entre points-virgules avant de revenir par un long chemin à la proposition principale qu'elles illustraient ou à laquelle elles apportaient une contradiction apparente ou qu'elles enrichissaient d'une anecdote glanée en chemin, sans que le souffle ne se soit arrêté comme cela doit être le cas pour cette pause majeure qu'est, dans le récit, le passage d'une phrase à une autre ou cette pause encore plus marquée, qui semble laisser le temps d'une intervention à l'auditeur, qu'est la fin de paragraphe indiquée par le passage à la ligne suivante ou au saut de ligne après un point. Oui, j'ai l'impression d'être pris pour un idiot quand on me découpe le texte en phrases trop courtes et je commence à me méfier quand on tronque les phrases, séparant par des points chaque mot ou presque et j'ai bien raison puisque Céline, par exemple, utilise ce procédé non pour la musique comme il le prétendait, mais pour faire passer sous l'outrance apparente renforcée par ce découpage, les ignominies qui pourrissaient son cerveau malade et dont il se faisait le propagandiste !

(mailto:bourgeois.andre@9online.fr?subject=Messagerie)

La revue Littéraire

Une nouvelle revue : La Revue Littéraire, ne s'inquiète pas plus, semble t-il, de la ponctuation que les autres ! Ainsi, elle donne un article d'un dénommé Eric Vuillard qui utilise, en guise de stylo, un marteau piqueur fou traçant des points sur un rythme très rapide. Cela donne des phrases dont on se demande ce qu'elle peuvent bien vouloir signifier et de quelle langue elles sont traduites :

"Les trois chiens noirs."

"Les chiens n'ayant pas appris à connaître la nuit."

"Comme ils poursuivaient leur route en hurlant."

"Cherchant des cimes."

Moi, je cherche un écrivain !

Tout le reste à l'avenant. Cette revue se spécialiserait-elle d'entrée de jeu dans le charabia ? L'éditeur Léo Scheer nous invite par une carte insérée dans la revue à nous tenir au courant de ses publications ... non merci !

5 janvier 2004 modifié le 19 avril 2004

Lien : http://eric-lequien-esposti.com.

 

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