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ALPHONSE DE LAMARTINE

1790 - 1869

 

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PORTRAITS

 

 

MARAT :

Marat était né en Suisse.  Écrivain sans talent, savant sans nom, passionné pour la gloire sans avoir reçu de la société ni de la nature les moyens de s’illustrer, il se vengeait de tout ce qui était grand, non-seulement sur la société, mais sur la nature. Le génie ne lui était pas moins odieux que l’aristocratie. II le poursuivait comme un ennemi partout où il voyait s’élever ou briller quelque chose. Il aurait voulu niveler la création. L’égalité était sa fureur, parce que la supériorité était son martyre, II aimait la Révolution, parce qu’elle abaissait tout jusqu’il sa portée ; il l’aimait jusqu’au sang, parce que le sang lavait l’injure de sa longue obscurité ; il s’était fait le dénonciateur en titre du peuple ; il savait que la délation est la flatterie de tout ce qui tremble. Le peuple tremblait toujours. Véritable prophète de la démagogie inspiré par la démence, il donnait ses rêves de la nuit pour les conspirations du jour. Séide du peuple, il l’intéressait par le dévouement à ses intérêts. Il affectait le mystère comme tous les oracles. Il vivait dans l’ombre, il ne sortait que la nuit ; il ne communiquait avec les hommes qu’à travers des précautions sinistres. Un souterrain était sa demeure. Il s’y réfugiait invisible contre le poignard et le poison. Son journal avait pour l’imagination quelque chose de surnaturel. Marat s’était enveloppé d’un véritable fanatisme. La confiance qu’on avait en lui tenait du culte. La fumée du sang qu’il demandait sans cesse lui avait porté à la tète. Il était le délire de la Révolution, délire vivant lui-même ! (Histoire des Girondins, Tome premier, Livre troisième, chapitre VIII)

ROBESPIERRE :

Maximilien Robespierre était né à Arras d’une famille pauvre, honnête et respectée ; son père, mort en Allemagne, était d’origine anglaise. Cela explique ce qu’il y avait de puritain dans cette nature. L’évêque d’Arras avait fait les frais de son éducation. Le jeune Robespierre s’était distingué, au collège Louis-le-Grand, par une vie studieuse et par des mœurs austères.

Les lettres et le barreau partageaient son temps. La philosophie de Jean-Jacques Rousseau avait pénétré profondément son intelligence ; cette philosophie, en tombant dans une volonté active, n’était pas restée une lettre morte : elle était devenue en lui un dogme, une foi, un fanatisme. Dans l’âme forte d’un sectaire toute conviction devient secte. Robespierre était le Calvin de la politique ; il couvait dans l’obscurité la pensée confuse de la rénovation du monde social et du monde religieux, comme un rêve qui obsédait inutilement sa jeunesse, quand la Révolution vint lui offrir ce que la destinée offre toujours à ceux qui épient sa marche, l’occasion. Il la saisit. Il fut nommé député du tiers aux états-généraux. Seul peut-être de tous ces hommes qui ouvraient à Versailles la première scène de ce drame immense, il entrevoyait le dénoûment. Comme l’âme humaine, dont les philosophes ignorent le siège dans le corps humain, la pensée de tout un peuple repose quelquefois dans l’individu le plus ignoré d’une vaste foule. Il ne faut mépriser personne, car le doigt de la destinée marque dans l’âme et non sur le front. Robespierre n’avait rien, ni dans la naissance ; ni dans le génie, ni dans l’extérieur, qui le désignât à l’attention des hommes. Aucun éclat n’était sorti de lui, son pâle talent n’avait rayonné que dans le barreau ou dans les académies de province ; quelques discours verbeux, remplis d’une philosophie sans muscles et presque pastorale, quelques poésies froides et affectées avaient inutilement affiché son nom dans l’insignifiance des recueils littéraires du temps ; il était plus qu’inconnu, il était médiocre et dédaigné. Ses traits n’avaient rien de ce qui fait arrêter le regard, quand il flotte sur une grande assemblée ; rien n’était écrit en caractères physiques sur cette puissance tout intérieure : il était le dernier mot de la Révolution, mais personne ne pouvait le lire.

Robespierre était petit de taille, ses membres étaient grêles et anguleux, sa marche saccadée, ses attitudes si affectées, ses gestes sans harmonie et sans grâce ; sa voix, un peu aigre, cherchait les inflexions oratoires et ne trouvait que la fatigue et la monotonie ; son front était assez beau, mais petit, bombé au-dessus des tempes, comme si la masse et le mouvement embarrassé de ses pensées l’avaient élargi à force d’efforts ; ses yeux, très voilés par les paupières et très-aigus aux extrémités s’enfonçaient profondément dans les cavités de leurs orbites ; ils lançaient un éclair bleuâtre assez doux, mais vague et flottant comme un reflet de l’acier frappé par la lumière ; son nez, droit et petit, était fortement tiré par des narines relevées et trop ouvertes ; sa bouche était  grande, ses lèvres minces et contractées désagréablement aux deux coins, son menton court et pointu, son teint d’un jaune livide, comme celui d’un malade ou d’un homme consumé de veilles et de méditations. L’expression habituelle de ce visage était une sérénité superficielle sur un fond grave, et un sourire indécis entre le sarcasme et la grâce. Il y avait de la douceur, mais une douceur sinistre. Ce qui dominait dans l’ensemble de sa physionomie, c’était la prodigieuse et continuelle tension du front, des yeux, de la bouche, de tous les muscles de la face. On voyait en l’observant que tous les traits de son visage, comme tout le travail de son âme, convergeaient sans distraction sur un seul point, avec une telle puissance qu’il n’y avait aucune déperdition de volonté dans ce caractère, et qu’il semblait voir d’avance ce qu’il voulait accomplir, comme s’il l’eût eu déjà en, réalité sous les yeux.  (Histoire des Girondins, Tome premier, Livre premier, chapitre XVII)

MARAT avec Danton et Robespierre selon Georges DUVAL d’après Lamartine

« Sa vie était un dialogue furieux et continu avec la foule. Il semblait regarder toutes ses impressions comme des inspirations, et les recueillait à la hâte comme des hallucinations de la sibylle ou les pensées sacrées des prophètes. La femme avec laquelle il vivait le considérait comme un bienfaiteur méconnu du monde, dont elle recevait la première les confidences. Marat, brutal et injurieux pour tout le monde adoucissait son accent et attendrissait son regard pour cette femme. Elle se nommait Albertine. Il n’y a pas d’homme si malheureux ou si odieux sur la terre à qui le sort n’ait ainsi attaché une femme dans son œuvre, dans son supplice, dans son crime ou dans sa vertu.

« Marat avait, comme Robespierre et comme Rousseau, une foi surnaturelle dans ses principes. Il se respectait lui-même dans ses chimères comme un instrument de Dieu. Il avait, écrit un livre en faveur du dogme de l’immortalité de l’âme. Sa bibliothèque se composait d’une cinquantaine de volumes philosophiques, épars sur une planche de sapin clouée contre le mur de sa chambre. On y remarquait Montesquieu et Raynal, souvent feuilletés. L’Évangile était toujours ouvert sur sa table. « La Révolution, disait-il à ceux qui s’en étonnaient, est tout entière dans l’Évangile. Nulle part la cause du peuple n’a été plus énergiquement plaidée, nulle part plus de malédictions n’ont été infligées aux riches et aux puissants de ce monde. Jésus-Christ, répétait-il souvent en s’inclinant avec respect à ce nom, Jésus-Christ est notre maître à tous ! »

Quelques rares amis visitaient Marat dans sa morne solitude : c’étaient Armonville, le septembriseur d’Amiens ; Pons de Verdun, poète adulateur de toutes les puissances ; Vincent, Legendre, quelquefois Danton ; car Danton, qui avait longtemps protégé Marat, commençait à le craindre. Robespierre le méprisait comme un caprice honteux du peuple. Il en était jaloux, mais il ne s’abaissait pas à mendier si bas sa popularité. Quand Marat et lui se coudoyaient à la Convention, ils échangeaient des regards pleins d’injure et de mépris mutuels : « Lâche hypocrite ! murmurait Marat. - « Vil scélérat ! ) balbutiait Robespierre. Mais tous deux unissaient leur haine contre les Girondins. (Cours familier de littérature, février 1862, pages 70-73

 

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