LES AUTEURS DE JOSE CABANIS

 

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ou JOSE CABANIS

 

Chaque écrivain "a" ses écrivains, cela détermine parfois des familles dans lesquelles il arrive qu'un lecteur se reconnaisse. En ce qui concerne José Cabanis, la relecture que je viens d'effectuer de son oeuvre est marquée par une découverte : quel lecteur il était. J'en suis à me demander si je n'apprécie pas encore plus le lecteur attentif, intelligent, clairvoyant, que l'auteur et cela ne doit pas être pris pour une critique ni une réserve. Lire ce que José Cabanis écrit de "ses auteurs", c'est découvrir qu'il y a peu de vrais lecteur et que la lecture est un art encore plus difficile que l'écriture.

On connaît certains des écrivains de José Cabanis parce qu'il a beaucoup écrit sur eux. Saint-Simon bien sûr, mais aussi Chateaubriand qui accompagne Charles X, roi ultra et qu'on suit déjà dans le Sacre de Napoléon, d'autres sont un peu plus discrets dans son oeuvre, mais ils sont pourtant des compagnons au vrai sens du mot, Green, Mauriac, avec qui il a des connivences, enfin certains apparaissent assez peu mais interviennent dans le cheminement littéraire de l'auteur, Léautaud, Aragon, Balzac, Sainte-Beuve d'autres enfin sont "là", dans l'oeuvre, tels Jouhandeau ou Proust. Enfin, je ne sais où je dois situer pour José Cabanis, Martin du Gard dont il parle bien ou André Gide ? Mais je ne peux m'empêcher de citer cette appréciation d'André Gide qui est peut-être la chose la plus intelligente que j'aie lue sur cet auteur - et j'en ai lu ! " Je ne pense pas que les Faux-Monnayeurs soient une " étonnante réussite ", et Corydon ne me paraît pas le plus important des livres de Gide, comme celui-ci en avait déjà l'illusion. Gide n'aura ni créé la somme romanesque dont il rêvait, ni renouvelé la sensibilité de son époque. Rien de comparable à Rousseau, par conséquent, mais sans doute quelque chose de Voltaire : un certain art de mener sa vie, une intelligence qui se joue des idées plus qu'elle ne les suscite, une aisance toujours plus parfaite pour écrire et conter, un personnage enfin qui domine la vie littéraire de près d'un demi siècle et dépasse de cent coudées tous ses petits suiveurs d'aujourd'hui. " Preuve que l'on peut reconnaître un auteur et lui donner sa place sans s'aveugler ou vouloir lui reconnaître des qualités qu'il n'a pas. Le grand lecteur, le vrai lecteur qu'était José Cabanis pouvait être redoutable pour certains. Plaisirs et lectures nous offre un certain nombre de " rectifications " concernant des affirmations hâtives, des jugements douteux. Ainsi Henri Guillemin, bien justement oublié aujourd'hui, se fait épingler pour sa façon quelque peu désinvolte pour ne pas dire plus, d'accommoder la vérité à ses phantasmes éructoires. L'attaque portée contre Chateaubriand, bien mort, est facilement démontée et donne une idée de la façon de procéder du grand redresseur de torts illusoires. Guillemin n'est pas le seul à faire les frais de la connaissance précise et pénétrante qu'à José Cabanis de " ses auteurs ". Comment juger quand on se veut critique ? C'est en évoquant un " grand mauvais ", exécrable mais sympathique critique, Pontmartin, que José Cabanis nous dit sa méthode : ne pas craindre de nous tromper, se fier à notre plaisir.

Il y a ceux qui n'ont pas compté et sur lesquels il n'y a aucune ambiguïté, par exemple les auteurs du Nouveau Roman, ses contemporains. José Cabanis en parle peu mais le peu est assez clair.

Je ne peux oublier ceux, qui auteurs d'une façon ou d'une autre, sont bien implantés chez Cabanis mais pas toujours seulement en tant qu'écrivains : Lacordaire, Lamennais, Michelet, ils appartiennent tous à ce XIXè qui est la seconde patrie de Cabanis, ils en ont tous illustré les enjeux et les querelles. J'ai écrit qu'à mes yeux, José Cabanis était un pan de cette vie littéraire de la première partie du vingtième siècle qui se serait prolongé dans la seconde, mais il était, peut-être comme ces hommes qui ont animé le vingtième siècle dans sa partie glorieuse, enfant du dix-neuvième.

José Cabanis a écrit qu'il "passerait sa vie à lire Saint-Simon", on ne peut mieux dire qu'un auteur fait partie de son intimité, qu'il est un des pivots de sa vie, car c'est bien de cela qu'il s'agit quand une longue et assidue fréquentation marque une vie de lecteur. On se prend à penser par l'auteur dans le monde duquel on est tellement entré que l'on croit souvent partager son intimité, et Saint-Simon est un mémorialiste, un chroniqueur, il dit son environnement, il décrit son siècle certes, mais le sien, celui de sa carrière. Certaines époques, plongeaient dans les classiques grecs et latins, il me semble que si José Cabanis plonge ses racines dans ce XIXè siècle auquel il a consacré une bonne partie de son oeuvre, en tant qu'historien et en tant que critique, chez José Cabanis, le critique rejoint toujours l'historien quand il est dans ce XIXè siècle qu'il a tenté de nous restituer dans son héritage comme dans ses fondations, cependant Charles X comme le Sacre, seraient-ils ce qu'ils sont sans Saint-Simon ? Je ne le pense pas, de même que ses oeuvres de critique seraient peut-être différentes sans Sainte Beuve.

José Cabanis, dans sa préface de l'édition pléiade des oeuvres de Julien Green fait preuve de son acuité habituelle et d'une très grande familiarité avec l'oeuvre de ce romancier hors du commun. J'admire Julien Green, je sais que je serais incapable d'en parler ne serait-ce qu'avec les prémices des certitudes de José Cabanis, certitudes que l'auteur ne contredira pas. Car, si l'on peut lire Julien Green, romancier, comme je l'ai fait au moins à trois reprises, en se laissant emporter dans un univers à nul autre pareil, dans la fréquentation de personnages hors du réel auxquels on accepte avec empressement, avec fascination, d'accorder la vie dont l'auteur les fait vibrer avec quelle force de conviction, il est beaucoup plus difficile de les situer par rapport aux idées de l'auteur. Julien Green est chrétien, ses romans ne le sont pas en tout cas pas de façon évidente. Mais ... José Cabanis, lui même, auteur de L'âge ingrat ? Il nous livre en tout cas des clés pour comprendre Julien Green, des clés dont certaines lui sont également applicables.

Mauriac, le bordelais, son voisin, était proche pour José Cabanis. L'imbrication complexe et parfois ambiguë du romancier et de ses croyances ne pouvait manquer de l'intéresser. Il suivra plus tard avec intérêt le Temps immobile dont il fera un choix de pages. Ce journal du fils du prix Nobel, Claude, constitue un important et intéressant témoignage. Quand on connaît la façon de travailler de José Cabanis, on ne s'étonne pas de l'intérêt qu'il portait à ce journal, découpé, reconstitué sur une base non chronologique. José Cabanis faisait un travail semblable sur ses oeuvres de fiction, écrivant un premier jet sans construction, le mettant de coté et écrivant de nouveau en construisant. Il entendait ainsi préserver la spontanéité, l'authenticité tout en refusant de se priver de la possibilité de construire ses oeuvres.

D'Aragon, José Cabanis a répété souvent qu'il aurait aimé avoir écrit La semaine sainte, une telle envie est un véritable hommage. Il a cité également Balzac comme modèle, modèle d'une oeuvre qui fourmille de personnages, des personnages qui passent d'un roman à l'autre, qu'on abandonne pour retrouver, ombre ici, en pleine lumière là, n'est-ce pas un peu ce que fit Cabanis romancier à une échelle plus réduite ? De Léautaud, comme de Balzac d'ailleurs, avec quelques réserves en ce qui concerne ce dernier, il retient l'authenticité, la sincérité qui donne la consistance, qui permet le mot juste. Il y a une autre préoccupation, constante, de José Cabanis, qui le rapproche, sans qu'il en fasse état à ma connaissance, de Gide et de Martin du Gard, c'est le désir d'originalité. Dire ce que personne d'autre ne dit, n'est-ce pas aussi explorer des terres vierges comme le voulaient ces deux grands auteurs. Je ne pouvais manquer cela, parce que ce trait commun des trois écrivains qui sont "de ma famille", est certainement celui qui m'a toujours surpris. Un écrivain n'est pas un scientifique, il a peut-être à faire entendre sa voix, il peut espérer qu'elle soit originale, mais pour quelle raison vouloir absolument qu'elle soit unique ou que les sujets qu'il traite, qu'il étudie comme disaient Gide et Martin, soient "originaux" ? Ne suffit-il pas que l'écrivain soit authentique ? Après, du moins à mes yeux, qu'importe ! A vrai dire, l'attitude de José Cabanis est plus nuancée, plus intéressante, que celles de Gide et Martin du Gard car, chez lui, il s'agit plus d'atteindre à ce qu'il y a d'unique dans chaque homme, "de dire l'indicible", quête plus facile à admettre et qui pourrait justifier la production relativement faible en volume de son oeuvre de fiction.

Un auteur de José Cabanis qui pourrait surprendre : Léautaud. Le mécréant et le croyant qui se retrouvent dans une sensibilité, une authenticité qui ne peuvent tromper. José Cabanis a consacré à Paul Léautaud un texte remarquable : la Nuit transfigurée, édité par Sables ( Le jour, la nuit - 2001 ) " On est comme on est, ce qu'on est, au petit bonheur. "

le 10 juin 2005 mod 26 février 2006

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